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Faut-il subventionner les pharmacies rurales ?
Pour donner une bouffée d’oxygène aux pharmacies rurales qui font face à de grandes difficultés, l’Assurance maladie prévoit une aide annuelle de 20 000 euros durant trois ans. Le but ? Empêcher les communes rurales et isolées de perdre leur dernière officine. Mais pour les syndicats, cette mesure reste insuffisante et pourrait même porter préjudice aux pharmacies qui en bénéficieraient.
Alors que le nombre de déserts médicaux grimpe en flèche en France, les pharmacies situées dans ces zones peinent à garder la tête hors de l’eau, leur chiffre d’affaires dépendant en grande partie de la prescription. Résultat : les fermetures d’officines s’intensifient sur le territoire. « Le nombre de pharmacies en France a baissé de 10 % en 10 ans, soit quasiment 1 % par an avec une accélération l’an dernier. Et le rythme est encore très soutenu cette année », analyse David Syr, directeur général adjoint de Gers Data. Un avis partagé par Bruno Maleine, président de la section A (titulaires) de l’Ordre des pharmaciens. « Sur le premier semestre 2024, nous comptons déjà plus de 200 fermetures d’officines », révèle-t-il. Certains territoires sont particulièrement touchés, comme les régions Centre-Val de Loire, Bourgogne, Basse-Normandie ou encore l’Auvergne-Rhône-Alpes. Dans ce contexte, la Caisse nationale de l’Assurance maladie (CNAM) prévoit, à travers l’avenant économique conventionnel, d’allouer jusqu’à 20 000 euros par an pendant trois ans aux officines situées sur un territoire fragile et dont le chiffre d’affaires n’excéderait pas un million d’euros. « Il sera possible d’accorder des aides moins élevées sur une plus courte période », précise Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la CNAM. Cela concernerait uniquement les pharmacies situées dans des zones sous-denses en médecins (ZIP et ZAC), ce qui correspond à environ 70 % du territoire d’après la CNAM. Autre critère : l’officine doit être la seule présente sur la commune. Selon l’Assurance maladie, un quart des pharmacies – soit environ 5 000 – se trouvent dans cette situation en France. « Si ces dernières ferment, c’est la double peine pour les assurés sociaux », indique Marguerite Cazeneuve. Pour Christophe Le Gall, le président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), ces critères d’attribution restent encore trop restrictifs. « Certaines pharmacies qui réalisent un chiffre d’affaires de plus de 1 million d’euros peuvent aussi être en très grosse difficulté », pointe-t-il. Au total, près de 1 000 pharmacies pourraient bénéficier de ce coup de pouce financier de la CNAM.
Définir les territoires, identifier les pharmacies
« Nous sommes partis sur une enveloppe de 20 millions d’euros par an mais nous pourrons continuer à financer certaines pharmacies si elles se trouvent toujours en difficulté passés les trois ans », assure Marguerite Cazeneuve. Une enveloppe répartie entre les territoires selon des modalités qui seront étudiées en commission paritaire nationale (CPN) avec les syndicats. « Notre objectif est de pouvoir déployer ce dispositif à partir du 1er janvier 2025. Nous étions jusqu’alors soumis à la signature du décret sur les territoires fragiles », indique Marguerite Cazeneuve. Sans cesse repoussé, ce décret, très attendu par la profession et les élus locaux, a été publié le 7 juillet. Il fixe la méthodologie et les critères permettant de déterminer les territoires dans lesquels l’accès de la population au médicament n’est pas assuré de manière satisfaisante. « Il faut maintenant que ces territoires fragiles soient définis par les agences régionales de santé (ARS) puis qu’on identifie ces fameuses pharmacies essentielles situées sur ces territoires », rappelle Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). À partir de ce moment-là, les officines pourront toucher l’aide conventionnelle de la CNAM. « Elles pourront aussi bénéficier d’un appui des ARS pour des projets spécifiques ou pour continuer à vivre. Par ailleurs, certaines banques seraient prêtes à étudier des financements à taux zéro dans le cadre de rachat », indique Philippe Besset.
Une mise sous perfusion des officines ?
Parmi les pistes évoquées, l’aide de la CNAM pourrait permettre, par exemple, de créer des postes à temps partiel de préparateurs ou d’adjoints dans ces officines ou encore, de financer l’achat d’une borne de téléconsultation. Les dépenses ne devraient toutefois pas être fléchées. Les modalités d’utilisation de cette subvention doivent encore être définies avec les partenaires conventionnels. « Nous allons contrôler la bonne utilisation de cette aide publique et éventuellement interdire certains usages, mais nous ne devrions pas définir des cas d’utilisation précis », confirme Marguerite Cazeneuve. Reste que cette mesure a reçu un accueil mitigé des différents syndicats. « Le risque est que l’on perfuse ces pharmacies et qu’elles survivent uniquement grâce à cette aide », pointe Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Avant d’ajouter : « Il serait préférable que la convention permette à toutes les pharmacies de vivre décemment. » De son côté, Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UGPO), craint que cette aide n’envoie un mauvais signal et soit délétère pour les officines qui en bénéficieraient. « Cela prouvera qu’elles ne sont pas rentables et n’ont pas d’avenir. Elles auront donc du mal à attirer des repreneurs », met-il en garde. Pour lui, leur viabilité dépendra de ces subventions qui pourraient s’arrêter du jour au lendemain en fonction des changements politiques. « Au lieu de les aider, cela les condamne. Subventionner une pharmacie revient à la mettre sous tutelle, c’est la fin de son exercice libéral », déplore Laurent Filoche.
Revaloriser les actes pharmaceutiques
Si Christophe Le Gall (UNPF) n’est pas contre un appui financier, dans le cas où cela pourrait permettre de « sauver ne serait-ce qu’une pharmacie », il juge cette mesure insuffisante. Il préconise plutôt une revalorisation des honoraires et une majoration des tarifs sur les territoires fragiles. « Plus une officine est située sur un territoire rural, plus son rôle sera important et vaste. Il est donc important de revaloriser ces actes afin que ces pharmacies puissent vivre de tous les services de santé qu’elles peuvent apporter », déclare-t-il. Dans les territoires très ruraux, les pharmaciens sont en effet parfois amenés à faire de la dispensation à domicile, de la téléconsultation, de la téléexpertise, des gardes… « Ils représentent souvent le dernier professionnel de santé », souligne Bruno Maleine.
Jeunes titulaires : opération séduction
Pour assurer la pérennité des officines rurales sur le long terme, les experts interrogés insistent également sur l’importance de donner envie aux jeunes titulaires de s’installer sur ces territoires. « La question de la pérennité et du revenu soulève des inquiétudes et rend moins attractives ces zones pour les jeunes », constate Philippe Besset. Fort de ce constat, l’Ordre mène diverses actions au niveau des régions et départements pour encourager les étudiants à réaliser leur stage en milieu rural. « Certains départementaux mettent à disposition des logements de fonction pour les étudiants en médecine et pharmacie. D’autres peuvent aussi financer les déplacements ou proposer des aides à l’installation », détaille Bruno Maleine.
Créer des antennes relais
Par ailleurs, l’Ordre des pharmaciens conduit actuellement une expérimentation dans cinq régions afin de mettre en place des antennes de pharmacie en zone rurale. « Il ne s’agit pas de créer une nouvelle officine mais de rouvrir une pharmacie qui a existé dans un village. Celle-ci sera transformée en antenne et gérée par une pharmacie mère située à proximité », détaille Bruno Maleine. Cette antenne devra ouvrir au moins deux demi-journées par semaine et proposer, outre la dispensation des médicaments, un certain nombre de services comme la vaccination, le dépistage, une borne de téléconsultation ou encore, les entretiens pharmaceutiques. « Cela dépendra des ressources humaines et matérielles », précise Bruno Maleine. Le personnel pourra travailler indifféremment dans l’officine mère et l’officine fille. « Au sein de l’antenne, les règles seront les mêmes que dans une officine classique », précise Bruno Maleine. Une première antenne a ouvert cet été en Corse et d’autres devraient être prochainement lancées. Objectif : préserver la qualité du maillage territorial en luttant contre les déserts pharmaceutiques.
20 000 euros
C’est le montant annuel maximum de l’aide conventionnelle de la CNAM allouée aux officines situées sur un territoire fragile et remplissant un certain nombre de critères.
Le danger de la financiarisation
Le phénomène de financiarisation dans les différents secteurs de l’offre de soins interpelle les pharmaciens. Récemment auditionné par le Sénat sur cette question, l’Ordre défend l’importance de conserver les règles actuelles de propriété du capital pour garantir l’indépendance des professionnels de santé. « Cela pourrait constituer une vraie menace pour la santé publique », indique Bruno Maleine. Une opinion partagée par Christophe Le Gall (UNPF). « Cela va forcément déséquilibrer le système. Les pharmacies rurales n’intéresseront pas les fonds d’investissement qui cherchent la rentabilité », estime-t-il.
200
C’est le nombre de fermetures d’officines comptabilisées en France lors du premier semestre 2024, selon l’Ordre national des pharmaciens.
Cette autre proposition qui n’a pas été retenue…
En mars dernier, deux sénatrices ont déposé une proposition de loi visant à assouplir les règles d’ouverture des pharmacies en milieu rural. Celle-ci prévoyait la possibilité de créer une officine par voie de transfert ou de regroupement dans une commune de moins de 2 500 habitants. Largement décrié par les syndicats et l’Ordre des pharmaciens, ce texte a finalement été abandonné. « Il s’agissait d’une démarche vertueuse de la part de ces parlementaires qui estimaient peut-être que les règles d’ouverture étaient trop strictes », indique Bruno Maleine. Il rappelle toutefois que ces règles correspondent aux besoins de la population. « La solution n’est pas de créer des officines supplémentaires qui mettraient en péril celles qui existent déjà sur ces territoires ruraux », explique-t-il.
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