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La maladie rénale chronique

Publié le 1 octobre 2024
Par Estelle Deniaud Bouet
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Fréquente et grave, la maladie rénale chronique constitue un fort enjeu de santé publique avec un dépistage qui reste insuffisant. Longtemps silencieuse, elle expose à un risque cardiovasculaire élevé et progresse inexorablement vers une insuffisance rénale.

La maladie

Pour comprendre

Anatomie

• L’appareil urinaire se compose des reins, de la vessie, des uretères qui raccordent les reins à la vessie, et de l’urètre, qui relie la vessie à l’extérieur de l’organisme.

• Les reins sont situés à l’arrière de l’abdomen, de part et d’autre de la colonne vertébrale au niveau des dernières côtes. Ayant la forme d’un haricot, ils comportent plusieurs parties : la capsule, enveloppe externe qui protège le rein, le parenchyme rénal qui renferme les unités de filtration, les néphrons, les calices et le bassinet qui collectent l’urine. Chaque rein se compose d’environ un million de néphrons. Ceux-ci sont constitués d’un glomérule entouré d’une fine paroi, la capsule de Bowman.

• Le néphron est l’unité structurale et fonctionnelle du rein. Son rôle est de filtrer le sang et de produire l’urine.

Physiologie

• Filtration. Les reins filtrent le sang, ce qui permet d’éliminer les déchets de l’organisme, notamment sous forme d’urée, d’acide urique et de créatinine.

• Régulation. Ils régulent et maintiennent l’équilibre en eau et en électrolytes. Les artères rénales apportent environ 1 700 litres de sang par jour aux reins, permettant à cet organe de filtrer la totalité du sang corporel toutes les 30 minutes.

• Sécrétion. De par leur fonction endocrine, les reins sécrètent plusieurs hormones, dont l’érythropoïétine – dite EPO (voir Dico+ p. 38) – et la rénine. Ils assurent aussi la production de la forme active de la vitamine D, qui elle-même intervient dans la régulation du métabolisme phosphocalcique.

• Stabilisation de la pression artérielle. Les reins participent également au maintien de la pression artérielle, notamment grâce à la synthèse de la rénine qui agit sur le système rénine-angiotensine et sur l’homéostasie sodée.

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Les atteintes rénales

Le rein peut être le siège de différentes pathologies, en fonction de la cause de la maladie ou de la structure rénale touchée. Ces néphropathies peuvent être aiguës ou chroniques.

• Aiguës. Une insuffisance rénale aiguë peut s’observer dans certains contextes, comme une infection grave, une hémorragie ou la prise d’un médicament néphrotoxique. L’atteinte rénale est alors brutale, mais possiblement réversible. C’est-à-dire qu’une fois la cause traitée, les reins peuvent retrouver un fonctionnement normal.

• Chroniques. Les néphropathies chroniques constituent ce qu’on appelle la maladie rénale chronique (MRC). Elle est associée à une perte durable et irréversible de la capacité de filtration des reins. En dessous d’un certain seuil de filtration, les spécialistes parlent d’insuffisance rénale.

Définition

Quelle qu’en soit la cause, la Haute Autorité de santé (HAS) définit la MRC1 :

– par la présence sur une période d’au moins trois mois consécutifs de marqueurs d’atteinte rénale ;

– et/ou par une insuffisance rénale chronique.

• Les marqueurs d’atteinte rénale peuvent être des anomalies morphologiques (taille, forme des reins, contours bosselés, kystes), biologiques (protéinurie ou albuminurie (voir Dico+ p. 38), hématurie, leucocyturie) ou histologiques.

• L’insuffisance rénale chronique est médicalement définie par le débit de filtration glo­mérulaire (DFG) estimé à partir du dosage sanguin de la créatinine, lorsque celui-ci est inférieur à 60 ml/min/1,73 m2 (voir encadré ci-contre).

• Les stades de la maladie, qui sont au nombre de cinq, décrivent l’évolution de la maladie rénale chronique (voir infographie p. 35).

Physiopathologie

Dysfonctionnement des reins

La maladie rénale chronique survient lorsque les deux reins sont touchés simultanément ou successivement. En effet, lorsqu’un seul rein est atteint, le second compense. Aucun signe clinique ou biologique n’apparaît alors.

Au cours de l’évolution, deux mécanismes physiopathologiques se superposent progressivement. D’une part, celui à l’origine de la maladie, qui, en l’absence de prise en charge continue à altérer la fonction rénale, et, d’autre part, la perte de capacité de filtration du rein qui, elle-même, provoque de multiples dérèglements.

Dérèglements multiples et progressifs

Le rein ayant de nombreuses fonctions, les dérèglements qui l’affectent ont des conséquences multiples. Ainsi, l’altération de la fonction rénale entraîne l’apparition d’une protéinurie et l’accumulation de déchets dans la circulation sanguine (créatinine, urée…) qui, à leur tour, engendrent des lésions au niveau des reins et d’autres organes. Au fil du temps, on observe une cascade de perturbations physiologiques : augmentation de la pression artérielle, perturbations de l’équilibre acido-basique, phosphocalcique (avec un risque d’hypocalcémie et d’hyperphosphatémie), dérèglement de l’érythropoïèse conduisant à une anémie, etc.

Dégradation inexorable

L’évolution est insidieuse car les premiers symptômes n’apparaissent qu’après des années, voire des décennies. En l’absence de toute intervention thérapeutique, une diminution progressive du débit de filtration glomérulaire, traduisant la dégradation de la fonction rénale, est le plus souvent inéluctable.

Au stade d’insuffisance rénale chronique, l’évolution se fait plus ou moins rapidement vers l’insuffisance rénale terminale. Le rein n’est alors plus capable de filtrer le sang, ni de maintenir sa composition en eau et en sels minéraux.

Causes et facteurs de risque

• Diabète et HTA. Ce sont les deux causes principales identifiées. Les diabètes de type 1 et de type 2 et l’hypertension artérielle (HTA), traitée ou non, sont responsables de près de 50 % des cas de maladie rénale chronique. Ce sont les complications vasculaires de ces deux pathologies chroniques qui altèrent progressivement la vascularisation des reins.

La maladie athéromateuse, l’insuffisance cardiaque, l’obésité, les maladies systémiques ou auto-immunes, les affections urologiques, les antécédents de néphropathies aiguës (pyélonéphrites à répétition), les antécédents familiaux de maladie rénale chronique peuvent également être à l’origine de cette pathologie.

→ À signaler : pour 15 % des patients, la cause de la maladie rénale chronique est une néphropathie génétique, majoritairement la polykystose rénale (voir Dico+ p. 38).

• Médicaments. Certains d’entre eux peuvent être à l’origine d’une insuffisance rénale aiguë ou endommager le rein au long cours selon les doses employées ou en cas de déshydratation. Citons par exemple les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), certains antibiotiques (aminosides…) et antiviraux, des produits de contraste iodé ou encore des anti­hypertenseurs tels que les diurétiques, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA II), etc.

• Autres facteurs. Au-delà de 60 ans, l’âge augmente le risque, du fait de la dégradation progressive des capacités naturelles de fonctionnement du rein : diminution de la vitesse de filtration, détérioration des artères rénales, etc.

Le tabagisme, la sédentarité, le surpoids et l’obésité sont des facteurs modifia-bles qui peuvent également favoriser la maladie rénale chronique ou accélérer son évolution.

→ À signaler : pour près de 10 % des patients, la cause de la maladie rénale chronique reste indéterminée.

Signes cliniques

• Stades 1 et 2. La maladie rénale chronique évolue longtemps sans symptôme visible. En effet, les patients peuvent paraître en bonne santé avec seulement 10 à 20 % de leur fonction rénale normale.

• Stades 3 et 4. Au fil du temps, de premiers signes évocateurs peuvent apparaître : anémie (pâleur, fatigue) liée à la baisse de la production d’érythropoïétine, hypertension artérielle associée à la baisse de la production de rénine et aux troubles hydroélectrolytiques, œdèmes et troubles musculaires et cardiaques en lien avec les troubles hydroélectrolytiques ou encore troubles digestifs et prurit associés au syndrome urémique, c’est-à-dire à l’accumulation de déchets dans l’organisme. Au fur et à mesure de la dégradation de la fonction rénale, le syndrome urémique s’aggrave et les symptômes neuromusculaires aussi : contractions musculaires, troubles moteurs et sensoriels, crampes, syndrome des jambes sans repos, voire convulsions. Des signes dermatologiques sont également présents : coloration jaune/brun de la peau, sécheresse cutanée, cristallisation de la sueur sur la peau. Les troubles du métabolisme phosphocalcique, quant à eux, se traduisent par un déficit ou une carence en vitamine D et en calcium et par une hyperphosphatémie, qui vont entraîner une calcification des artères et des troubles osseux.

• Stade 5. Les reins n’assurent plus leur fonction et des complications plus graves apparaissent : péricardites, ulcérations digestives, hémorragies digestives, troubles respiratoires, voire troubles cognitifs.

Dépistage et diagnostic

La maladie rénale chronique reste insuffisamment dépistée en France. Selon les dernières recommandations de la HAS, toute personne présentant un ou plusieurs facteurs de risque de développer une maladie rénale chronique doit bénéficier d’un dépistage annuel.

Dépistage

• Une prise de sang permet de doser le taux sanguin de créatinine et d’estimer le débit de filtration glomérulaire pour évaluer la fonction rénale.

• L’analyse des urines vise à rechercher la présence de protéines et/ou d’albumine. Elle peut aussi détecter une éventuelle hématurie ou une leucocyturie, deux signes possibles d’atteinte rénale.

Le résultat est transmis sous la forme de ratio albuminurie/créatininurie (RAC). Plus ce rapport est élevé, c’est-à-dire plus le rein laisse passer l’albumine dans les urines mais retient la créatinine qui devrait être éliminée, plus la fonction rénale est altérée.

• Interprétation : RAC < 30 mg/g = normal ; 30 mg/g ≤ RAC ≤ 300 mg/g = modérément augmenté (on parle de microalbuminurie) ; RAC > 300 mg/g = augmenté.

Diagnostic

• Le caractère chronique de la maladie rénale est confirmé par la répétition des dosages sanguins et de l’analyse d’urines trois mois plus tard.

• Un bilan complet est prescrit au patient, comprenant un examen cytobactériologique des urines (ECBU), une échographie rénale et des examens complémentaires (biopsie rénale, échographie vésicale…), afin de rechercher la cause de l’atteinte rénale.

Évaluation du risque de progression

Plusieurs critères sont utilisés pour évaluer le risque de progression vers l’insuffisance rénale terminale :

– le déclin annuel du débit de filtration glomérulaire (DFG), c’est-à-dire le DFG de l’année « n » moins le DFG de l’année « n-1 ». Un dé-clin annuel du DFG est considéré comme rapide à partir de 5 ml/min/1,73 m2 ;

– la présence et l’importance de l’albuminurie : celle-ci est considérée comme sévère lorsque le RAC est supérieur à 500 mg/g ;

– l’hypertension artérielle non contrôlée par les traitements ;

– la cause de la maladie rénale chronique. Un score pronostique, le Kidney Failure Risk Equation (KFRE), facilite l’orientation et la prise en charge du patient.

Évolution

La progression de la maladie rénale initiale, puis l’hypertension artérielle (HTA) et la protéinurie sont eux-mêmes des facteurs aggravants de l’atteinte rénale. La survenue d’une insuffisance rénale aiguë (médicament néphrotoxique, déshydratation…) au cours de l’évolution de la maladie rénale chronique contribue aussi à aggraver la maladie. Le risque cardiovasculaire est augmenté de façon importante aux stades 3 et 4.

En l’absence de traitement, la maladie va irrémédiablement évoluer vers l’insuffisance rénale chronique, puis vers l’insuffisance rénale terminale, nécessitant un traitement de suppléance (dialyse ou greffe rénale).

Outre les multiples répercussions citées précédemment (HTA, œdèmes, anémie…) et le risque majeur de complications cardiovasculaires, il existe un risque d’ostéoporose (ou de retard de croissance chez l’enfant), d’infections bactériennes ou virales, de carences nutritionnelles voire de dénutrition, de troubles du cycle menstruel et/ou de la fonction sexuelle, etc.

Suivi

La prise en charge est pluridisciplinaire et coordonnée par le médecin traitant en fonction du stade de la maladie, du score KFRE et de certains critères de gravité. Elle s’appuie sur une équipe spécialisée : néphrologue, diététicien-nutritionniste, infirmier, psychologue, cardiologue, tabacologue, gérontologue… Le parcours de soins du patient est adapté à ses besoins, notamment en matière de santé et d’accompa­gnement psychologique et social.

Son traitement

Objectifs

Ils sont multiples et doivent permettre de traiter la cause de la maladie rénale, de ralentir l’évolution vers l’insuffisance rénale chronique, de prendre en charge les comorbidités cardiovasculaires, d’améliorer la qualité de vie du patient et, pour les patients en insuffisance rénale terminale, de suppléer la fonction rénale.

Des séances d’éducation thérapeutique sont primordiales dès les stades précoces. Elles reposent sur la promotions des mesures d’hygiène de vie visant à réduire le risque cardiovasculaire, en ralentissant la progression de la maladie et en retardant la mise en place d’un traitement de suppléance.

Compte tenu du risque accru d’infections, certaines vaccinations sont recommandées chez le sujet insuffisant rénal (voir ce point en p. 42).

Stratégie thérapeutique

La néphroprotection

• Appliquer des mesures hygiénodiététiques. Elles occupent une place majeure dans la prise en charge, certaines étant essentielles pour protéger les reins. Notamment celles visant à abaisser la pression artérielle ainsi qu’à diminuer la protéinurie. Trois points clés sont déterminants :

– limiter les apports en sels ;

– adapter les apports en protéines aux capacités de filtration des reins (moins de 1 g/kg/jour, en tenant compte notamment du risque de dénutrition) ;

– adapter la consommation d’eau à la soif et à la quantité quotidienne d’urines produites.

• Prévenir la néphrotoxicité. Certaines classes médicamenteuses sont particulièrement à éviter, notamment les AINS. D’autres nécessitent une adaptation de la posologie en fonction du débit de filtration glomérulaire.

→ À signaler : en cas de risque de déshydratation (diarrhée, vomissement, fortes chaleurs…), l’arrêt des médicaments risquant de provoquer une insuffisance rénale aiguë doit être discuté, à l’exemple des bloqueurs du système rénine-angiotensine, des diurétiques ou de la gliflozine.

Les antihypertenseurs

Le maintien de la pression artérielle en dessous de 140/90 mmHg est déterminant. Dans certains contextes, un seuil encore plus bas devra être fixé et maintenu.

Si les mesures hygiénodiététiques ne suffisent pas, un traitement antihypertenseur est alors prescrit. Les IEC ou les ARA II sont recommandés car, outre leur effet antihypertenseur, ils augmentent le débit de filtration glomérulaire et diminuent la protéinurie. D’où un effet néphroprotecteur au long cours, alors même qu’ils peuvent être néphrotoxiques en cas de déshydratation, par exemple. Attention toutefois : sauf avis spécialisé, l’association d’un IEC à un ARA II est contre-indiquée.

Si une monothérapie ne suffit pas à contrôler la pression artérielle, une bithérapie voire une trithérapie est mise en place, en associant différentes classes d’anti­hypertenseurs. Les gliflozines ont une action hypoglycémiante et antihypertensive (en favorisant l’élimination d’eau) et, comme les IEC ou ARA II, elles ont un potentiel néphroprotecteur (action diurétique et natriurétique, diminution de l’albuminurie). Ces molécules sont indiquées chez des patients diabétiques ou non diabétiques, en ajout du traitement par un IEC (ou un ARA II) à la dose maximale tolérée si ce dernier ne permet pas de stopper l’évolution de la maladie rénale.

Les diurétiques de l’anse de Henle sont notamment utiles pour contrôler les œdèmes, en agissant sur la surcharge hydrosodée.

→ À signaler : les autres pathologies cardiovasculaires (diabète, dyslipidémie, insuffisance cardiaque…), doivent également être prises en charge.

La gestion des complications

• Anémie. Des supplémentations en fer (par voie orale ou parentérale), en vitamine B12 et en folates peuvent être indiquées, ainsi que des agents stimulant l’érythropoïèse (Aranesp, Binocrit, Neorecormon…) si l’hémoglobinémie est inférieure à 10 g/dl, avec l’objectif de la maintenir entre 10 et 11 g/dl.

• Carence en calcium et vitamine D. Une sup­plémentation en calcium, en vitamine D et en autres éléments est réalisée si besoin.

• Apport en acides aminés essentiels. Leur prescription sous forme de céto-analogues (voir Dico+) est recommandée pour ralentir l’évolution de la maladie à partir du stade 3. Ces acides aminés sont assimilés directement par l’organisme sans augmenter la charge protéique au niveau des reins (contrairement aux protéines apportées par l’alimentation). Ils sont associés à une adaptation des apports en protéines alimentaires entre 0,4 et 0,6 g/kg/jour.

• Régulation des chélateurs de phosphates. Si la limitation des apports en protéines ne permet pas de contrer suffisamment l’excès de phosphates (étant donné que les aliments riches en protéines sont aussi riches en phosphate), des chélateurs du phosphate sont alors prescrits.

• Contrôle des troubles hydroélectrolytiques. La lutte contre l’acidose nécessite de boire une eau riche en bicarbonates, voire de recourir à une supplémentation à l’aide de spécialités orales (Foncitril, Bicafres, Alcaphor) ou de préparations magistrales. Pour lutter contre l’excès de potassium, un traitement peut être prescrit si la limitation des apports ne suffit pas.

Les traitements de suppléance

• Au stade 5, un traitement de suppléance devient le plus souvent nécessaire. Dans certains cas, une prise en charge pluridisciplinaire, avec une surveillance médicale étroite, une alimentation ultra-sélectionnée et une supplémentation en acides aminés essentiels peut permettre de retarder le recours à un traitement de ce type pendant quelques mois, voire quelques années.

Plusieurs thérapeutiques existent actuellement, qui peuvent se succéder :

– la dialyse péritonéale utilise les capacités de filtration du péritoine, la membrane qui tapisse les parois intérieures de l’abdomen et recouvre les organes abdominaux. Elle permet des échanges entre le sang et le dialysat (1 à 3 litres de solution), qui est introduit dans la cavité abdominale au moyen d’un cathéter souple. Après un temps de contact de 4 à 12 heures, le liquide est vidangé par drainage. Cete procédure doit être répétée quotidiennement. Certains patients l’effectuent, après formation, de manière autonome à domicile. En cas d’infection répétée du péritoine ou lorsque le péritoine perd sa capacité de filtration, un passage à l’hémodialyse est nécessaire.

– L’hémodialyse consiste à filtrer le sang du patient au travers d’un dialyseur, qui joue le rôle de rein artificiel. Les séances, généralement de plusieurs heures trois fois par semaine, peuvent avoir lieu dans une structure de prise en charge ou à domicile.

• La transplantation rénale permet le plus souvent de restaurer une bonne fonction rénale mais nécessite la prescription à vie d’un traitement immunosuppresseur et une surveillance médicale rapprochée.

→ À signaler : au cours de l’évolution de la maladie rénale chronique, une inscription sur la liste d’attente de greffe doit être envisagée avant d’atteindre le stade 5.

Les médicaments

Les IEC

• Molécules : bénazépril, captopril, lisinopril ont une indication spécifique (parfois uniquement chez le patient diabétique).

• Mode d’action : ils s’opposent à l’activation de l’angiotensine I (elle-même synthétisée sous l’action de la rénine produite par le rein) en angiotensine II, qui est un puissant vasoconstricteur, par blocage de l’enzyme de conversion. Leur action vasodilatatrice entraîne l’amélioration du débit de filtration glomérulaire, d’où une baisse de la protéinurie et de la pression artérielle.

• Effets indésirables : hypotension en début de traitement, céphalées (liées à la vasodilatation), toux, hyperkaliémie, risque de dysfonction rénale et, parfois, risque d’angiœdèmes bradykiniques (voir Dico+ p. 39) imposant l’arrêt définitif du traitement.

• Surveillance : fonction rénale et kaliémie.

Les ARA II

• Molécules : irbésartan et losartan ont une indication spécifique.

• Mode d’action : inhibiteurs compétitifs des récepteurs à l’angiotensine II.

• Effets indésirables : hypotension, vertiges, céphalées, hyperkaliémie, risque de dysfonction rénale. Toux et angiœdème bradykinique sont plus rares qu’avec les IEC.

• Surveillance : fonction rénale et kaliémie.

Les inhibiteurs du SGLT2 ou gliflozines

• Molécules : dapagliflozine et empagliflozine.

• Mode d’action : inhibition sélective et réversible du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT2), qui permet la réabsorption de 90 % du glucose filtré au niveau du glomérule rénale et la réabsorption de sodium. D’où une baisse de la glycémie et une diurèse induisant une réduction de la pré- et post-charge du cœur ainsi qu’une légère baisse de la pression artérielle.

• Effets indésirables : hypoglycémie (en association à un sulfamide ou à l’insuline), vertiges, infections génito-urinaires, dysurie, polyurie, rash. Des cas de fasciite nécrosante du périnée, dite gangrène de Fournier (voir Dico+ p. 39) et d’acidocétose diabétique (chez les patients diabétiques) sont rapportés.

• Surveillance : fonction rénale et glycémie.

Chélateurs du phosphore

• Molécules : carbonate de calcium, acétate de calcium, carbonate de lanthane, carbonate ou chlorhydrate de sevelamer, oxyhydroxyde sucro-ferrique.

• Mode d’action : par séquestration du phosphate alimentaire par formation d’un complexe et réduction de son absorption.

• Effets indésirables : troubles digestifs (nausées, vomissements, douleurs abdominales, constipation, diarrhée), sécheresse buccale, hypercalcémie ou hypercalciurie pour ceux à base de calcium, hypophosphatémie. Sous oxyhydroxyde sucro-ferrique, une décoloration des selles et des diarrhées sont très fréquentes.

• Surveillance : calcium et phosphore sanguins et urinaires.

La prévention

La prévention de la maladie rénale chronique repose sur le repérage précoce et, si possible, sur la correction des causes et facteurs de risque, en particulier la prise en charge de l’hypertension artérielle et du diabète. L’adoption d’un mode de vie sain est également déterminante pour protéger la fonction rénale le plus longtemps possible. Par ailleurs, il faut veiller à limiter la prise de médicaments néphrotoxiques et adapter la posologie des traitements à la fonction rénale.

Les conseils aux patients

Observance

Il convient d’insister sur le respect des prescriptions médicales et des posologies. Aucun traitement ne doit être interrompu sans avis médical.

Prescriptions

• Anticipation. Face à toute prescription d’un antihypertenseur ou d’un traitement antidiabétique, il faut absolument avoir le réflexe de demander : « Avez-vous déjà fait des examens pour évaluer le bon fonctionnement de vos reins ? ». Si une insuffisance rénale est diagnostiquée, s’assurer systématiquement de l’adaptation des posologies des traitements en cours à la fonction rénale en lien avec le médecin prescripteur. Enfin, aucun nouveau traitement ne doit être initié sans l’accord du médecin qui suit le patient pour son insuffisance rénale.

• Effets indésirables. Les patients sont souvent polymédiqués et peuvent présenter des symptômes qui résultent soit de leur insuffisance rénale, soit de la prise des traitements. Tout nouveau symptôme doit alerter et amener à orienter le patient vers le prescripteur.

• Sous IEC voire ARA II : gonflement de la face, des lèvres de la langue ou de la gorge, difficultés à avaler ou à respirer et/ou douleurs abdominales d’intensité variée imposent un avis médical, en raison d’une suspicion d’angioœdème2.

• Sous gliflozine : toute douleur au niveau génital ou périnéal ainsi que des signes d’infection génito-urinaire doivent amener à un avis médical rapide3.

Automédication

De manière générale, les patients insuffisants rénaux ne doivent pas avoir recours à l’automédication. Les AINS en particulier sont absolument à éviter, et ce, quelle que soit la voie d’administration et même en prise ponctuelle. Il est conseillé dans la mesure du possible d’orienter vers le médecin, qui évaluera la pertinence des traitements selon la fonction rénale du patient.

Vie quotidienne

Les mesures hygiéno-diététiques occupent une place majeure dans la prise en charge de la maladie rénale chronique.

Poids et pression artérielle

Le patient doit contrôler régulièrement son poids, afin de détecter l’apparition éventuelle d’un œdème, et sa pression artérielle, pour détecter une aggravation de la maladie ou un mauvais ajustement du traitement.

Alimentation

Manger de manière équilibrée et diversifiée, avec une alimentation proche du régime méditerranéen, est recommandé, afin de limiter la prise de poids et favoriser le contrôle des pathologies cardiovasculaires.

• Apport en eau. Il doit être dans la mesure du possible proche de 1,5 litre par jour, ne doit être ni restreint ni forcé, mais simplement adapté à la soif et à la diurèse.

• Apport en protéines. La part de ces nutriments est fonction du stade de la maladie. Aux stades précoces (1 et 2), ils doivent être limités à moins de 1 g/kg/jour. À partir du stade 3, les objectifs sont plus stricts et doivent se situer entre 0,6 et 0,8 g/kg/jour.

• Apport en sel. Dans l’idéal, la consommation quotidienne de sel doit être inférieure à 5 g/jour. Pour y parvenir, il faut notamment supprimer ou éviter les eaux et les aliments riches en sodium (du type charcuteries et fumaisons, plats cuisinés industriels…), et réduire l’adjonction de sel aux plats ou lors de la cuisson. Ajouter des épices peut permettre d’agrémenter les plats sans les saler.

• Apports en phosphore et en potassium. Ils doivent être limités dans les stades avancés de l’insuffisance rénale. Quasiment tous les aliments renferment du potassium. Celui-ci peut être réduit en lavant abondamment les fruits et légumes, en les laissant tremper voire en les cuisant. Les aliments les plus riches en phosphore sont ceux riches en protéines, notamment les abats, certains poissons (sardines, daurade…), les céréales complètes, les fromages, les oléagineux et les légumes secs.

Activité physique

Lutter contre la sédentarité et pratiquer régulièrement une activité physique adaptée sont des actions déterminantes pour protéger les reins, combattre le surpoids et diminuer le risque cardiovasculaire.

La pratique de nombreux sports est possible, y compris pour les patients en dialyse. L’avis d’un professionnel est toutefois recommandé pour choisir l’activité la plus adaptée.

Tabagisme

Un accompagnement au sevrage tabagique est fortement recommandé car le tabac est source de dégradation de la fonction rénale et un facteur de risque cardiovasculaire.

Déshydratation

Une diarrhée, des vomissements ou une forte chaleur sont des causes possibles de déshydratation. Il convient donc de contacter rapidement le médecin pour connaître la conduite à tenir.

Activités et loisirs

La poursuite ou l’adaptation de l’activité professionnelle doivent être discutées à chaque stade de la maladie, en fonction de l’état de santé du patient et des traitements en cours.

Tout projet de voyage, surtout pour des séjours longs et/ou lointains, doit être anticipé avec l’équipe médicale.

Vaccination

Les patients insuffisants rénaux sont considérés comme plus fragiles face aux infections. En effet, l’anémie, la carence en vitamine D ou encore l’altération de la fonction rénale peuvent augmenter le risque infectieux. Il est donc important que les patients soient à jour de leurs vaccinations annuelles (grippe saisonnière, Covid-19). Les vaccinations contre l’hépatite B et le pneumocoque sont également recommandées.

1. « Guide du parcours de soins – Maladie rénale chronique de l’adulte (MRC) », Haute Autorité de santé (HAS), 1er juillet 2021, mis à jour en septembre 2023.

2. « Angioedème bradykinique : penser aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) mais aussi aux antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (sartans) et aux gliptines », Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), 2019, mis à jour le 30 décembre 2020.

3. « Gliflozines (dapagliflozine et empagliflozine) : prévenir les risques d’acidocétose diabétique et de gangrène de Fournier (fasciite nécrosante périnéale) », ANSM, 27 novembre 2020, mis à jour le 1er décembre 2021.

Info +

→ L’exposition à des produits toxiques (mercure, plomb, cadmium, solvants organiques…) peut altérer la fonction rénale. La prise en charge au titre de maladie professionnelle indemnisable est possible pour certaines maladies rénales.

→ L’absence de troubles urinaires (difficultés à uriner par exemple) ne témoigne pas d’une fonction rénale normale. Même au stade 5, certains patients continuent à uriner normalement.

Le débit de filtation glomérulaire (DFG)

Le DFG reflète la capacité des reins à éliminer les déchets de l’organisme. Indexé à la surface corporelle de l’individu, le DFG correspond au volume de plasma sanguin que le rein peut totalement débarrasser d’une substance en une minute. Pour évaluer le DFG, on s’intéresse à une substance produite par l’organisme, la créatinine. Le DFG est estimé à partir de la concentration de créatinine dans le sang (créatinémie), à l’aide d’une formule mathématique : l’équation Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration (CKD-EPI), dont le résultat s’exprime en ml/min/1,73 m2.

Dico +

→ L’érythropoïétine, ou EPO, est une hormone qui stimule la production de globules rouges.

→ L’albuminurie est la concentration urinaire en albumine. Principale protéine de transport dans la circulation sanguine, elle est filtrée puis réabsorbée en grande partie dans le sang au niveau du néphron. En cas d’altération de la fonction rénale, une quantité plus importante d’albumine et de protéines peut être retrouvée dans les urines.

→ La polykystose rénale est une maladie génétique autosomique dominante, qui se caractérise par la formation de kystes liquidiens au niveau des deux reins.

Principales contre-indications

→ IEC : angiœdèmes héréditaires ou idiopathiques, antécédents d’angiœdèmes, deuxième et troisième trimestres de grossesse.

→ ARA II : deuxième et troisième trimestres de grossesse.

→ Chélateurs de phosphate : hypophosphatémie, hypercalcémie notamment.

Dico +

→ Les céto-analogues (spécialité Ketosteril) sont convertis en acides aminés par réaction chimique dans l’organisme.

→ Les angioœdèmes bradykiniques sont dus à une accumulation de bradykinine par défaut de son catabolisme. Ils touchent principalement le visage, la langue ou le larynx, mais aussi potentiellement la muqueuse digestive, ce qui occasionne des douleurs abdominales plus ou moins intenses.

→ La gangrène de Fournier est une infection rare mais grave, se manifestant par une douleur intense, un érythème, un gonflement de la région génitale ou périnéale, une fièvre, des malaises.

En savoir +

• Association France rein

Des informations sur l’insuffisance rénale, les maladies du rein, les traitements et la liste des antennes régionales fédérées par l’association sont accessibles sur le site francerein.org.

• Association Renaloo

L’association met à disposition des vidéos et de nombreuses brochures (« Voyage et hémodialyse » ; « Greffe rénale à partir d’un donneur vivant » ; « J’ai un diabète, je prends soin de mes reins »), à télécharger sur : renaloo.com.

• Fondation du rein

Le site de la fondation propose de nombreux documents et supports explications sur le fonctionnement des reins, les maladies rénales et la maladie rénale chronique, les médicaments, la dialyse, tous consultables sur : fondation-du-rein.org.

• À lire

Vivre avec une maladie des reins, Pr Michel Olmer, Éd. Lien, 4e édition (juin 2013), réédition en cours.

Avis de spés

Un médicament n’est jamais anodin pour les reins

Dre Isabelle Tostivint, néphrologue préventive, présidente de l’association Lunne (Lithiases UriNaires Network), membre de la Fondation du rein.

Cécile Vandevivere, directrice générale de l’Association France rein.

Quel est le rôle de l’équipe officinale dans la prévention du risque iatrogène d’atteinte rénale ?

Isabelle Tostivint : Chez tout patient atteint de diabète, d’hypertension artérielle ou d’un autre facteur de risque cardiovasculaire, il faut poser la question : « Avez-vous un problème particulier au niveau des reins ? » Cette information est déterminante dans la délivrance d’une ordonnance ou de médicaments conseils, dont la vitamine C à forte dose (à 1 g par jour, par exemple) qui expose, surtout en cure répétée, à un risque accru de lithiase rénale, donc d’atteinte rénale, dans un contexte de fonction rénale déjà altérée mais asymptomatique. Ceci est aussi valable pour les AINS, néphrotoxiques de par leur nature, même sous forme topique. De plus, tous les médicaments peuvent provoquer une insuffisance rénale aiguë, en raison d’un mécanisme immunoallergique, aussi bien chez des patients fragiles sur le plan rénal que chez des patients en bonne santé. Un médicament n’est jamais anodin pour les reins. Pour les stades 4 et 5, aucun médicament, quelle que soit la voie d’administration, ne doit être pris sans l’avis du néphrologue, de même qu’aucun complément alimentaire ni produit d’aromathérapie. Ce qui est primordial à ces stades est de bouger autant que possible, en faisant entre 10 000 et 15 000 pas par jour.

Est-il possible de mener une vie normale avec une insuffisance rénale chronique ?

Cécile Vandevivere : Il faut chasser cette idée que l’insuffisance rénale est une maladie de la personne âgée et de la fin de vie. Une proportion importante de patients est composée de sujets jeunes, atteints de diabète ou d’obésité, qui ignorent souvent que leur fonction rénale est altérée. La maladie rénale chronique doit être dépistée et prise en charge le plus tôt possible, pour instaurer au plus tôt des traitements néphroprotecteurs. La prise en charge actuelle permet de gagner dix ans dans l’évolution de la maladie. Ainsi, des patients jeunes avec une maladie rénale contrôlée par les traitements peuvent mener une vie quasi normale.

À l’exemple de certaines femmes dialysées qui deviennent mères et continuent à travailler.

avec la collaboration du Dr Isabelle Tostivint, néphrologue, présidente de l’association Lunne et membre de la Fondation du rein.