Les biosimilaires sont amenés à se déployer dans les prochaines années, au profit du système de santé et de l’économie officinale. Cependant, les fabricants de ces thérapeutiques rencontrent encore de nombreux obstacles. Entretien avec Sébastien Trinquard, directeur général du syndicat de génériqueurs et fabricants de biosimilaires (Gemme).
Publicité
Il est un peu compliqué d’obtenir des données récentes. Une certitude demeure : le Canada est précurseur. Il a mis en place une série de mesures ambitieuses pour soutenir et encourager le recours aux biosimilaires. Dans la plupart des provinces, le taux de pénétration est supérieur à 80 %. En Colombie-Britannique, l’utilisation des biosimilaires peut atteindre 93 % pour l’étanercept, l’adalimumab et l’insuline glargine. Ici, nous ne dépassons pas les 45 à 55 % pour ces thérapeutiques.
En France, le déploiement des biosimilaires a longtemps été porté par la prescription. Les pays où les taux de pénétration sont les plus élevés ont mis en œuvre des stratégies de diffusion qui impliquent l’ensemble des professionnels du médicament ainsi que les patients. Certains États, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Canada, ont même décidé de limiter la prise en charge totale aux seuls biosimilaires. La Finlande, l’Islande, la Norvège et les Pays-Bas commencent également à substituer largement.
Quel rôle le pharmacien va-t-il jouer dans le déploiement des biosimilaires ?
Lorsque les pharmaciens ont utilisé les médicaments génériques en remplacement, nous avons observé une accélération massive des taux de pénétration. Le même phénomène devrait se produire pour les biosimilaires dès 2025, une fois que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) aura rendu ses avis sur les thérapeutiques substituables. Lors des auditions réalisées par l’ANSM, le Gemme a défendu une approche pluriprofessionnelle pour renforcer le recours aux biosimilaires, impliquant tant le médecin que le pharmacien. Ce dernier, grâce à sa proximité avec le patient, peut faciliter l’acceptation d’un nouveau traitement. Le Gemme plaide pour une substitution pleine et entière par les biosimilaires.
Plusieurs gisements d’économies sont envisageables. Plus vite l’ANSM rendra ses avis sur les conditions de substitution des 11 groupes de biosimilaires, plus vite celle-ci pourra s’enclencher. L’économie attendue sur ces groupes est estimée à 80 millions d’euros, si cette pratique atteint un taux de pénétration de 80 %.
Mais d’autres leviers existent : la loi de financement de la Sécurité sociale de 2024 prévoit une substitution par les pharmaciens deux ans après la commercialisation d’un biosimilaire. Or, pendant cette période, l’Assurance maladie paie des traitements équivalents beaucoup plus chers. Supprimer ce délai permettrait de récupérer 120 millions d’euros. Opérer une telle modification nécessiterait de passer par la loi. D’ici 2030, les finances publiques pourraient économiser jusqu’à 7 milliards d’euros grâce à la multiplication de ces traitements, un grand nombre de molécules biologiques tombant dans le domaine public entre-temps.
Enfin, les hybrides substituables se limitent aujourd’hui à deux classes thérapeutiques. Le Gemme a identifié 33 nouvelles classes potentiellement substituables. Nous les avons communiquées à l’ANSM et au ministère de la Santé pour qu’elles soient évaluées. L’élargissement à ces 33 classes permettrait 80 millions d’euros d’économies supplémentaires.
À terme, le prix des biosimilaires pourrait-il décroître aussi fortement que celui des génériques ?
Un alignement serait destructeur de valeur pour ces produits et pourrait remettre en question les économies que nous venons d’évoquer. Comme le préconisent de nombreux rapports, les économies liées aux biosimilaires seront massives grâce à un effet de volume, et non à une baisse des prix de ces thérapeutiques.
La clause de sauvegarde n’est plus soutenable. Elle remet en question toute la viabilité du secteur des génériques et des biosimilaires. Ces médicaments supportent un prix bas au titre des économies attendues par leur développement, mais, paradoxalement, ce développement est sanctionné par la clause de sauvegarde. À droit constant, la clause de sauvegarde pourrait tripler en 2025 pour le secteur des génériques, faisant chuter la profitabilité à – 2,4 %. Le maintien de cette clause risquerait d’affecter l’accès aux traitements à un coût abordable. Nous souhaitons une application différenciée de cette disposition, qui exonérerait les produits générateurs d’économies.
Les remises sur les biosimilaires pourront-elles être identiques à celles des génériques ?
Si la question se pose, il est important que les remises ne remettent pas en cause la soutenabilité du modèle.
Actuellement, déjà, plusieurs biosimilaires ne sont pas lancés en France en raison d’un manque de perspectives de croissance. Le modèle économique de ces traitements est différent de celui des génériques. Les coûts de recherche et de production sont nettement plus élevés. Le processus d’enregistrement et d’évaluation est également beaucoup plus complexe, impliquant un plus grand nombre d’acteurs.
2023
Nommé directeur général de l’association Générique même médicament (Gemme)
2009-2023
Membre, puis conseiller du Comité économique des produits de santé (CEPS)
2008
Docteur en économie industrielle à l’université de Montpellier (Hérault).