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© Getty Images
Prix des médicaments : quand te reverrai-je, pays merveilleux ?
Entre des génériques soumis en permamence à la pression du tarif bas et des médicaments innovants aux coûts toujours plus élevés, la fixation du prix des médicaments interpelle associations et syndicats, qui craignent les conséquences pour les usagers.
Jusqu’au milieu des années 1990, l’État fixait unilatéralement le prix des médicaments, s’appuyant essentiellement sur le coût de production. Depuis 1994, le Comité économique du médicament (CEM), puis l’actuel Comité économique des produits de santé (CEPS), placé sous l’égide des ministères de la Santé et de l’Économie, ont repris les choses en main, selon un processus de négociation conventionnelle avec les industriels et des critères encadrés par la loi. Parmi ces éléments, la valeur thérapeutique est primordiale. Elle est évaluée selon l’amélioration du service médical rendu (ASMR), notée de 1 à 5, allant de l’amélioration significative à l’absence d’amélioration.
Comment valoriser un retour sur investissement des recherches ?
Différents acteurs sont impliqués dans le processus : les industriels, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ainsi que la Haute Autorité de santé (HAS). « La gouvernance est brinquebalante, avec un CEPS flottant entre les évaluateurs et les payeurs », estime l’économiste Frédéric Bizard, spécialiste des questions de protection sociale et de santé. « Un industriel ne fait pas ce qu’il veut », appuie cependant Juliette Moisset, directrice de l’accès et des affaires économiques du Leem (Les Entreprises du médicament), représentant de l’industrie pharmaceutique en France. La définition intègre la soutenabilité des comptes publics et le modèle économique des laboratoires, qui souhaitent obtenir un retour sur investissement pour les recherches ayant conduit au développement du médicament ; cela englobe tous les coûts associés à la recherche et au développement, y compris les échecs qui ont précédé ce traitement.
D’un côté les traitements innovants, de l’autre les génériques
Aujourd’hui, le marché du médicament recoupe deux réalités diamétralement opposées : d’un côté, les nouveaux médicaments innovants, qui s’appuient sur la recherche, et de l’autre, un marché de molécules anciennes reposant sur le volume. « Ces deux marchés sont extrêmement complémentaires, estime Frédéric Bizard. Ils doivent être vus comme partenaires et non l’un aux dépens de l’autre. Mais en France, nous avons affaibli les deux. »
Des génériques toujours moins chers
Le pays a en effet développé l’idée d’un prix constamment baissier pour les traitements les plus vieux. À titre d’exemple, l’actuel leader des spécialités génériques sur le territoire, Biogaran, produit environ 15 % de ses médicaments à perte. Or, même si certaines thérapeutiques datent de plusieurs années, elles peuvent jouer un rôle important dans le système de santé. Il s’agit de médicaments du quotidien ou de molécules indispensables pour administrer un produit innovant, notamment dans le domaine des chimiothérapies. « Cette stratégie de réduction des prix des médicaments entre parfois en friction avec d’autres objectifs, comme la sécurité d’approvisionnement ou la transition écologique », poursuit ainsi la représentante du Leem. L’ensemble de ces exigences requiert également des investissements.
Négocier au cas par cas les molécules
Selon l’économiste de la santé Nathalie Coutinet, le modèle français n’est pas le seul responsable. Elle estime que les grandes firmes n’ont pas joué le jeu en ce qui concerne les génériques. « L’idée était de mieux valoriser financièrement l’innovation et, en contrepartie, de moins rémunérer les molécules avec lesquelles les grosses firmes avaient déjà réalisé un gain important. Elles ont donné leur accord, mais, progressivement, elles se sont désengagées des génériques. À partir du moment où ce ne sont plus les Big Pharma qui les produisent, il est logique de négocier au cas par cas pour ces molécules très utiles : c’est une question de survie pour les entreprises. »
« Je considère que le CEPS s’est affaibli de manière très spectaculaire ces dernières années, jusqu’à en oublier sa mission première : garantir l’accès aux médicaments », complète Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Depuis longtemps, la ligne directrice consistait à financer l’innovation thérapeutique en baissant les prix des médicaments matures, analyse Pierre-Olivier Variot, son homologue de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (UPSO). Ce n’est plus possible, nous sommes arrivés au bout du système : il faut trouver un autre fonctionnement. Les génériques ne peuvent pas baisser davantage. »
Des prix inférieurs de 15 à 30 % du marché européen
En effet, les prix de certains médicaments essentiels sont aujourd’hui entre 15 et 30 % moins chers que ceux pratiqués dans d’autres pays européens. Résultat ? Les laboratoires privilégient les États les plus offrantsce qui entraîne des difficultés d’approvisionnement et aggrave les pénuries en France. Depuis presque cinq ans, les officinaux pallient, mais à quel prix ! Selon l’UPSO, les manques occasionnent 12 heures de travail supplémentaires par semaine. « Tous les jours ou tous les deux jours, nous devons dresser une liste de pénuries, appeler les grossistes et les laboratoires un par un, etc., explique Pierre-Olivier Variot. Nous consommons du temps médical sans parler des angoisses pour certains patients inquiets à l’idée de ne pas obtenir leur traitement. »
Une vision globale nécessaire
« Nous sommes au bout d’un cycle, confirme Frédéric Bizard. La régulation par le prix est absolument stratégique : trop bas, ils nuisent à la capacité de disposer de suffisamment de volumes ; trop hauts, ils engendrent des difficultés pour satisfaire la demande. Nous avons besoin de déterminer plus justement le prix d’un médicament tout au long de ses phases de vie. »
Contrairement aux thérapeutiques anciennes, les médicaments innovants se vendent cher, au point de mettre en péril le système de santé. « Nous devons étudier l’impact d’un investissement en médicament sur l’ensemble du système de soins : a-t-il permis d’économiser des soins dans le reste du système de santé ? Cela concerne non seulement les coûts directs, mais aussi les arrêts de travail et la mobilisation des aidants. Nous appelons à une vision plus globale », estime Juliette Moisset.
La logique financière des groupes dénoncée
Cette perspective est décriée par de nombreux économistes de la santé, à l’instar de Nathalie Coutinet. « L’argument des firmes repose davantage sur le coût de l’arbitrage que sur ceux du développement. La question est : combien le traitement va faire gagner à la société ? “Un traitement à 52 000 € vous reviendra moins cher qu’un patient souffrant d’une hépatite C à vie, par conséquent votre système de remboursement sera gagnant, donc vous devez accepter notre prix”. La démarche est cynique. »
Beaucoup d’associations de patients dénoncent également la logique financière des firmes et les bénéfices exceptionnels liés au business du médicament. « Je connais peu de secteurs générant des marges de 15 à 40 % », souligne Gaëlle Krikorian, chercheuse en sciences sociales et militante dans les domaines de l’accès aux soins. « Le médicament est un bien essentiel sur lequel il devrait être impossible de spéculer. Il s’agit de vie, de survie. Le niveau de profit devrait être plafonné. » Des désaccords idéologiques s’ajoutent à un questionnement sur les coûts réels de production. Les industriels bénéficient, en effet, d’aides comme le crédit d’impôt recherche pour soutenir le caractère novateur des thérapies. « Depuis deux ans, les industriels sont obligés de déclarer les financements publics perçus pour la recherche et le développement », expose Catherine Simonin-Bénazet, membre du bureau de France Assos Santé. En 2021, sept laboratoires ont rapporté avoir perçu un total de 3,08 millions d’euros d’aides. En 2022, deux laboratoires ont déclaré seulement 194 202 €. Quand on sait que la Ligue contre le cancer finance, à elle seule, 40 millions d’euros, la sous-déclaration est complète ! »
Des craintes pour l’avenir
Aujourd’hui, les acteurs de la société civile craignent pour le modèle de soins à la française. « De plus en plus de molécules sont déremboursées pour supporter le coût de l’innovation. D’une certaine manière, les patients paient plusieurs fois leur traitement : à travers les impôts pour subventionner l’innovation, les cotisations sociales pour accéder aux médicaments, les complémentaires santé, etc. », pointe Nathalie Coutinet.
« Il y a vingt-cinq ans, les problèmes d’accès aux traitements touchaient essentiellement les pays les plus pauvres, dans le contexte de l’épidémie de sida. Progressivement, depuis 2012-2016, nous avons vu les difficultés d’abord liées aux prix élevés, puis à l’accès aux médicaments, devenir des enjeux dans les pays riches. »
Parmi les solutions envisagées : solliciter la fabrication de certaines molécules par l’État ou des coopératives, comme aux États-Unis, ou encore mutualiser la production avec l’Union européenne, comme ce fut le cas pour les vaccins contre le Covid-19. « Je pense qu’en France nous devenons trop petits pour disposer seuls de leviers de négociation suffisants avec les firmes », estime ainsi Philippe Besset, afin de prévenir une santé à deux vitesses.
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