Pénuries de médicaments : les pharmaciens doivent-ils redouter l’hiver à venir ?

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Pénuries de médicaments : les pharmaciens doivent-ils redouter l’hiver à venir ?

Publié le 14 octobre 2024
Par Sana Guessous
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Les hivers se suivent et se ressemblent… En 2023, on dénombrait 4 925 médicaments en tension ou en rupture contre 3 761 l’année précédente. Les pénuries pèsent autant sur le moral des patients que sur celui des officinaux, contraints de passer des heures à chercher des alternatives. Le nouveau plan hivernal du gouvernement changera-t-il la donne ?

Chaque jour, de nouvelles molécules en tension ou en rupture d’approvisionnement viennent grossir les rangs de celles recensées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). « Le nombre de médicaments en rupture signalé par le gendarme du médicament ne baisse pas. C’est alarmant », s’inquiète Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Alors qu’en 2008, seuls « 44 médicaments étaient déclarés en rupture de stock en France », fait remarquer Joël Ankri, professeur de santé publique à l’université Paris-Saclay, les signalements se sont multipliés de manière exponentielle ces dix dernières années. Depuis deux ans, la tendance s’aggrave même : « En 2023, il y a eu 30 % de plus de ruptures de médicaments qu’en 2022 soit six fois plus qu’en 2018 », s’alarme Alexandre de la Volpilière, directeur général par intérim de l’ANSM. 

Des patients en détresse

L’impact sur les patients est préoccupant. D’après une étude BVA réalisée pour France Assos Santé en mars 2023, 37 % des Français n’ont pas été en mesure de se procurer les médicaments qui leur avaient été prescrits dans leur officine. « Les conséquences pour les patients vont être liées à un retard de prise en charge, à une hospitalisation prolongée avec ses répercussions propres, à une angoisse ou une majoration de l’angoisse, aux erreurs médicamenteuses liées aux alternatives thérapeutiques mises à disposition dans ce contexte particulier. Surtout, ces pénuries peuvent conduire à une perte de chance mettant en jeu le pronostic vital », confiait déjà Joël Ankri, dans la revue du Haut Conseil de la santé publique en 2022.

Dans les officines, les ruptures désorganisent l’offre et la continuité de soins, et font perdre leur temps aux pharmaciens. « Nous en pâtissons chaque jour. Nous passons chaque année des dizaines d’heures à chercher des médicaments de substitution, à appeler nos fournisseurs ou le médecin, à orienter le patient vers d’autres pharmacies. Ces pénuries nous empêchent de répondre au mieux aux besoins des patients », regrette Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).

Des mesures gouvernementales insuffisantes ?

Une feuille de route pour lutter contre les pénuries de médicaments a été dévoilée par le gouvernement en février 2024. Très attendu par l’ensemble des acteurs du soin, ce plan d’action qui se déploie jusqu’en 2027 prône une sécurisation des chaînes d’approvisionnement pour un catalogue de 450 médicaments dits « essentiels. » Le texte, qui juge défaillants les systèmes d’information sur les flux et les stocks de médicaments, souhaite aussi « renforcer et diversifier les signaux de détection des situations de tension et de rupture via des canaux d’information complémentaires permettant de remonter les signaux faibles concernant les difficultés d’approvisionnement constatées. »

Les médecins sont mis à contribution, invités à moins prescrire les médicaments en pénurie et à se tourner vers des listes de molécules équivalentes élaborées par les agences de santé, auxquelles les pharmaciens auraient également accès. Ces derniers sont priés, eux, de se fournir auprès des grossistes-répartiteurs plutôt que directement auprès des laboratoires, pour éviter une répartition inéquitable des médicaments entre les officines. Enfin, le plan antipénurie entend relocaliser la production des médicaments mais aussi « éviter les départs. Désormais, si un industriel veut arrêter un médicament important, il devra tout faire pour trouver un repreneur », a assuré Roland Lescure, ancien ministre chargé de l’Industrie, lors de la présentation de ce plan.

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Sur les 450 médicaments surveillés de près par l’ANSM, 147 sont jugés prioritaires à la relocalisation par la direction générale des entreprises (DGE). Un chantier qui a commencé en juin 2023, lorsque le président de la République, Emmanuel Macron a annoncé le lancement de huit projets de relocalisation ainsi que des investissements de 160 millions d’euros pour, entre autres, augmenter la production d’amoxicilline.

Ces mesures n’ont, pour l’heure, pas d’effet significatif sur les pénuries. En mars, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi durcissant les règles de stockage de médicaments pour les laboratoires pharmaceutiques. Ce texte, aux mains désormais des sénateurs, suggère d’imposer l’équivalent de quatre mois de stocks pour l’ensemble des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM). Cette obligation ne concerne actuellement que les MITM ayant fait l’objet de pénuries durant les deux dernières années.

La délicate mission de l’Agence du médicament

C’est en vertu de cette obligation légale que l’ANSM a prononcé en septembre une sanction inédite de 8 millions d’euros à l’encontre de onze laboratoires ayant contrevenu au respect des stocks. « Ce montant est proportionné à la gravité des manquements constatés », affirme le gendarme du médicament, qui juge indispensable « l’action collective de tous les acteurs de la chaîne pharmaceutique » pour endiguer « les pénuries mondiales de médicaments. » Pour l’économiste Frédéric Bizard, cette sanction est contreproductive : « Contrairement aux labos spécialisés dans les médicaments innovants, ceux qui produisent les molécules anciennes à large consommation ont un modèle économique à faible marge. Ce sont ces fabricants qui sont pénalisés par l’ANSM. Il faut au contraire les laisser faire un minimum de profit afin qu’ils ne quittent pas le marché. » Il y a quelques jours, les industriels des génériques ont d’ailleurs menacé de cesser la fabrication de centaines de médicaments peu rentables après avoir pris connaissance du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) maintenant la clause de sauvegarde à un niveau trop élevé à leur goût.

L’hiver, saison charnière pour les stocks de médicaments

Afin d’assurer l’approvisionnement, le plan hivernal a été activé pour la deuxième année consécutive le 9 octobre dernier. Il vise à surveiller étroitement les stocks de 13 molécules cruciales : antibiotiques, antipyrétiques, antiasthmatiques… Face à l’épidémie de coqueluche en cours, deux antibiotiques ont été ajoutés à la liste : l’azithromycine buvable (40 mg/ml) et la clarithromycine buvable (25 mg/ml et 50 mg/ml). Particulièrement en tension, cette dernière molécule devra elle aussi être approvisionnée uniquement via les grossistes-répartiteurs, comme c’est le cas depuis juillet 2024 pour les formes pédiatriques d’amoxicilline et d’amoxicilline/acide clavulanique.

« Le plan hivernal est mieux conçu. Avant, nous avions un fonctionnement reposant sur la situation des stocks en temps réel, explique Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. Avec ce dispositif, on tient aussi compte des tendances des années précédentes, ce qui permet de mieux anticiper les pics de pénuries. »

Moins rassurée, Lucie Bourdy-Dubois, présidente de la commission Métier pharmacien à la FSPF, souhaite que l’ANSM s’engage à assurer un approvisionnement continu de ces médicaments essentiels, en particulier l’amoxicilline buvable. « Nous avons besoin de visibilité, car l’année dernière, beaucoup de pharmacies ont été échaudées et se sont retrouvées, en pleine garde, sans stock et incapables de faire face aux besoins des patients. »