Entrée au capital, blocage de l’opération : que peut faire l’État dans le dossier Doliprane ?

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Entrée au capital, blocage de l’opération : que peut faire l’État dans le dossier Doliprane ?

Publié le 18 octobre 2024
Par Christelle Pangrazzi
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Face aux inquiétudes autour du possible passage du producteur du Doliprane sous le contrôle du fonds américain CD & R, l’État dispose de plusieurs moyens de pression, des simples « engagements écrits » jusqu’à un hypothétique blocage de l’opération.

Depuis que Sanofi a confirmé vendredi négocier avec le fonds d’investissement pour lui céder une participation majoritaire dans Opella, l’entité qui produit le Doliprane, des responsables politiques et syndicats alertent sur le risque de suppressions d’emplois, voire de délocalisation de la production du médicament le plus vendu en France.

Le gouvernement a jusqu’ici évoqué trois stratégies pour « garantir que la France soit protégée », comme l’a souhaité le président Emmanuel Macron lundi, si l’opération se concrétisait.

Demander des garanties

« Ce gouvernement prend l’engagement de maintenir le Doliprane en France », a assuré mercredi au Sénat le ministre de l’Économie Antoine Armand, ajoutant que « le maintien de l’emploi est la priorité absolue et ne sera pas négociable ». Opella compte 1 700 salariés en France, dont 500 sur son site de Compiègne (Oise) et 250 à Lisieux (Calvados).

La ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, demande pour sa part « trois garanties : d’abord, la garantie que le Doliprane [soit] produit en France ; la garantie d’approvisionnement normal des pharmacies pour l’accès de nos concitoyens ; et la garantie que les stocks seront suffisants ».

Quelques jours plus tôt, en visite sur le site de Lisieux, Antoine Armand avait menacé de « sanctions » si les engagements demandés aux parties prenantes n’étaient pas respectés.

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Selon la porte-parole du gouvernement, Maud Bergeron, « notre objectif n’est pas de bloquer la vente, c’est d’arriver par le dialogue à obtenir des engagements écrits » de CD & R.

Pour Humberto De Sousa, représentant de la CFDT chez Sanofi, reste cependant à savoir « si les engagements tiendront si le conseil d’administration bascule côté américain ».

Selon le syndicaliste, la direction de Sanofi « n’a pas bougé d’un iota, elle a toujours l’intention de vendre (et déroule le plan, quelles que soient les injonctions du gouvernement », regrette-t-il.

Entrer au capital

Présent via l’Agence des participations de l’État (APE) au capital de 85 entreprises, l’État n’exclut pas de prendre une participation dans Sanofi. Le gouvernement est prêt à étudier « une prise de participation », a avancé mardi Antoine Armand devant les députés.

Dans un récent entretien à l’AFP, le patron de l’APE, Alexis Zajdenweber, a rappelé que l’État avait vocation à intervenir dans les entreprises « essentielles à la souveraineté nationale », « les grandes entreprises qui jouent un rôle pour l’intérêt général » ou les entreprises en difficulté « qui présentent un risque systémique ».

Si la nécessité de maintenir la souveraineté sanitaire française a été invoquée dans les débats autour de la cession du contrôle d’Opella, l’État n’est guère présent au capital d’entreprises du secteur de la santé ou de l’industrie pharmaceutique.

Principalement investie dans les secteurs de l’énergie (EDF, Engie…), de la défense (Dassault, Thales…) ou des transports (SNCF), l’APE revendique une approche « pragmatique », selon Alexis Zajdenweber.

« L’État intervient lorsque l’investisseur privé ne peut pas ou ne veut pas jouer un rôle comme l’État le juge nécessaire », développe-t-il.

Bloquer l’opération

Dans certains secteurs stratégiques (défense, énergie, technologie…), la direction générale du Trésor peut contrôler les investissements étrangers, à condition que l’investisseur ne soit pas européen et franchisse le seuil de 10 % des droits de vote d’une société cotée.

Selon Antoine Armand, « l’ensemble de la procédure de contrôle des investissements étrangers » en France sera mobilisée si la vente devait être confirmée.

Cependant, pour Vincent Brenot, avocat associé du cabinet August Debouzy, « juridiquement, il est loin d’être acquis que cette opération entre dans le champ d’application du contrôle des investissements étrangers ».

« Acquérir une entreprise qui fabrique un produit largement produit par d’autres opérateurs français ne remet pas en cause, de mon point de vue, la protection de la santé publique au niveau national », ajoute-t-il auprès de l’AFP.

En 2023, Bercy a été saisi de 309 dossiers au titre du contrôle des investissements étrangers. 120 opérations ont été soit bloquées, soit déclarées inéligibles à la procédure de contrôle des investissements étrangers en France.