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2/7 – Femme enceinte et tabac : quand la prise en charge devient urgente
En France, on estime que 30 % des femmes fumaient avant leur grossesse et que 16 % d’entre elles continuent de fumer au troisième trimestre.
Les raisons d’arrêter
En plus de ses méfaits habituels, le tabagisme actif ou passif expose la femme enceinte et son enfant à un risque accru de complications.
Chez la mère et le fœtus
Le tabac est incriminé dans une augmentation du risque de grossesse extra-utérine, de fausse couche spontanée, d’hématome rétroplacentaire. Pour le fœtus, il est lié à un risque accru de prématurité, de retard de croissance intra-utérin avec déficit pondéral, de réduction du périmètre crânien et de mort fœtale in utero. Il est aussi responsable d’une hypoxie chronique avec une augmentation du rythme et du débit cardiaques, une diminution globale des mouvements et une perturbation de la croissance pulmonaire.
Chez le nouveau-né
L’exposition à la fumée augmente le risque de mort subite du nourrisson et favorise la survenue d’infections respiratoires et d’asthme (risque notamment majoré en cas de tabagisme passif postnatal). Elle modifie, par ailleurs, le goût et la composition du lait maternel : diminution du taux de lipides, de vitamine C et E, présence, entre autres, de métaux lourds comme le cadmium.
Des études indiquent des effets sur le développement psychomoteur et cognitif : si la part des facteurs environnementaux et génétiques reste à préciser, le tabagisme de la mère et la prématurité liée au tabac ont été significativement associés à des difficultés intellectuelles modérées et des troubles des apprentissages et de l’attention avec hyperactivité. Un risque accru d’addictions à l’âge adulte est également avancé.
Question de patiente : « Il vaut mieux fumer un peu ou communiquer mon stress à mon bébé ? »
Le stress de la mère généré par l’arrêt est dans tous les cas moins nocifs pour le fœtus que l’exposition au tabac. Cette dernière génère un stress fœtal direct mesurable, notamment par la diminution des mouvements et l’augmentation de sa fréquence cardiaque. Garder quelques cigarettes de « secours » pour le protéger en cas de stress passager est une fausse croyance !
Particularités du sevrage
Un caractère urgent
Plus l’arrêt du tabac intervient tôt durant la grossesse, plus les bénéfices sont importants pour la mère et l’enfant, le temps de sevrage est donc particulièrement court par rapport à la population générale.
Une pression forte
La femme enceinte fumeuse est soumise à la pression de la société, de son entourage et à son propre sentiment de culpabilité, ce qui peut la fragiliser psychologiquement mais aussi servir positivement sa motivation.
Un phénomène de compensation
La femme enceinte a tendance à diminuer sa consommation quotidienne mais, en raison de la dépendance nicotinique, à tirer inconsciemment davantage sur une cigarette, entretenant ainsi un niveau de toxicité équivalent.
Un arsenal limité
Les traitements nicotiniques de substitution sont les seules aides pharmacologiques recommandées chez la femme enceinte. Selon les autorisations de mise sur le marché, le bupropion ne doit pas être utilisé et la varénicline évitée par mesure de précaution. Les femmes sous traitement lors de la découverte de leur grossesse doivent cependant être rassurées, les données d’exposition au premier trimestre étant nombreuses et sans effet toxique constaté.
Un taux de rechute élevé
Il est estimé à 30 % juste après l’accouchement et jusqu’à 80 % au cours de l’année suivante (anxiété ou dépression post-partum, entourage du fumeur, recherche de perte de poids, etc.). Ces rechutes exposent le nourrisson puis l’enfant aux risques du tabagisme passif.
La prise en charge
La stratégie
Les bénéfices de l’arrêt sont d’autant plus importants que l’abstinence est précoce, l’idéal étant d’arrêter complètement et le plus tôt possible. L’arrêt, ou, le cas échéant, la réduction de la consommation, est néanmoins toujours bénéfique pour la mère et l’enfant, quel que soit le terme de la grossesse ou en post-partum, que la mère allaite ou non.
La Haute Autorité de santé recommande en première intention une prise en charge psychologique et/ou comportementale puis, si besoin, l’utilisation de traitements substitutifs. En pratique, les tabacologues proposent souvent les traitements substitutifs systématiquement, quelle que soit la consommation initiale de tabac, pour faciliter l’arrêt et/ou diminuer la consommation : le traitement limite ainsi rapidement l’exposition du fœtus au monoxyde de carbone et permet d’améliorer les échanges placentaires.
Une vigilance particulière est nécessaire au moment de l’accouchement pour limiter le risque de rechute.
Le tabagisme passif est à prendre en compte pour ses effets nocifs et parce qu’il met en péril les chances d’arrêt de la mère. A minima, la fumée est à éviter et l’entourage doit se voir proposer une aide au sevrage.
Les substituts nicotiniques
Bien que la nicotine passe le placenta, aucun effet fœtotoxique n’a été observé avec aucun type de traitement substitutif. Le poids de naissance et le taux de prématurité des enfants de mère sous substitut semblent par ailleurs améliorés par rapport aux enfants nés de mères fumeuses. Dans tous les cas, les traitements substitutifs sont préférables à la nicotine du tabac, qui est inhalée avec de nombreuses substances toxiques, et ce, quel que soit le terme de la grossesse.
Toutes les formes de traitements substitutifs sont utilisables, mais le spray buccal, qui contient de l’alcool, nécessite un avis médical. En début de grossesse surtout, les formes orales peuvent être mal tolérées en raison des modifications des perceptions olfactives et gustatives ainsi que des nausées : les patchs leur sont alors préférables, idéalement ôtés au coucher (patch « 16 heures ») pour éviter l’accumulation de nicotine. Pour la femme enceinte fumant dès le lever, on prescrira transitoirement des formes « 24 heures » le temps qu’elle arrive à retarder la première cigarette (30 minutes après le lever).
L’évaluation de la dépendance au tabac s’avère plus difficile qu’en population générale. La femme enceinte a tendance à diminuer sa consommation en raison d’un sentiment de culpabilité ou des nausées avec un possible phénomène de compensation. Le test de Fagerström pouvant alors sous-évaluer la dépendance, il est préférable de se baser sur la consommation avant la grossesse.
La titration des traitements nicotiniques de substitution peut également être plus difficile à évaluer, les équivalences habituelles entre consommation et dose de nicotine étant moins applicables en cas de phénomène de compensation. Par ailleurs, la cinétique de la nicotine différant chez la femme enceinte en raison d’une plus forte hémodilution (augmentation du volume sanguin), il peut être nécessaire de mettre une dose plus forte pour un même effet qu’en population générale : penser qu’il vaut mieux un « petit dosage » chez la femme enceinte est un mauvais réflexe qui augmente le risque d’échec par maintien des signes de manque. Plus la grossesse avance, plus l’hémodilution est importante, et la femme, moins nauséeuse, peut avoir davantage envie de fumer qu’au premier trimestre : il peut donc paradoxalement être nécessaire d’augmenter les doses pour mieux gérer les signes de sevrage en fin de grossesse. Plus encore qu’en population générale, les dosages doivent donc être adaptés selon le ressenti de la patiente, en associant si besoin des formes orales aux patchs pour mieux gérer les fluctuations.
Les professionnels compétents
Idéalement, pour associer un accompagnement psychologique au traitement pharmacologique, la prise en charge est initiée dans le cadre d’une consultation spécialisée en tabacologie, voire d’une prise en charge pluridisciplinaire avec des professionnels formés aux thérapies comportementales et cognitives.
Les sages-femmes spécialisées en tabacologie sont des professionnels de référence pour ce profil. Leurs actions, des webséries et des plaquettes d’accompagnement des patientes, sont disponibles sur le site de l’Association nationale des sages-femmes tabacologues addictologues françaises : enceintejarretedefumer.fr. Le droit de prescription des substituts nicotiniques par les sages-femmes s’étend à l’entourage de la femme enceinte ou allaitante.
Le pharmacien joue un rôle déterminant dans le repérage et l’information des femmes enceintes fumeuses ou exposées au tabagisme passif, notamment à l’occasion de l’entretien court de la femme enceinte. Il intervient dans le conseil d’arrêt, le suivi du sevrage et l’ajustement des dosages selon les signes ressentis. « Si le pharmacien est motivé et formé au sevrage tabagique, il peut tout à fait prendre en charge seul l’arrêt du tabac chez la femme enceinte, en s’appuyant si besoin sur Tabac info service et les documents du Cespharm. La prescription des traitements substitutifs par le pharmacien sera une bonne chose car plus le circuit est raccourci, plus on augmente les chances de succès » précise la Dre Catherine de Bournonville, pneumologue et tabacologue au centre hospitalier universitaire de Rennes (Ille-et-Vilaine).
Des effets à surveiller en particulier
La prise de poids. L’arrêt du tabac peut provoquer des fringales avec un risque de prise de poids majorée pour la femme enceinte. Dans ce cas, revoir les dosages de traitements substitutifs, les fringales étant un signe possible de sous-dosage.
La constipation. La nicotine du tabac stimulant le péristaltisme intestinal, il n’est pas rare de constater, lors du sevrage, une constipation passagère, qui est aussi un désagrément connu de la grossesse. Pour en limiter le risque, veiller à apporter un dosage suffisant en substitut nicotinique et adopter des règles hygiénodiététiques habituelles : boire au moins 1,5 litre d’eau par jour, se présenter à heure fixe à la selle, faire de l’exercice, augmenter la ration de fibres alimentaires, etc. La constipation éventuelle liée à l’arrêt du tabac cède généralement après quelques semaines.
« La culpabilité des mères peut devenir un tremplin positif »
La Dre Catherine de Bournonville, pneumologue et tabacologue au centre hospitalier universitaire de Rennes (Ille-et-Vilaine), partage son expérience sur les particularités du sevrage tabagique de la femme enceinte.
« Les femmes enceintes et fumeuses ressentent souvent de la culpabilité. Ce sentiment peut correspondre à un conflit entre leur désir d’être une “bonne mère” (qu’il faut valoriser) et cette addiction contre laquelle elles se sentent impuissantes. Lors de l’entretien motivationnel, on peut évoquer ce point en le reformulant de la façon suivante : “vous vous sentez coupable parce que vous voulez le meilleur pour votre bébé”. Ainsi, on transforme cette énergie négative en énergie positive, en mettant en lumière ce que la mère désire de bien pour son enfant et en participant à l’installation du lien mère-enfant. Il faut aussi être attentif à une femme enceinte qui n’exprime pas de culpabilité car parfois cela peut signifier qu’elle s’interdit d’arrêter de fumer car elle va mal dans son devenir de mère et qu’elle a besoin d’une aide particulière. »
Pendant l’allaitement
La nicotine (et ses dérivés) passent dans le lait, qu’elle soit inhalée ou délivrée par un traitement substitutif, avec une demi-vie d’élimination qui varie entre 60 et 90 minutes. Comme pour la grossesse, l’utilisation d’un traitement substitutif est préférable à la fumée, qui contient d’autres toxiques. Aucun élément inquiétant n’ayant par ailleurs été signalé chez les enfants allaités de mère sous traitement substitutif.
Durant l’allaitement, tous les traitements de substitution peuvent être utilisés, mais les formes orales sont parfois préférées : prises à distance de la tétée, elles limitent la quantité de nicotine ingérée par l’enfant.
Pour les mères allaitantes n’arrivant pas à arrêter, il est conseillé de fumer le moins possible, juste après la tétée, hors du domicile, et d’attendre 2 heures après la dernière cigarette pour remettre l’enfant au sein. Même si la maman fume, il faut encourager l’allaitement, qui est toujours bénéfique pour leur enfant. Un allaitement exclusif qui se poursuit au-delà du quatrième mois est même recommandé afin de contrebalancer certains effets délétères du tabagisme maternel.
Traitement nicotinique de substitution et pictogramme « danger » : il faut rassurer !
Bien qu’ils aient une autorisation en cours de grossesse, les traitements nicotiniques de substitution doivent apposer depuis 2017 sur leur boîte un pictogramme mettant en garde contre leur utilisation chez la femme enceinte. En 2018, la Société francophone de tabacologie soulignait le risque d’un impact négatif majeur sur l’acceptabilité et l’observance du traitement par les patientes, alors même qu’il s’agit du seul autorisé au cours de la grossesse.
Rassurer les femmes enceintes est important : il n’y a, à ce jour, aucun risque tératogène ou fœtotoxique associé à l’utilisation des traitements substitutifs, et la nicotine qu’ils délivrent est préférable à celle des cigarettes, inhalée avec des milliers de substances toxiques.
Avec l’aimable collaboration de la Dre Catherine de Bournonville, pneumologue et tabacologue au centre hospitalier universitaire de Rennes (Ille-et-Vilaine) et de Ghislaine Le Scanff, sage-femme (détentrice d’un diplôme interuniversitaire périnatalité et addictions) au centre hospitalier de Morlaix (Finistère)
Article issu du cahier Formation du n°3514, paru le 18 mai 2024
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