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- 1/7 – Arrêt du tabac : les stratégies de sevrage en fonction du profil du fumeur

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1/7 – Arrêt du tabac : les stratégies de sevrage en fonction du profil du fumeur
Après une baisse significative entre 2010 à 2019, la prévalence du tabagisme en France s’est stabilisée : en 2021, 32 % des 18-75 ans déclaraient fumer, dont 25 % quotidiennement. 59 % des fumeurs quotidiens exprimaient néanmoins leur envie d’arrêter et 30 % d’entre eux avaient tenté de se sevrer dans les 12 derniers mois.
De nouvelles recommandations sont en cours d’élaboration par la Haute Autorité de santé (HAS) pour une meilleure prise en compte des problématiques actuelles (entrée dans la dépendance par le vapotage ou le cannabis notamment). En attendant, la prise en charge suit les recommandations de bonnes pratiques éditées en 2014. Bien codifiée, la stratégie s’applique à tous, mais certains profils nécessitent une attention particulière.
La dépendance
Le tabac, quelles qu’en soient la forme et la voie d’administration (cigarettes, chicha, « joints » de cannabis, tabac sucé ou prisé, etc.), entraîne une triple dépendance :
- physique, principalement liée à la nicotine qui module la libération de certains neurotransmetteurs, dont la dopamine qui procure un effet « plaisir ». Inhalée, elle atteint en moins de 10 secondes les récepteurs nicotiniques du système nerveux central. La demi-vie de la nicotine est en moyenne de 2 heures : la nicotinémie, maximale à la fin de la cigarette, diminue progressivement, provoquant un sentiment de manque. En parallèle, le nombre de récepteurs nicotiniques du cerveau augmente, créant une tolérance au tabac (besoin de fumer davantage pour les mêmes effets). Ce mécanisme est renforcé par la capacité du fumeur à contrôler les doses en tirant plus ou moins sur la cigarette (autotitration) ;
- comportementale, en raison de réflexes conditionnés en lien avec le tabagisme (cigarette en fin de repas, avec un café, au moment de l’apéritif, d’une pause, etc.) ;
- psychologique, lorsque le fumeur utilise le tabac pour gérer ses émotions.
Prise en charge en population générale
Les principes
- Quels que soient l’âge et le niveau de consommation, l’arrêt du tabac est bénéfique en matière de mortalité et de morbidité.
- Tous les professionnels de santé sont concernés par le dépistage de la consommation, le conseil d’arrêt, la proposition d’un accompagnement et l’information sur les bienfaits du sevrage. La brochure « Arrêter de fumer : pour comprendre » de Santé publique France peut venir en support.
- L’aide à l’arrêt est idéalement une décision partagée entre le patient et un professionnel dont l’accompagnement a montré son efficacité pour optimiser les chances de sevrage et limiter le risque de rechutes. Les patients non réceptifs sont orientés vers des structures d’aide en ligne.
- L’objectif est l’arrêt du tabac et son maintien sur le long terme. Cet arrêt peut être obtenu de façon immédiate ou progressive. Un suivi régulier est nécessaire jusqu’à l’arrêt, et après pour limiter le risque de rechutes.
La stratégie
En première intention
Le soutien psychologique par un professionnel est indiqué, a minima une écoute active, des conseils, un suivi lors d’entrevues individuelles. La pratique de l’entretien motivationnel* est conseillée pour limiter le découragement et la résistance au changement, voire des thérapies psychocomportementales spécialisées. Si besoin, un traitement nicotinique de substitution est mis en place pour une durée minimale recommandée de 3 mois.
Actuellement, la prise en charge des traitements de substitution n’est possible que sur prescription par les médecins, les infirmiers, les dentistes, les kinésithérapeutes et les sages-femmes, mais le programme national de lutte contre le tabac 2023-2027 prévoit, après expérimentation en régions, que le pharmacien puisse prescrire les traitements nicotiniques de substitution à l’issue d’un entretien motivationnel.
* Approche relationnelle empathique et sans jugement centrée sur le patient, ayant pour objectif de lui faire trouver ses propres motivations et ressources pour changer son comportement.
En deuxième intention
En cas d’échec, le bupropion (inhibiteur de la recapture des catécholamines) ou la varénicline (agoniste partiel des récepteurs nicotiniques), indisponible à ce jour, peuvent être prescrits par un médecin, mais le public cible est plus restreint et les effets indésirables neurologiques fréquents.
Les traitements substitutifs en pratique
Sous forme orale ou transdermique, ils visent à combler le manque de nicotine pour limiter les symptômes du sevrage. Sans effet « shoot », leur diffusion est progressive et ne semble pas induire de dépendance, même à long terme. Leur efficacité contre placebo est démontrée, quelle que soit la forme et sans supériorité de l’une par rapport à une autre, avec un taux d’abstinence à 6 mois doublé.
L’association de formes transdermiques, qui maintiennent une nicotinémie constante, et de formes orales, pour répondre aux envies résiduelles de fumer, est jugée plus efficace. Le dosage initial (titration) est déterminé selon l’évaluation de la dépendance via le test de Fagerström, puis ajusté selon le ressenti du patient. Un suivi hebdomadaire est conseillé en début de sevrage.
La diminution des doses doit être progressive en fonction du ressenti du patient. Idéalement, le sevrage doit s’étaler sur 3 à 6 mois, mais les paliers de doses des substituts peuvent être prolongés aussi longtemps que nécessaire. Les effets indésirables qui apparaissent le plus fréquemment sont ceux d’un sur- ou sous-dosage. Les formes orales sont susceptibles de provoquer des hoquets, des nausées ou des dyspepsies, notamment si la salive est avalée trop rapidement. Les patchs pouvant entraîner des réactions d’irritation locale, il est recommandé de changer chaque jour d’emplacement.

Profils particuliers
Le contexte de sevrage peut imposer des points de vigilance spécifiques, voire une adaptation de la stratégie de prise en charge chez certains patients à « profil particulier ».
Situations « à risque »
Parmi les facteurs qui peuvent complexifier la prise en charge, on distingue :
- le caractère d’urgence : il impose un délai court de sevrage, notamment pour la femme enceinte ou les patients atteints de cancer ;
- les risques accrus d’échec : entre autres, les échecs répétés, les coaddictions, la très forte dépendance ;
- le risque de décompensation ou d’aggravation d’une pathologie (antécédents anxiodépressifs, diabète, pathologies cardiovasculaires, etc.) ;
- le risque de déséquilibre d’un traitement chronique à marge thérapeutique étroite, notamment s’il est déstabilisé par l’effet inducteur enzymatique du tabac ;
- une variation du métabolisme de la nicotine d’origine physiopathologique (grossesse, polymédication, etc.) ;
- l’entrée dans la dépendance à l’âge adolescent, fréquemment par l’intermédiaire de nouvelles consommations (narguilé, vapoteuse, cannabis, etc.).
En pratique
La démarche générale d’arrêt du tabac reste la même qu’en population générale, mais doit s’adapter aux particularités de chaque profil. Les personnes les plus à risque doivent bénéficier d’un dépistage prioritaire du tabagisme et le conseil d’arrêt doit mettre en avant les bénéfices spécifiques à chaque profil (effets sur le risque cardiovasculaire ou sur le fœtus notamment). L’évaluation de la motivation et de difficultés psychosociales ne doit pas être négligée, en particulier chez les adolescents, en cas de coaddictions, de motivation ambivalente. L’évaluation de la dépendance et le titrage des traitements substitutifs doivent s’adapter aux particularités physiopathologiques. Les traitements en cours et les pathologies intercurrentes doivent être surveillés lors de la phase de sevrage.
Vapotage : une alternative pour certains fumeurs uniquement
En 2022, la Haute Autorité de santé rappelait qu’il n’y a pas de preuves scientifiques suffisantes que le vapotage constitue une aide à l’arrêt du tabac. Elle admet, cependant, qu’en cas d’échec ou de mauvaise adhésion aux traitements, les produits du vapotage pourraient être utilisés pour les fumeurs fortement dépendants (sauf femme enceinte) et/ou vulnérables (coaddictions, comorbidités, etc.) dans une démarche stricte d’arrêt du tabac, la consommation de tabac simultanée (vapo-fumage) n’étant pas associée à une diminution des risques. Les consommateurs doivent s’assurer de la conformité des liquides de vapotage avec la réglementation, notamment un taux de nicotine inférieur à 20 mg/ml.
Les professionnels compétents
La HAS recommande que les profils particuliers soient orientés de préférence vers une consultation médicale ou spécialisée. Si c’est le souhait du patient, le pharmacien peut prendre en charge le sevrage, une tentative d’arrêt devant dans tous les cas être encouragée. Le Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française, commission de l’Ordre des pharmaciens, propose une brochure à usage professionnel pour guider la démarche : « Prise en charge de l’arrêt du tabac, conseiller et accompagner le rôle du pharmacien », téléchargeable gratuitement sur cespharm.fr.
Une approche pluridisciplinaire étant préférable, l’action conjointe avec d’autres professionnels est recommandée (sage-femme, médecin traitant, consultations de tabacologie en ligne, etc.), voire indispensable, entre autres, en cas de prise de médicaments à marge thérapeutique étroite ou de pathologie lourde.
Ressources complémentaires
- Tabac-info-service.fr et sa ligne téléphonique 39 89 (appel gratuit de 8h à 20h du lundi au samedi) proposent un espace pour le public avec des informations sur le tabac et le sevrage, la possibilité de questionner un tabacologue, de bénéficier d’un coaching individuel par un professionnel ou via des documents d’autosupport. L’espace professionnel met à disposition les outils d’aide à l’arrêt et les documents concernant les patients en population générale et pour des profils particuliers.
- Les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie accueillent les patients et leur entourage pour des entretiens psychologiques et la prescription de traitements de substitution, notamment en cas de forte dépendance et de coaddictions. Annuaire des centres par région sur drogues-info-service.fr.
Avec l’aimable collaboration de Valérie Rocchi, pharmacienne et tabacologue à Allauch (Bouches-du-Rhône)
Article issu du cahier Formation du n°3514, paru le 18 mai 2024
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