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3/7 – Effets indésirables : 5 cas liés aux antidépresseurs passés au crible

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3/7 – Effets indésirables : 5 cas liés aux antidépresseurs passés au crible

Publié le 30 septembre 2024 | modifié le 6 décembre 2024
Par Pierre-Ollivier Bétolaud
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Les événements survenus chez 5 patients sous traitement antidépresseur analysés pour adopter les bons réflexes au comptoir.

Cas 1 : Joséphine va reprendre le travail

Dépressive, Joséphine A., 44 ans, a commencé un traitement avec du citalopram dosé à  20 mg. Depuis quelques jours, elle est gênée par des nausées et vomissements. Elle vient demander conseil à sa pharmacienne : « Je voudrais un médicament pour soulager mes haut-le-cœur. Je vais bientôt reprendre le travail, il faut que je sois en forme. »

ANALYSE DU CAS

Le citalopram est un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS). L’augmentation de la transmission sérotoninergique induite stimule les récepteurs sérotoninergiques (5-HT) post-synaptiques centraux mais aussi périphériques, dont les récepteurs 5-HT3 situés sur le tractus digestif et sur la zone chémoréceptrice, impliqués dans la physiopathologie des nausées et vomissements. C’est pourquoi, les ISRS sont très fréquemment responsables de nausées et vomissements au cours des premières semaines de traitement. Ces effets indésirables dose-dépendants sont le plus souvent d’intensité modérée. Ils se dissipent habituellement au bout de quelques jours à la suite d’une désensibilisation progressive des récepteurs 5-HT3. Pour les limiter, il peut être conseillé de prendre le citalopram au cours d’un repas.

En cas de troubles persistants et handicapants, un traitement antiémétique peut s’envisager sur avis médical. La dompéridone est contre-indiquée avec le citalopram, car ces deux molécules sont susceptibles d’allonger l’intervalle QT à l’électrocardiogramme.

ATTITUDE À ADOPTER 

La pharmacienne explique à Mme A. que ses symptômes sont probablement un effet indésirable du citalopram et qu’ils devraient s’améliorer d’ici quelques jours. Ils ne doivent pas compromettre la poursuite du traitement. La patiente peut préférer une administration au cours d’un repas pour diminuer les nausées. Si elles persistaient, une consultation médicale serait nécessaire.

À RETENIR : Des nausées et vomissements surviennent très fréquemment sous ISRS, mais ils s’améliorent généralement avec la poursuite du traitement. Il convient d’en informer le patient dès la première délivrance. Ces effets ne doivent pas conduire à un abandon spontané de l’antidépresseur.

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Cas 2 : « Mon ado est dépressif »

Nathan T., 15 ans, est dépressif depuis son entrée au lycée. Il se sent rejeté par ses camarades et ne veut plus retourner à l’école. Après une prise en charge initiale par psychothérapie, son psychiatre décide finalement d’instaurer un traitement avec de la fluoxétine à la posologie de 10 mg par jour. En présentant l’ordonnance à la pharmacienne, sa mère confie : « Je suis très inquiète, j’ai lu sur des forums de discussion que ce type de médicament pouvait être à l’origine de suicide chez l’enfant. Ce traitement est-il bien adapté pour mon fils ? »

ANALYSE DU CAS

La consommation d’antidépresseurs dans la population pédiatrique française s’accroît chaque année. Selon le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, elle a augmenté de près de 63 % entre 2014 et 2021. La fluoxétine est le seul antidépresseur à avoir une autorisation de mise sur le marché chez l’enfant à partir de 8 ans dans la prise en charge d’un épisode dépressif majeur modéré à sévère associé à un suivi psychothérapeutique, en cas de non-réponse à l’issue de 4 à 6 séances. Cet antidépresseur a montré une efficacité plus importante par rapport aux autres antidépresseurs dans la prise en charge d’un épisode dépressif chez l’enfant et l’adolescent. La dose initiale recommandée est de 10 mg par jour. Si besoin, la posologie pourra être augmentée avec prudence à 20 mg par jour après 1 ou 2 semaines de traitement. Une surveillance régulière, au moins hebdomadaire durant les 4 premières semaines, devra être instaurée et le traitement réévalué périodiquement.

Selon la monographie, différentes études cliniques réalisées dans la population pédiatrique ont mis en évidence une augmentation fréquente des comportements suicidaires et hostiles (agressivité, opposition et colère) principalement lors de la phase d’instauration de l’antidépresseur. Des troubles de la croissance, de la puberté ainsi que des épisodes maniaques et hypomaniaques ont été également souvent observés.

L’entourage du patient doit être capable d’identifier des symptômes précurseurs de comportement suicidaire comme des propos verbaux directs ou indirects relatifs à la mort, des déclarations d’affection disproportionnées, des changements comportementaux ou émotionnels. En cas de survenue de signes inquiétants, il convient d’alerter immédiatement le médecin.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne rassure la mère de Nathan en lui rappelant qu’un suivi régulier est prévu avec le psychiatre, notamment dans les premières semaines suivant l’instauration du traitement.

Elle l’informe que tout trouble du comportement doit être rapporté au prescripteur. La pharmacienne prend également soin de remettre à Mme T. différents numéros d’appels gratuits pour la prévention du suicide comme le 3114 (ouvert 24 h/24 et 7j/7), mis en place par le ministère de la Santé, et la renseigne sur la ligne d’écoute Phare enfants-parents (au 01 43 46 00 62, du lundi au vendredi), association de prévention du mal-être et du suicide des enfants.

À RETENIR : La fluoxétine peut augmenter le risque de comportement suicidaire avec passage à l’acte (plus marqué chez l’enfant et les patients ayant des antécédents de comportement suicidaire). Une surveillance de l’état psychique est recommandée. Toute modification du comportement doit faire orienter le patient vers une consultation médicale.

Cas 3 : Se sentir bien en maillot de bain

À la suite d’une séparation difficile, Héléna J., 32 ans, est traitée par de la mirtazapine à la posologie de 30 mg par jour). Afin de se changer les idées, elle a prévu de partir au soleil avec ses amies. Elle vient aujourd’hui chercher un produit minceur car elle a récemment pris du poids. La pharmacienne, qui connaît bien la patiente, s’alarme.

ANALYSE DU CAS 

La mirtazapine est un antidépresseur antagoniste des récepteurs α2 présynaptiques, mais également des récepteurs histaminiques H1 et sérotoninergiques 5-HT2 qui interviennent sur le comportement alimentaire : la stimulation des récepteurs 5-HT2 induit un rétrocontrôle négatif sur la sécrétion de ghréline (hormone sécrétée par l’estomac et stimulant l’appétit) et la stimulation des récepteurs H1 induit une sensation de satiété. 

Le blocage de ces deux types de récepteurs par la mirtazapine explique l’effet orexigène très fréquemment rapporté au cours d’un traitement. Une prise du poids de plus de 7 % par rapport à celui de base avant l’épisode dépressif doit alerter. Une consultation médicale et/ou diététique peut s’avérer nécessaire.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne informe Mme J. que sa prise de poids récente peut être liée à son traitement et l’incite à en parler avec son médecin.

En attendant la consultation médicale, elle prodigue quelques recommandations hygiénodiététiques : favoriser la consommation de fruits et légumes, de légumes secs et de fruits à coque, privilégier le « fait maison » et diminuer la consommation de sucres rapides, pratiquer une activité physique régulière, éviter le grignotage.

À RETENIR : La mirtazapine peut induire très fréquemment une augmentation de l’appétit et une prise de poids. Une surveillance pondérale et, si besoin, un accompagnement diététique doivent être instaurés dès le début du traitement.

Cas 4 : Mme L. voit flou

À la suite d’un accident de voiture, Anh. L., 45 ans, souffre de douleurs neuropathiques. En l’absence de réponse à un traitement par de la prégabaline, son médecin lui a prescrit il y a quelques jours de l’amitriptyline en solution buvable à la posologie de 25 mg par jour. Aujourd’hui, elle rapporte à la pharmacienne être gênée par des troubles visuels : « Depuis que j’ai commencé mon nouveau traitement, je vois flou par moments. C’est très désagréable et cela m’empêche parfois de lire mes magazines. »

ANALYSE DU CAS

Antidépresseur tricyclique, l’amitriptyline bloque les récepteurs muscariniques de l’acétylcholine au niveau du système nerveux central et périphérique. Il en résulte de possibles effets indésirables anticholinergiques (ou atropiniques) centraux (confusion, agitation, troubles de la mémoire, hallucinations, convulsions, altération de la conscience voire coma en cas de surdosage) et périphériques (sécheresses buccale et oculaire, troubles de l’accommodation et mydriase, rétention urinaire, tachycardie, constipation, diminution de la transpiration), dont l’intensité et le délai d’apparition varient selon les patients. Chez les sujets à risque (comme les personnes d’origine asiatique ou les hypermétropes dont l’angle iridocornéen est étroit), la mydriase peut être à l’origine d’un glaucome par fermeture de l’angle qui constitue une urgence ophtalmique.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien s’assure auprès de la patiente qu’elle a bien respecté les doses prescrites et qu’aucun autre médicament n’a été récemment utilisé (une interaction médicamenteuse pourrait expliquer les symptômes par addition d’effets anticholinergiques). Il lui recommande de consulter rapidement son médecin. Si une dilatation de la pupille venait à s’observer, un avis ophtalmologique urgent s’imposerait.

À RETENIR : Des troubles de l’accommodation temporaires sont très fréquents lors d’un traitement par antidépresseur tricyclique. Toute atteinte visuelle nécessite un avis médical rapide.

Cas 5 : Une conversation entre hommes !

Après le décès de sa femme, François P., 52 ans, est traité avec de la paroxétine à la posologie de 30 mg par jour depuis un an. Il a fait récemment la connaissance d’une femme avec qui il débute une relation. Aujourd’hui, il souhaite s’entretenir discrètement avec son pharmacien. À l’abri de la cabine d’orthopédie, il confie à ce dernier des troubles de l’érection et veut savoir s’il peut avoir quelque chose sans ordonnance pour résoudre ce problème.

ANALYSE DU CAS

La paroxétine (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine, ISRS) augmente les taux de sérotonine dans les fentes synaptiques, ce qui a pour conséquence d’inhiber la NO synthase, impliquée dans la synthèse de monoxyde d’azote (NO), molécule vasodilatatrice, permettant l’afflux sanguin, responsable de l’excitation sexuelle et de l’érection. Par ailleurs, l’activation de récepteurs 5-HT2 consécutive à l’élévation du taux de sérotonine inhiberait l’orgasme et retarderait l’éjaculation. Ainsi, des troubles sexuels sont très fréquemment rapportés sous paroxétine.

Afin de corriger ces effets indésirables, différentes options peuvent être envisagées sur avis médical : réduire la posologie, changer l’antidépresseur, proposer une fenêtre thérapeutique, ou associer un inhibiteur de la phosphodiestérase de type 5.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien informe le patient que les médicaments indiqués dans les troubles de l’érection nécessitent une prescription médicale. Son problème pouvant être lié à son antidépresseur, il l’invite à consulter son médecin, pour que celui-ci évalue si le traitement doit être adapté. Mais il prend soin de bien préciser à M. P. qu’il ne doit en aucun cas modifier, ni arrêter de lui-même son traitement antidépresseur.

À RETENIR : Des dysfonctions érectiles sont très fréquemment induites par la paroxétine. Elles nécessitent un avis médical.

Avec l’aimable relecture de Claire Pollet, pharmacienne praticienne hospitalière, établissement public de santé mentale (EPSM) Lille-Métropole (Nord) et des Flandres, Emmanuelle Queuille, pharmacienne praticienne hospitalière, centre hospitalier Charles-Perrens, Bordeaux (Gironde), et Laurence Schadler, pharmacienne praticienne hospitalière, centre hospitalier Esquirol, Caen (Calvados), toutes membres du réseau Psychiatrie Information Communication (PIC).

Article issu du cahier Formation du n°3507, paru le 30 mars 2024