Transactions d’officines en 2023 : les prix baissent

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Transactions d’officines en 2023 : les prix baissent

Publié le 5 avril 2024
Par Yves Rivoal
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La traditionnelle soirée des prix de cession des pharmacies proposée par Interfimo et le LCL a eu lieu le 4 avril dans 9 villes de France en simultané. L’occasion de découvrir l’opus annuel des prix et valeurs des pharmacies. Cette « bible » confirme un recul des prix. Pour les experts, cet ajustement au contexte économique des officines a permis de maintenir le dynamisme du marché de la transaction.

« L’an passé, le prix de cession moyen en pourcentage du chiffre d’affaires hors taxes (CA HT) était en recul de 87 à 84 % pour les officines de plus de 1,2 M€ de CA HT. Celles de moins de 1,2 M€ ont enregistré, elles, une diminution de 64 à 59 %. Même tendance sur le prix de cession moyen en multiple de l’excédent brut d’exploitation (EBE), qui passe de 6,7 à 6,4 fois l’EBE pour les pharmacies de plus de 1,2 M€. La diminution, de 5,4 à 5,3 fois l’EBE, est moins sensible pour celles de moins de 1,2 M€ », confie Jérôme Capon, directeur du réseau Interfimo qui vient de publier son étude « Prix et valeurs des pharmacies » (édition 2023). Une résilience des petites pharmacies somme toute logique. « Lorsque vous achetez ce genre d’officines, c’est en général pour réaliser un coup car elles ont la particularité, depuis plusieurs années, d’être vendues à leur vraie valeur économique. C’est donc pour cela que leur valorisation a très peu bougé », souligne Gilles Andrieu, dirigeant du cabinet Espace et président du réseau PSP. Associé du cabinet POD, Olivier Tellier estime, lui, que les chiffres d’Interfimo masquent une réalité plus complexe. « Sur ce segment, les pharmacies de moins de 1 M€ constituent un marché à part où les prix peuvent se négocier à 30 % du CA, quand elles trouvent preneur. Aujourd’hui, des titulaires doivent se résoudre à céder leur pharmacie pour 1 € ou à fermer leurs portes. Et cela fait peser un risque sur la préservation du maillage officinal. Alors que, sur ce marché-là, il y a des opportunités, avec des officines où les titulaires gagnent très bien leur vie, et qui possèdent des perspectives de développement lorsqu’elles peuvent faire l’objet de travaux d’agrandissement, de transfert ou de regroupement. Elles constituent donc à mes yeux une cible que les jeunes pharmaciens feraient bien de ne pas négliger. »

Pas de grande surprise

Cette baisse généralisée des prix de cession n’est pas une surprise. « En 2023, les officines ont enregistré une légère croissance de leur CA, mais portée essentiellement par les médicaments chers à faible marge. La baisse de la marge, le contexte inflationniste et l’augmentation des frais de personnel se sont traduits par une forte diminution des EBE. Le recul des prix de vente est donc la conséquence d’une régulation du marché face à ces changements économiques », explique Jérôme Capon. Depuis presque deux ans, un autre paramètre est venu renforcer cette tendance. « La hausse des taux d’intérêt, qui avait démarré mi-2022, s’est encore accélérée en 2023, avec un pic à plus de 4 % en fin d’année, rappelle-t-il. Or, lorsque vous empruntez à 4 %, au lieu de 1 %, cela alourdit considérablement les charges financières. Pour que leur plan de financement passe auprès des banques, les acquéreurs ont dû se montrer beaucoup plus offensifs lors de la négociation des prix de cession », souligne Donald Mongay, associé chez Pharmathèque.
Dans le détail, le scénario de 2023 ressemble fort à celui de 2022, avec un découpage en deux séquences. « Après un premier semestre où les prix de cession sont restés stables, aux alentours de 85 %, un décrochage a eu lieu sur le second semestre, qui s’est achevé en dessous de 82 % au quatrième trimestre », retrace Jérôme Capon. Ce décrochage, Adrien Moulinas, associé chez Pharmacessions, l’a observé dans son cabinet : « Au premier semestre, nous surfions encore sur le dynamisme de la fin 2022, avec des vendeurs qui ne voulaient pas intégrer la hausse des taux d’intérêt, souligne-t-il. C’est lorsque nous avons commencé à voir arriver, fin mars 2023, les premiers bilans où apparaissait une forte baisse des marges et de l’EBE que tout le monde s’est rendu compte que le marché ne pouvait plus fonctionner sur les mêmes bases. Les prix ont donc commencé à descendre de manière significative. »

Un recul généralisé

Ce mouvement n’a épargné personne (voir « Repères » p. 19). « Le recul du prix de cession moyen en pourcentage du CA HT est généralisé, quel que soit le niveau de CA des officines », confirme Jérôme Capon. Toutefois, les chiffres d’Interfimo pointent l’importance du niveau de CA des officines dans le prix de cession, comme le reconnaît Olivier Tellier. « Ils attestent aussi que les pharmacies de plus de 2 M€ conservent les meilleures valorisations car elles sont les plus recherchées, note-t-il. A l’inverse, celles de 1,2 M€ à 1,6 M€ commencent à être regardées comme celles de moins de 1,2 M€ de CA HT. De plus en plus d’acquéreurs cherchent une officine à partir de 1,8 M€ de CA afin de privilégier leur qualité de vie et le confort d’exercice. »
Toutes les typologies sont affectées par la baisse. « Cette année, la donne est relativement simple puisque les pharmacies de quartier, de centre-ville et rurales affichent toutes un prix de cession moyen de 84 % du CA HT, en léger recul, souligne Jérôme Capon. On peut donc dire que le type d’officine n’influence plus le prix de vente en pourcentage du CA. Sauf pour les pharmacies de centre commercial qui conservent des valorisations plus élevées, à 88 % du CA HT, mais avec près de 9 points en moins. Cette baisse doit toutefois être relativisée car, en 2022, le coefficient de 97 % était gonflé par un CA 2021 perturbé par la fermeture temporaire de certains centres commerciaux. » En multiple de l’EBE, la donne est sensiblement la même avec un très net fléchissement des pharmacies de centres commerciaux, de 7,9 à 6,8, quand les pharmacies rurales (6), de quartier (6,3) et de centre-ville (6,7) résistent mieux. « Pendant longtemps, tout le monde se jetait sur ces officines, attiré par la perspective d’un gros CA. Nous arrivions donc à des prix de cession hors-sol. Aujourd’hui, nous sommes revenus à des montants plus raisonnables, en lien avec la rentabilité réelle. Or, une pharmacie de centre commercial se distingue souvent par des loyers plus élevés et des masses salariales importantes pour assumer les amplitudes horaires. Du coup, leur ratio de rentabilité n’est pas forcément meilleur que celui d’une pharmacie de quartier ou de centre-ville. Il n’est donc pas étonnant de voir les écarts se réduire », rappelle Gilles Andrieu.
Pour retrouver la trace d’une augmentation des prix, il convient de prendre un peu de hauteur et d’observer la localisation régionale des officines de plus de 1,2 M€ de CA HT (voir « Repères » p. 19). « En pourcentage du CA, deux régions voient le prix de cession moyen progresser : le Grand-Est (de 81 à 85 %) et les départements d’outre-mer (de 81 à 89 %), souligne Jérôme Capon. En multiple de l’EBE, elles sont quatre : les départements d’outre-mer (6,6), la Nouvelle-Aquitaine (6,6), l’Occitanie (7) et la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur (7,1). Partout ailleurs, la tendance est à la baisse ou stable. » La diminution enregistrée en 2023 mérite toutefois d’être relativisée. « Elle n’a rien de catastrophique. Nous avons simplement assisté à un ajustement salutaire entre les prix de cession et la rentabilité des officines qui s’est dégradée l’année dernière. Résultat, nous sommes revenus sensiblement au même niveau qu’avant la période du Covid-19 », estime Hervé Ferrara, associé chez Pharmacessions.

Mais le marché frétille…

Cet ajustement a d’ailleurs probablement alimenté la vitalité du marché. « Avec 1 606 opérations réalisées contre 1 490 en 2022, le nombre de mutations a progressé l’année dernière de 8 %. 2023 se révèle même être une année record, puisque c’est la première fois que l’on franchit le cap des 1 600 opérations en dix ans », constate Jérôme Capon. « Cela montre que les pharmaciens ont toujours envie d’acheter des officines, malgré un contexte de taux élevé qui a eu une incidence sur les prix de cession mais pas sur le dynamisme du marché », se félicite Hervé Ferrara. Celui-ci devrait d’ailleurs perdurer. « En ce début d’année, l’activité est bonne. On peut aussi penser que l’essentiel de la correction sur les prix de cession a eu lieu l’année dernière, même si elle devrait se poursuivre encore en 2024, mais de manière moins marquée. Et comme nous enregistrons un léger frémissement sur une baisse des taux et que la démographie officinale va inciter de nombreux titulaires à partir à la retraite, tout laisse à penser que nous aurons encore une année 2024 assez énergique », conclut Donald Mongay.

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