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Le juste prix du médicament après le Covid-19
La pandémie liée au coronavirus a mis en lumière l’état de dépendance de la France dans la chaîne de fabrication et d’approvisionnement des médicaments d’intérêt stratégique. Alors que débutent les discussions sur le PLFSS pour 2021, la crise sanitaire devrait aussi inciter les pouvoirs publics à repenser le mode de régulation économique du médicament.
La pandémie de Covid-19 a rendu encore plus aiguë la nécessité de changer le cadre de la régulation économique du médicament. » Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques et internationales du Leem (Les Entreprises du médicament), résume la pensée des experts interrogés : « Le modèle en vigueur, qui consiste à financer l’innovation thérapeutique par la baisse des prix des produits matures dans une enveloppe qui n’a quasiment pas bougé depuis 2009, nous a conduits dans le mur ! Dans une période très dynamique d’innovations, comme celle que nous connaissons depuis 2014, et avec aujourd’hui les thérapies géniques et cellulaires, il est urgent de repenser la manière dont nous pouvons concilier innovation, autonomie sanitaire et soutenabilité économique. » Pour Robert Launois, professeur de sciences économiques et président du Réseau d’évaluation en économie de la santé (Rees), ce changement de « logiciel » est d’autant plus urgent que le Covid-19 a aussi montré que l’absence de traitement ou de vaccin pouvait impacter l’environnement économique et engendrer des pertes de production massives. « Or, ces deux éléments ne sont jamais pris en compte dans les avis rendus par la Commission évaluation économique et de santé publique (CEESP) et la Commission de la transparence (CT) de la Haute Autorité de santé (HAS) qui sont chargées des innovations thérapeutiques. Cette crise sanitaire est donc une occasion en or pour redéfinir ce que doit être l’évaluation médico-économique du médicament. »
Sortir du budget annuel
Avant d’engager la réflexion sur le sujet, il conviendrait, selon le Leem, de prendre une première mesure d’urgence. « Il y a en France une sous-capitalisation du budget du médicament. En 2009, celui-ci représentait 15 % des dépenses de l’Assurance maladie. Aujourd’hui, nous sommes tombés à 11,5 %. Le paradoxe est donc terrible : pendant que les pathologies chroniques continuent de progresser, et que nous avons dû absorber deux chocs d’innovation majeurs avec l’hépatite C et l’immunothérapie cancéreuse, l’Assurance maladie consacre de moins en moins de ses dépenses aux médicaments. Il est donc temps que la France adapte son budget », souligne Eric Baseilhac. Par conséquent, Jérôme Wittwer, président du Collège des économistes de la santé, milite pour que l’Etat s’engage sur le moyen terme auprès des laboratoires pharmaceutiques sur des budgets pluriannuels adossés à des objectifs de santé publique. « Je ne crois pas, en revanche, que le modèle souhaité par les industriels de consacrer annuellement une part du produit intérieur brut ou du budget de l’Assurance maladie aux médicaments soit la bonne solution. » Autre mesure, qui semble cette fois faire consensus chez les experts, c’est la fin de l’annualité budgétaire de la régulation des médicaments dans le cadre des lois de financement de la Sécurité sociale. « Le Covid-19 a balayé l’exercice annuel de régulation qui n’est plus du tout adapté, assure Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) doit devenir un outil stratégique, avec des objectifs pluriannuels, dans lequel le médicament ne doit plus servir de variable d’ajustement aux autres dépenses de santé (voir page 21). Si l’on ne fait pas ça, nous n’arriverons pas à relever les défis du vieillissement de la population, des sorties hospitalières, du développement des pathologies chroniques, de la prévention, du dépistage ou de l’intégration du numérique en santé qui nécessiteront des investissements importants. » Robert Launois acquiesce : « A la place, nous pourrions envisager un mode d’évaluation qui intègre toutes les retombées positives des traitements, notamment en matière de qualité de vie et d’expérience des patients, ces deux critères devant être, à mon sens, réintroduits dans l’appréciation du service rendu par un traitement. »
Les données en vie réelle, nouvelle variable
L’exercice s’annonce toutefois délicat, comme le reconnaît Robert Launois. « Il n’est, bien sûr, pas question de céder à toutes les revendications des laboratoires qui lancent sur le marché un nouveau médicament. Il faudra donc que les effets positifs soient scientifiquement documentés à partir de données mesurées en vie réelle, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, le niveau de preuves reposant quasi exclusivement sur les résultats de modèles abracadabrantesques construits par des bureaux d’études étrangers à partir des essais randomisés. » L’économiste invite donc la CEESP et la CT à exploiter la base de données médico-administrative que la France possède et à imaginer des formules pour lisser dans le temps l’augmentation du prix des médicaments innovants en fonction du service rendu. Dans ce nouvel écosystème, il faudra aussi changer la donne en matière de recherche et développement (R&D). « Aujourd’hui, de rares fonds publics alimentent la recherche fondamentale, sans véritable priorisation des choix de recherche », regrette Jérôme Wittwer. L’Etat devrait, selon lui, multiplier les participations de fonds publics aux travaux des laboratoires pharmaceutiques avec qui il signerait des accords-cadres afin d’influencer sur le moyen terme les efforts en R&D et les priorités de santé publique, tout en contractualisant les modes de production. « Ce qui permettrait, par conséquent, de retrouver une certaine souveraineté dans la production des médicaments innovants et stratégiques », ajoute l’économiste.
Soigner, c’est prévoir
Développer la prospective en vue d’anticiper l’impact de l’innovation sur l’organisation des soins est l’autre sujet sur lequel devraient se pencher les pouvoirs publics d’après Eric Baseilhac. « Outre-Manche, les Anglais ont adossé au National Health Service (NHS) le Health Technologies Adoption Program, une structure qui a pour mission d’identifier les innovations qui arriveront dans les cinq prochaines années et d’adapter l’organisation des soins, confie-t-il. En France, nous n’avons toujours pas été capables de nous doter d’une cellule prospective alors que chacun sait que l’innovation thérapeutique est, pour l’avenir, une source majeure d’efficience et d’économies dans le système de soins. » Un système qui pousse aussi à l’innovation de manière excessive, comme l’explique Jérôme Wittwer. « Les baisses planifiées du prix des princeps incitent les laboratoires à entrer très régulièrement sur le marché avec de nouveaux traitements. Et comme cette entrée est mal contrôlée, et arrive en général précocement, avec souvent à la clé une incertitude d’efficacité en vie réelle très forte, ce système qui visait à donner un accès rapide aux médicaments innovants comporte finalement plus d’effets pervers que d’avantages. » Ce regard sur l’incertitude devrait d’ailleurs changer pour Eric Baseilhac. « Aujourd’hui, nos systèmes d’accès au marché constituent une barrière à l’innovation en montrant une aversion à l’incertitude, alors que cette dernière devrait être regardée comme une source d’intelligence pour les négociations. On pourrait, par exemple, imaginer des contrats de gestion de risque dans lesquels les parties prenantes se donneraient rendez-vous tout au long du cycle de vie du médicament pour évaluer sa performance et la corréler avec son prix. » Pour Robert Launois, la mise en place de cette nouvelle régulation aurait une première vertu essentielle. « En rémunérant le médicament à sa juste valeur, on restaurerait un climat de confiance entre les industriels, les organismes de tutelle et les pharmaciens », souligne l’économiste. « En replaçant l’objectif de santé publique au-dessus de la contrainte budgétaire, on arrivera aussi à financer l’innovation et à garantir la disponibilité des médicaments dont les patients ont besoin », ajoute Eric Baseilhac. Est-ce que tous ces arguments seront suffisants pour faire émerger cette nouvelle donne ? Jérôme Wittwer en doute. « Pour ma part, je ne suis pas très optimiste. Une fois les effets de la crise sanitaire passés, les régulateurs continueront probablement de privilégier la logique budgétaire, et oublieront ses effets pervers à moyen et long termes. »
Un impact amorti pour les officines
Une réforme du mode de régulation économique du médicament impacterait favorablement la rémunération des officines, mais à la marge car la « désensibilisation » du niveau de rémunération des officines au prix des médicaments engagée depuis 2015 se poursuit. Comme l’indique la Commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS) dans son rapport annuel publié fin septembre, les rémunérations forfaitaires liées aux honoraires de dispensation représenteront 76 % de la marge réglementée des pharmaciens d’officine en 2020, soit 4 milliards d’euros. Pour rappel, la marge réglementée, qui assure plus de 70 % de la rémunération des pharmaciens sur les médicaments remboursables, est composée des honoraires de dispensation forfaitaires et de la marge dégressive lissée (MDL) proportionnelle, par tranche, au prix fabricant hors taxes.
À RETENIR
– La crise sanitaire a montré que l’évaluation médico-économique du médicament et les budgets consacrés à leur remboursement ne semblent plus adaptés aujourd’hui.
– Intégrer les données en vie réelle et anticiper l’impact des médicaments innovants dans les stratégies de soins sont des critères pertinents pour moduler les prix des médicaments.
– Ces changements pourraient profiter à l’économie de l’officine, même si l’arrivée des honoraires de dispensation la rend moins dépendante des baisses de prix.
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