Retraite Réservé aux abonnés

Je cède, je pars à la retraite, je place l’argent de la vente : les fondamentaux à respecter

Publié le 21 novembre 2020
Mettre en favori

Crise sanitaire ou pas, pour les pharmaciens qui cèdent leur officine et récupèrent un capital qu’ils vont devoir gérer dans le temps, faire prospérer pour maintenir leur train de vie pendant leur vie de retraité, et organiser judicieusement, dans une optique de transmission à leurs enfants, la démarche à dérouler et les fondamentaux ne changent pas.

Dominique Leroy, conseil en patrimoine et transmission, du cabinet Leroy Conseil, nous les rappelle afin de permettre à chaque pharmacien s’apprêtant « à tourner la page de la pharmacie » de passer une « bonne retraite ! »

S’il y a une période dans la vie où il est important de faire le point sur le patrimoine « engrangé » et les revenus disponibles, c’est bien lors du passage de la vie active à celle de retraité. En effet, la cession par le pharmacien de son outil de travail et éventuellement de participations minoritaires fait apparaître un capital, mais « c’est aussi généralement la fin de la période de création de valeurs », ne manque pas de souligner Dominique Leroy.

Ce moment est donc propice à des interrogations et à la réalisation du bilan de son patrimoine et de ses ressources futures. Il est donc nécessaire d’anticiper ces démarches, ou si ce n’est pas fait, de prendre le temps de procéder à cette analyse avant de placer les capitaux reçus.

Pas de précipitation ! « Il faut donc accepter que l’argent disponible soit en attente pendant quelques temps, même si cela ne rapporte quasiment rien, et mettre de côté toutes les sollicitations des banquiers, assureurs et gestionnaires de patrimoine intéressés par le placement de ce capital », conseille-t-il en premier lieu.

Selon lui, l’analyse peut se diviser en trois parties distinctes. La première consiste à établir un « état des lieux » des revenus futurs, la deuxième, calculer les besoins futurs, enfin la dernière partie doit définir les placements du capital reçu lors de la cession pour équilibrer les deux premiers constats.

Analyse des revenus futurs

Cette première partie a pour seul objectif de collecter des informations nécessaires pour la construction de l’équilibre financier futur. La première étape est de faire le point sur sa carrière professionnelle et donc d’obtenir une approche des rentes de retraites des organismes sociaux. La Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) est en mesure de fournir un état des trimestres acquis dans le cadre du régime général. « Il est nécessaire de vérifier s’il ne manque pas de périodes d’activités et de le faire compléter en fournissant les pièces nécessaires », glisse-t-il. Cette étape réalisée, la CAVP peut donner une approche des rentes de retraite pour le régime général, le régime complémentaire et le régime à capitalisation. « Pour ce dernier et pour les couples mariés, il faudra obtenir le montant des rentes avec ou sans réversion, poursuit-il. Le choix devra tenir compte des rentes futures du conjoint et se fera lors de l’établissement du dossier de demande de rente. »

Publicité

Pour ceux qui ont été salariés avant de s’installer, « il est nécessaire de se rapprocher de l’organisme de retraite complémentaire pour obtenir les droits futurs de cette période. » Enfin, pour ceux qui ont travaillé une partie de leur carrière en industrie, « il faut vérifier si une adhésion à un régime de retraite facultative existait et dans ce cas, faire la démarche pour obtenir ses droits ».

Dernier point évoqué par cet expert : « Si des contrats Madelin ont été souscrits durant la carrière, il faut aussi récupérer les informations. Depuis la loi Pacte, il est possible de les transformer en contrats PER de manière à obtenir non pas une rente, mais un capital (fiscalisé). Cette démarche peut se faire à n’importe quel moment de la période d’activité et jusqu’avant la demande de rente. En attendant, il faut obtenir le montant des rentes futures, avec ou sans réversion, pour compléter cette collecte d’informations. »

Il assure : « Lorsque ce travail sera effectué et que toutes les données seront obtenues, il sera possible d’avoir une idée précise des ressources futures provenant de ces différents organismes. Attention, les montants annoncés par les organismes sont généralement nets de charges sociales, mais ne tiennent pas compte de l’impôt sur le revenu (IR) qui sera prélevé sur ces rentes du fait du prélèvement à la source ! »

La deuxième étape est l’inventaire des placements procurant des revenus réguliers. Il s’agit principalement des biens immobiliers, peu importe le mode de détention (direct, via une structure ou simplement des « pierre-papier »). Pendant la période d’activité du titulaire, les revenus de ces biens étaient généralement considérés comme accessoires, compte tenu des revenus d’activités. Lors de la prise de retraite, ces revenus viendront compléter les rentes de retraite et permettront, au moins partiellement, de se rapprocher de l’équilibre financier voulu.

C’est pourquoi, « pour chaque bien, il y a lieu de calculer son véritable rendement en prenant comme référence non pas le loyer encaissé, mais le reste disponible après les charges engagées dans la gestion du bien (frais d’agence, frais de copropriété, taxe foncière, assurance, entretien…), explique-t-il. C’est ce revenu net qui sera réellement disponible. Pour cela, la déclaration des revenus fonciers donne toutes les informations. Une moyenne sur 3 ou 4 ans permet d’atténuer les mauvaises années liées à des travaux importants ou des périodes vacantes, ce qui permettra d’avoir une réelle vision de la rentabilité avant IR de chaque bien et, peut-être, d’ouvrir une réflexion sur d’éventuels arbitrages au sujet des biens les moins rentables. »

A noter : Certains titulaires peuvent aussi posséder des placements apportant des revenus récurrents qui complèteront les ressources (par exemple, des participations dans des sociétés distribuant des dividendes réguliers).

La troisième et dernière étape consiste à lister les dettes bancaires encore en cours de remboursement et qu’il faudra assumer lors de la retraite. « Un tableau synthétique fera l’affaire, il devra comprendre pour chaque emprunt, le bien financé avec l’emprunt, le montant de l’échéance mensuelle, le capital restant dû, la date de fin de l’emprunt et le montant des pénalités en cas de remboursement par anticipation », détaille-t-il.

Calcul des besoins futurs

La deuxième partie, certainement la plus importante – celle qui va apporter des surprises -, est l’évaluation du « train de vie » du (des) futur(s) retraité(s).

« A partir d’une feuille blanche, il y a lieu de lister les postes de charge (liste la plus complète possible) avec, pour chacun des postes, un budget annuel, indique Dominique Leroy. Il est important de balayer l’ensemble des besoins et de définir un vrai budget par ligne. »

Il met en garde : « Attention ! Certains postes sont naturellement supportés par la pharmacie durant l’activité professionnelle et vont devoir être pris en charge par le foyer. C’est, par exemple, le cas du forfait de téléphone portable, mais aussi de la mutuelle complémentaire qui représente un montant non négligeable. Sur certains dossiers, il pourra s’agir aussi d’une partie des frais de véhicule ou du logement. Dans cette liste, il ne faut pas oublier les échéances d’emprunts tels qu’ils apparaissent dans le tableau réalisé dans la première partie. »

Enfin, point important, le poste impôts. Il s’agit de l’ensemble des taxes foncières, d’habitation (principalement concernant les résidences secondaires), de l’IR et éventuellement de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). « Certes, la charge d’IR sera certainement moins importante dans la période future, mais elle sera bien présente et pèsera sur le budget. Fort des informations collectées dans la première partie, il faudra obtenir de votre expert-comptable un calcul approché de l’IR avec la répartition entre la partie qui incombe aux rentes de retraite et la partie qui concerne les autres revenus. Cette distinction est importante, puisque depuis la mise en place du prélèvement à la source, l’impôt sur les rentes (pourcentage) est prélevé pour le compte de l’Etat par les organismes qui versent ces rentes, alors que l’impôt sur les autres revenus (principalement immobiliers) est prélevé mensuellement sur le compte bancaire du contribuable. Pour éviter de mauvaises surprises, cette partie d’impôt doit être budgétée. »

Cette évaluation complète permet de déterminer le budget annuel. Pour une meilleure vision de la charge, elle peut être ramenée mensuellement.

Arbitrages et placements du capital

Les deux premières étapes achevées, il est possible de déterminer l’écart entre les ressources et les coûts envisagés.

Attention, les ressources doivent être retenues après application du taux de prélèvement à la source déterminé par l’expert-comptable. Si les ressources sont supérieures aux dépenses (situation rarissime), le capital récupéré de la cession peut être utilisé et placé sans contraintes.

En revanche, si le budget des dépenses dépasse les ressources nettes de prélèvement à la source (cas le plus fréquent), il faudra placer tout ou partie du capital, avec comme objectif un complément de revenu régulier.

Nouvelle recommandation : « Avant toute chose, il est nécessaire d’avoir une enveloppe de liquidités, de manière à répondre aux besoins urgents et non programmés sans défaire ce qui aura été construit. Il faut donc faire le point sur les liquidités déjà placées et si nécessaire les compléter par un prélèvement sur le capital en cours d’investissement. Ce disponible sera versé sur les livrets A sur les LDD, ou en compte à terme. Certes, cela ne rapportera rien, mais permettra d’éviter des coûts qui peuvent être importants (droit d’entrée pour l’assurance vie, frais d’acquisition pour l’immobilier). »

Avant de réfléchir sur les placements, il lance une question : « Peut-être faut-il envisager de rembourser tout ou partie des emprunts restants ? » Cette démarche répond au but recherché. En effet, le remboursement par anticipation d’un emprunt permet d’économiser immédiatement le montant de l’échéance, et donc de réduire le budget des charges. Cette démarche est favorable pour les emprunts relatifs aux résidences principales et secondaires, pour lesquels aucun intérêt n’est déductible (moins évident pour les emprunts de biens locatifs). Il y a une contrepartie à cette opération : c’est la perte de l’assurance décès sur le capital remboursé. Malgré tout, dans bien des cas, cet inconvénient n’est pas majeur (sauf si l’emprunteur est hélas atteint d’une maladie).

Pour placer le capital restant, on distingue deux grandes familles.

a) L’assurance vie

C’est le placement préféré des Français, mais il faut l’adapter aux besoins : avoir des revenus réguliers complémentaires. Aujourd’hui, il est impossible de combiner le duo revenu récurrent et risque limité. En effet, les sommes placées dans les fonds en euros génèrent un rendement très faible (autour de 1 %), qui ne permettent pas d’apporter un réel complément de revenu. Certes, il sera possible de mettre en place des rachats réguliers (mensuels, trimestriels…), mais ceux-ci seront composés principalement du remboursement partiel du capital placé. En d’autres termes, le capital disparaîtra année après année.

« Pour résoudre ce problème, les conseillers financiers (banquiers, assureurs et conseillers en gestion de patrimoine) vont proposer d’augmenter le niveau de risque pour obtenir un rendement plus important, indique Dominique Leroy. Il faut bien comprendre cette démarche : l’augmentation du risque est réelle et peut agir sur une perte partielle du capital. Il faudra bien se faire expliquer le niveau de risque encouru dans les différentes propositions. » Les points à analyser également sont les frais d’entrée, les frais de gestion et les frais liés à la mise en place des rachats réguliers. « Les conseillers financiers mettront certainement en avant l’avantage de l’assurance vie en matière de transmission et ils auront raison, mais ce n’est pas l’objectif recherché. Il est nécessaire de rester dans sa stratégie ».

b) L’immobilier

C’est aussi un placement privilégié par les Français. Ce placement semble répondre à l’exigence de revenu complémentaire régulier. « Il faut juste évaluer le niveau de risque et de rendement, explique Dominique Leroy. Pour le rendement, c’est simple, à chaque étude d’investissement, il faut calculer le revenu net de charge (cf. première partie) pour déterminer la part de revenu disponible avant impôt que l’achat permettra d’obtenir en théorie. S’il est satisfaisant, alors pourquoi pas ? »

Concernant le risque, l’achat direct d’un bien ressort d’un risque binaire : s’il est loué et que le locataire paye durablement, c’est positif, au contraire, si le bien se loue mal, s’il y a des périodes sans locataire, c’est négatif, car cela ne répond pas au souhait de complément de revenus.

« Il faut donc une solution d’investissement qui permet d’avoir un degré de risque limité, argue-t-il. La solution est peut-être dans l’acquisition de parts de société civile en placement immobilier (SCPI) ou d’organisme de placement immobilier (OPCI) qui mutualisent d’une façon satisfaisante le niveau de risque. »

Dans les deux cas, suivant le choix retenu, il faut étudier l’acquisition de ces biens par le biais d’une société, ce qui permettra dans le futur de démembrer les parts sociales et de transmettre la nue-propriété de cette société tout en gardant les revenus. Cette solution permettra d’apporter le même avantage que les contrats d’assurance vie, à savoir une transmission économique.

CLAUDE ARTAUD, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’AUXILIAIRE PHARMACEUTIQUE :

du bon usage de l’apport/cession et de la SPFPL dans le cadre de la préparation de la transmission pour départ à la retraite

« Associer à quelques années de la retraite un adjoint de qualité qui deviendra son successeur relève plus d’un choix personnel que d’un choix financier du pharmacien titulaire. Cette stratégie n’a de réel intérêt que si la transmission est anticipée une dizaine d’années avant le départ à la retraite. La mise en association seulement à deux, trois ou quatre ans avant la cession définitive de ses parts à son associé n’est pas forcément la solution la plus recommandée sur le plan pratique.

Vers 50 ans, le pharmacien titulaire peut, préalablement à la cession, apporter son fonds à une SEL s’il exerçait jusque-là en nom propre, ou tout ou partie des titres de sa SEL à une SPFPL et en revendre une partie à son nouvel associé. A l’occasion de cet apport, le pharmacien, s’il contrôle la SEL ou la SPFPL, bénéficie d’un report d’imposition sur la plus-value relative aux titres apportés, report qui ne prend fin que lorsque le pharmacien vend ses titres, ou lorsque sa SPFPL cède les titres reçus en contrepartie de l’apport.

L’outil SPFPL est particulièrement intéressant pour transmettre les titres d’une SEL dans des conditions optimisées. En effet, lorsque la cession par la SPFPL des titres de la SEL intervient après plus de 2 ans de détention des titres, la plus-value réalisée sera exonérée de toute imposition hormis une quote-part pour frais et charges représentant un peu moins de 4 % de la plus-value réalisée. En cas de cession définitive des parts liée au départ à la retraite du pharmacien, sa SPFPL unipersonnelle pourra être transformée en une holding patrimoniale après la cession de ses participations.

Si le pharmacien vend directement ses titres de SEL à son associé (parce qu’ils n’ont pas été logés dans une SPFPL), il pourra profiter de l’abattement fixe de 500 000 € mis en place pour les plus-values de cession de titres de sociétés à l’IS (flat tax) réalisées par les dirigeants partant à la retraite. »

La conclusion de Dominique Leroy

« Ce développement purement théorique montre l’importance de la démarche qu’il est nécessaire d’accomplir pour sécuriser l’avenir. Il est préférable de se faire accompagner, et l’expert-comptable semble être la personne la plus adaptée pour cet accompagnement du fait de ses connaissances du dossier sur le plan juridique, fiscal, financier…

Chaque dossier est un cas particulier, il faudra donc adapter cette présentation au dossier en complétant notamment les points suivants : le capital est-il personnel ou à l’actif d’une SPFPL – droit de retraite du conjoint – protection du conjoint en cas de carrière non complète – protection réciproque dans les cas de Pacs ou de concubinage – présence d’enfants de plusieurs lits et protection du conjoint survivant… »