- Accueil ›
- Législation ›
- Droit du travail ›
- Retraite ›
- Faut-il attendre sa retraite pour réaliser son capital professionnel ?
Faut-il attendre sa retraite pour réaliser son capital professionnel ?
A quelques années de la retraite, le pharmacien titulaire doit dessiner sa stratégie de sortie. Une telle anticipation est plus que jamais nécessaire face aux deux principales alternatives qui s’offrent à lui : céder au moment du départ à la retraite et profiter des exonérations de plus-values « spécial retraite », ou réaliser une partie de ses actifs professionnels en s’associant plusieurs années avant la cessation d’activité avec un jeune pharmacien qui, par son dynamisme, va rebooster le chiffre d’affaires. Dilemme en perspective.
On constate depuis quelques années une certaine stabilité des prix de vente des officines, avec des disparités importantes entre les officines dont le CA est inférieur à 1 M€ et celles dont le CA avoisine les 2 M€. C’est ce qu’il est convenu d’appeler la prime à la taille (cf. infographie p. 55).
« En 10 ans, certaines officines (les plus petites) ont perdu jusqu’à 50 % de leur valeur, observe Olivier Desplats, expert-comptable du cabinet Flandre Comptabilité Conseil (groupement CGP). Une officine dont le CA était de 900 000 € pouvait se négocier autour de 80 % du CA, soit 720 000 €. Ces mêmes officines se négocient aujourd’hui au mieux autour de 450 000 €. Elles sont le plus souvent victimes de leur manque de perspectives, mais également de la règle qui s’est imposée à tous : la valorisation du fonds en multiple de l’EBE. »
La stabilité des prix constatée depuis 2015 tend à démontrer, s’il en était besoin, non seulement la pertinence de la méthode de valorisation, mais également que le marché a trouvé son point d’équilibre économique et financier.
Ce constat, bien que flatteur pour les officines à volume d’activité important, n’empêche pas de s’interroger sur ce que pourrait être l’évolution des valeurs de fonds d’officine dans les années à venir et, pour les pharmaciens à moins de dix ans de leur retraite, et ayant un outil de travail permettant d’accueillir un deuxième titulaire, de réfléchir à l’opportunité de réaliser (et sécuriser) une partie de leur capital travail avant la date fatidique de fin d’activité.
Faut-il anticiper la transmission ?
C’est la question ouvertement posée par Olivier Desplats et à laquelle il apporte des éléments de réponse dans les lignes qui suivent.
« Cette réflexion est le plus souvent occultée par l’obsession de l’exonération d’impôt sur la plus-value en cas de départ en retraite. Mais est-ce bien raisonnable et réaliste ? » s’interroge-t-il. Car ce que l’on oublie trop souvent, c’est que l’exonération ne porte que sur l’impôt sur la plus-value (12,80 %), et non pas sur la CSG/CRDS (17,20 %) qui n’est pas un impôt, mais une contribution !
Pour sa démonstration, il prend l’exemple d’un titulaire de 58 ans, souhaitant faire valoir ses droits à retraite à 65 ans, et ayant l’opportunité d’associer un jeune adjoint.
Il exploite la pharmacie de l’Espoir :
CA HT = 2 100 000 €, EBE = 270 000 €. Il n’y a plus d’endettement. Valeur du fonds de commerce à l’actif (pour sa valeur historique) = 1 200 000 €, valeur du fonds = 1 700 000 €.
Apport envisagé = 300 000 €.
Dans le premier cas, il exerce en nom propre, dans le deuxième, il exerce dans le cadre d’une SELARL à l’IS.
« Dans un premier temps, la question est de savoir si, d’un point de vue financier, il a intérêt à anticiper et organiser sa sortie », commence par exposer Olivier Desplats.
Aussi, « la vraie question est de savoir ce que sera la valeur du fonds au terme des 7 ans, pose Olivier Desplats. Dans le cadre d’une association, si l’activité a fortement progressé, la revalorisation de ce dernier permettra d’absorber une partie de la perte de revenus constatée. »
Ce qui renvoie à une autre question : dans l’hypothèse où le pharmacien aura décidé de continuer seul pour sauvegarder ses revenus, saura-t-il seul maintenir la valeur de son fonds ou ne risque-t-il pas de constater une dépréciation ?
« Bien évidemment, une décision, quelle qu’elle soit, ne peut pas se prendre que sur des critères purement financiers, tempère Olivier Desplats. Bien d’autres éléments, et c’est heureux, doivent entrer en ligne de compte :
– le rythme de travail,
– la volonté de transmettre,
– la nécessité d’apporter à l’entreprise pharmaceutique du sang neuf et une nouvelle dynamique,
– accueillir une génération de pharmaciens plus au fait des nouvelles technologies,
– développer les services que seul un pharmacien titulaire ne peut faire,
– rester dans la course face à de nouvelles concurrences. »
Au terme de cette étude de cas, « anticiper et organiser sa succession, outre les avantages énumérés ci-dessus, permet de sécuriser son capital travail, non seulement, en le réalisant de suite, mais probablement en évitant une perte de valeur liée à un moindre dynamisme du titulaire et de l’équipe, conclut-il. Pour autant, le titulaire en place doit accepter de partager les prérogatives qu’il a été seul à exercer pendant des années, et par conséquent de partager à la fois le capital, le travail et les responsabilités … et ça, c’est une autre question, mais sans doute pas la moins importante ! »
A retenir
La formule « association » est pour le titulaire restructurant son officine un compromis entre les avantages et les inconvénients de ce mode d’exercice. L’association permet souvent de retrouver de la croissance, de rebondir face à des baisses de chiffre d’affaires et de résultat économique, de réaliser une partie de son patrimoine professionnelle et d’anticiper d’éventuelles difficultés de transmission. Certes, le pharmacien doit se faire à l’idée de partager les pouvoirs, les fonctions (par affinités), partager les idées (synergie), la rentabilité et les revenus tirés de l’exploitation.
1ER CAS : EXERCICE EN NOM PROPRE
Dans le cas d’une exploitation en nom propre, une société (SELARL) devra être constituée pour acquérir le fonds de commerce. La répartition du capital pourrait être proportionnelle à l’apport de chacun des associés. Dans le cas d’un apport déséquilibré, on peut envisager que le pharmacien cédant prenne la majorité du capital (60 ou 70 %). Par souci de simplification et d’équilibre, nous retiendrons 50 %.
Sur le plan financier, le pharmacien titulaire doit envisager trois étapes :
→ Étape 1 :
– Prix de vente : 1 700 000 €
– Prix d’achat : 1 200 000 €
– Plus-value : 500 000 €
– Impôt sur la plus-value réalisée : 150 000 € (flat tax à 30 % sur 500 000 €)
Soit, un encaissement net de : 1 550 000 € (1 700 000 € – 150 000 €).
Une somme de 150 000 € devra être réinjectée dans la SELARL constituée en guise d’apport. Soit, un net récupéré de 1 400 000 €.
→ Étape 2 :
Au terme de 7 années d’exploitation de la SELARL commune, notre pharmacien titulaire cède ses parts à son associé ou à un tiers pharmacien agréé par l’associé. « Nous ne tiendrons pas compte d’une réévaluation éventuelle du fonds, et ce par prudence », précise Olivier Desplats. Soit :
– Valeur de la société : 973 438 € pour 100 % du capital
– Quote-part de l’associé sortant : 50 % × 973 438 € = 486 719 €
– Capital initial : 50 000 €
– Plus-value : 436 719 €
– Impôt sur la plus-value réalisée : 75 115 € (17,20 % × 436 719 €)
Soit, un encaissement net de : 511 604 € (486 719 € – 75 115 € + 100 000 €*)
Au cumul, le capital récupéré s’élève à la somme de : 1 400 000 € + 511 604 € = 1 911 604 €
→ Etape 3 :
« Bien évidemment, pour comparer des choses comparables, il convient d’intégrer dans les calculs financiers la perte de revenus de notre pharmacien du à deux éléments majeurs », souligne cet expert-comptable, à savoir :
– L’endettement de la société (une part de l’EBE servira à rembourser la dette) ;
– L’association, avec pour conséquence le partage des revenus, même si l’on peut considérer dans l’exemple retenu que cette association fera l’économie d’un pharmacien assistant.
En conséquence :
– Revenus nets avant cession : 270 000 € – IRPP 82 594 € = 187 406 €
– Revenus nets après cession : 48 000 € – IRPP 3 230 € = 44 770 €
Soit un écart de : 142 636 € × 7 ans = 998 452 €
2E CAS : EXERCICE EN SOCIÉTÉ
Dans le cas d’une exploitation en société soumise à l’IS, le pharmacien titulaire, seul associé de ladite société, vendra une partie de ses parts. L’hypothèse retenue est une cession de 50 % des titres.
La transmission progressive des parts comporte toujours trois étapes :
→ Étape 1 :
– Capital initial : 50 000 €
– Réserves : 1 000 000 €
– Compte courant d’associés : 150 000 €
– Valeur des parts : 1 700 000 € pour 100 % du capital
– Quote-part vendue : 850 000 € (50 %)
– Plus-value constatée : 825 000 € (850 000 € – 25 000 €)
– Impôt sur la plus-value réalisée : 247 500 € (sans compter les abattements éventuels pour durée de détention)
Soit un encaissement net de : 850 000 € – 247 500 € + 75 000 € * = 677 500 €
→ Étape 2 :
Au terme des 7 années d’exploitation en association, le pharmacien titulaire vendra le solde des parts qu’il détient dans la SELARL, soit les 50 % qu’il a conservés. Comme dans la première hypothèse, le fonds ne s’est pas réévalué.
– Valeur de la société : 1 810 806 €
– Quote-part de l’associé sortant : 50 % = 905 403 €
– Capital initial : 25 000 €
– Plus-value : 880 403 € (905 403 € – 25 000 €)
– Impôt sur la plus-value réalisée : < 880 403 € – 500 000 € = 330 403 € × 30 % = 114 120 € + 500 000 € × 17,20 % = 86 000 €
Soit un encaissement net de : 905 403 € – 200 120 € = 705 283 €
Au cumul, le capital récupéré est de : 677 500 € + 705 283 € + 75 000 € = 1 457 783 €
→ Etape 3 :
De même que dans le cas précédent, il convient d’intégrer la perte éventuelle de revenus. « Elle sera moindre dans cette hypothèse, puisque l’endettement ne sera pas porté par la SELARL, mais par une SPFPL créée à cet effet par le nouvel associé, et que pour permettre à ce dernier de rembourser sa dette, une distribution de dividendes sera nécessaire, et que, de fait, le titulaire en bénéficiera pour 50 % », indique Olivier Desplats.
Les revenus initiaux du pharmacien titulaire, seul associé de sa SELARL, sont (par hypothèse) répartis entre sa rémunération TNS : 132 000 €, et un dividende de 81 000 € soumis à la flat tax, soit un revenu net après impôt de 164 600 €.
Les revenus, après association, seront à partager. La part « rémunération » baissera de façon significative afin de permettre une distribution de dividendes plus importante :
– Revenus nets : 48 000 € – 3 230 € = 44 770 €
– Dividendes : 67 500 € – 20 250 € (flat tax) = 47 250 €
Total des revenus nets = 92 020 €
Soit un écart de : 164 600 € – 92 020 € = 72 580 € × 7 ans = 508 060 €
* récupération du compte courant d’associé
HERVÉ FERRARA DU CABINET PHARMACESSIONS« Le pharmacien d’officine doit rester attentif à la valorisation future de son entreprise sur le court terme et le long terme. »
« En effet, la retraite est une échéance bien souvent trop lointaine pour être tenté de remettre à plus tard l’évaluation de sa pharmacie. Or la vigilance est de mise, car la valorisation d’un fonds de commerce peut varier considérablement et en peu de temps, en fonction de l’attrait de l’officine.
Son emplacement, la surface de ses locaux, sa concurrence, son environnement commercial et médical, son niveau de chiffre d’affaires et la rentabilité dégagée sont des critères pouvant remettre en cause favorablement ou défavorablement la valeur d’une officine.
Il faut aussi rester vigilant sur le plan local et être à l’affût d’opportunités de locaux à acquérir ou à louer, afin d’imposer à la concurrence un transfert plutôt que de le subir et de voir la valorisation de son officine régresser.
Nous intervenons régulièrement dans le cadre du conseil préparatoire à la mise en vente, afin d’analyser l’ensemble des critères, apporter des solutions et anticiper les actions à mener pour réaliser son capital de la meilleurs manière.
Même si l’exercice de l’activité de pharmacien est un monopole protégé, lorsque qu’une officine ne progresse plus, elle risque de régresser rapidement ; c’est le destin de toute entreprise. Nombre de pharmacies disparaissent aujourd’hui en France pour ne pas avoir anticipé le changement de leur environnement.
Il est nécessaire de se remettre en cause, vendre, racheter, arbitrer une ou plusieurs fois son patrimoine immatériel au cours de sa carrière avant 65 ans ou plus ; c’est un moyen de se constituer un capital plus important et sécuriser une partie de ses actifs. L’investissement unique dans une officine pour toute une vie professionnelle devenant de plus en plus rare et plus risqué, le pharmacien devra utiliser les nouvelles techniques à sa disposition pour céder et racheter des officines en fonction des opportunités et des contraintes du marché, à travers une holding dénommée SPFPL (société de participation financière de professions libérales), qui lui permettra de réaliser une ou plusieurs cessions tout au long de sa carrière professionnelle, sans avoir à régler l’impôt sur la plus-value normalement dû lors de chaque cession. En effet, cet impôt est remplacé par un prélèvement extrêmement faible, représentant moins de 4 % de la plus-value réalisée.
Cet instrument de gestion de son patrimoine professionnel pourra ensuite être un instrument de gestion de son patrimoine privé. Lorsque la SPFPL ne détiendra plus de participation dans des officines de pharmacie, elle pourra être transformée en société commerciale classique de type SAS (cette possibilité de transformation est autorisée par la loi, mais depuis quelques années seulement).
La constitution de ce patrimoine professionnel n’est pas synonyme de la nécessité d’acquérir une officine d’importance. Les officines de taille plus réduite peuvent représenter un intérêt réel en raison d’une rentabilité des capitaux investis plus importante. Cette rentabilité peut être « dopée » par le régime fiscal des zones de revitalisation rurale (ZRR), dont le dispositif expirant au 31 décembre 2020 sera, nous l’espérons, reconduit. »
- Financement des officines : 4 solutions vertueuses… ou pas
- Prescriptions, consultations : les compétences des infirmiers sur le point de s’élargir
- Dispensation à l’unité : chassez-la par la porte, elle revient par la fenêtre
- Quelles populations sont actuellement à risque de développer un scorbut ?
- Gilenya (fingolimod) : quelles conditions de délivrance ?

