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La constitution de « grappes » de pharmacies partenaires : mode d’emploi

Publié le 21 novembre 2020
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La restructuration interne de la profession est liée à deux phénomènes. A l’appétence de plus en plus large des pharmaciens, en particulier des jeunes, à exercer en association et à la restructuration du métier par l’élargissement des missions des pharmaciens. On peut également ajouter comme autre moteur de cette évolution la restructuration des coopérations externes entre pharmacies qui veulent sortir d’un exercice isolé et cloisonné. Le mouvement est en marche et les composantes de l’exercice futur en groupe ou « grappe » se dessinent.

Laurent Fruleux et Olivier Delétoille, experts comptables du cabinet AdequA, sont témoins aux premières loges de cette évolution « en grappes » des pharmacies.

« Pour répondre aux attentes des patients et faire face à une certaine pression économique, des pharmaciens travaillent localement plus étroitement et des « grappes » d’officines partenaires éclosent sur le territoire », observe Olivier Delétoille. Cependant, les étapes financières et juridiques pour aboutir à leur mise en place posent des questions techniques plus ou moins ardues.

Autre complexité rencontrée : il faut trouver la voie d’un système de gouvernance et relationnel équilibré, adapté à des contextes toujours différents.

Pour les modèles les mieux aboutis, il s’agit de répartir certaines fonctions de manière transversale, dans l’intérêt du groupe (spécialisation médicale, flexibilité des ressources humaines, achats, gestion, adaptations des horaires, formations…). Les titulaires créeront ainsi de la valeur (rentabilité, sécurisation financière, rémunération honorable et valorisation des SEL), outre le fait de rencontrer un plaisir certain à travailler ensemble.

« La mise en œuvre stratégique définit les orientations générales et les modalités de la construction de la “grappe” sur le plan économique, juridique et fiscal, expose-t-il. La mise en œuvre opérationnelle concerne les modalités de fonctionnement au quotidien. »

La phase stratégique et de mise en œuvre

La cohérence du projet de construction d’un groupe de pharmacies et la compatibilité des associés potentiels sont des préalables incontournables. Les échanges entre les futurs titulaires à l’occasion de l’établissement du business plan (conséquences financières et voies juridiques) conduiront à adapter le business model. Il peut même révéler des contextes et des personnalités aboutissant à l’abandon pur et simple du projet, à sa complète réorganisation, ou encore à la sortie d’acteurs un moment pressentis. Le renoncement est aussi une voie.

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Les outils juridiques fixent un cadre limitatif entre les pharmacies partenaires, destiné à répondre à des objectifs commerciaux et capitalistiques plus ou moins intégrés entre les pharmaciens exerçants en SEL. Aucune solution ne sera identique tant les contextes, les objectifs des titulaires et leurs personnalités apparaîtront différents.

Les montages en SEL (liens capitalistiques) pour faire une « grappe » sont de deux sortes : soit la participation est croisée entre SEL, soit elle ne l’est pas.

La prise de participation non croisée

Le schéma d’installation d’un jeune, peu argenté est bien connu. « Il consiste pour un exploitant à s’allier avec un pharmacien investisseur, ce dernier détenant en finalité, selon les montages, jusqu’à 49,99 % ou 74,99 % (par le biais des SPFPL) des intérêts financiers d’une SEL (dividendes), rappelle Laurent Fruleux. L’investisseur attend simplement un effet de levier financier avec un rendement légitimement élevé à la mesure du risque pris. Là s’arrête souvent l’intérêt du projet si aucune autre ambition n’est portée en commun et d’autant plus si les officines ne se situent pas sur la même zone de chalandise. »

Si les officines se situent sur la même zone de chalandise, « l’investissement initié par le pharmacien investisseur aura souvent pour objectif principal, voire exclusif, de « museler » une concurrence potentiellement dangereuse, poursuit-il. C’est un investissement a minima, défensif. Il s’agit d’une simple prise de participation financière, et non pas de la constitution d’un groupe ou grappe de pharmacies. La création de valeur est quasi inexistante et le business model présente peu ou pas d’intérêt. »

Prises de participations croisées de deux SEL à égalité parfaite

Les prises de participation entre deux pharmacies sur la même zone de chalandise s’organisent sur le plan juridique, avec ou sans SPFPL. « Le modèle le plus intégré consiste à détenir au moins 50,01 % du capital de la SEL où le titulaire engage son diplôme et 49,99 % du capital de la SEL voisine en tant qu’associé investisseur. » Et inversement. « L’idée, évidemment, est que les deux officines travaillent véritablement en synergie dans l’intérêt du groupe ainsi constitué, et peu importe qu’un patient puisse être accueilli, conseillé et servi par l’une ou l’autre des entités », ajoute Laurent Fruleux.

Ce qui peut apparaître simple et limpide de prime abord se complexifie sur le plan économique, pour deux sujets au moins :

– Comment associer à égalité des titulaires dont les patrimoines (apports financiers initiaux ou valorisation des SEL) sont différents ? C’est une question objective purement financière ;

– Comment rémunérer le plus justement possible le travail et l’implication de chacun des titulaires ? C’est une question subjective, discutable à l’infini et source de mésentente si elle n’est pas correctement appréhendée.

Rachat : égaliser les participations croisées

Même si la situation est assez rare, il arrive que des pharmacies situées sur la même zone de chalandise soient mises en vente en même temps. En participations croisées, selon qu’il s’agisse de rachat de fonds ou de titres de SEL, les nouveaux titulaires interposeront de nouvelles SEL ou des SPFPL pour accueillir leurs apports financiers et porter l’endettement nécessaire au rachat.

Lors de cette situation particulière, « si les associés n’ont pas les mêmes moyens, mais s’ils ont toujours la volonté d’être à égalité au capital de l’ensemble “du groupe”, il pourrait être envisagé que l’associé le plus “fortuné” fasse un prêt aux SEL, en plus de son apport au capital, explique Olivier Delétoille. Ce prêt sera alors inscrit dans les comptes des SEL – en compte courant de l’associé prêteur – et portera intérêt annuellement. »

Autre cas de figure : l’opportunité de la constitution d’une « grappe » d’officines peut se présenter à l’occasion du départ d’un titulaire, ou alors que des titulaires déjà installés, surmontant leurs réticences, décident de se rapprocher. Au-delà du business model, se poseront rapidement les problèmes liés au business plan. En présence de SPFPL, dont l’antériorité est d’au moins 3 ans, les futurs associés se céderont mutuellement des titres de leurs SEL à hauteur maximum de 49,99 %. Avec le prix de cession, chacune assume théoriquement le financement du rachat de 49,99 % des titres de l’autre SEL. « Mais il est fort probable que le prix de deux SEL soit différent (en fonction de la valeur de chaque fonds, mais aussi des dettes, des stocks, des autres créances et dettes d’exploitation, ainsi que de la trésorerie des structures), souligne-t-il. Dans cette forme d’échange de titres, l’un des deux protagonistes recourra à l’emprunt ou disposera de la trésorerie (dans sa SPFPL) pour boucler le financement. »

En pratique, une mise à niveau des valeurs des SEL avant échanges entre associés est souvent nécessaire. Les conseils auront la possibilité de déployer toute la panoplie des opérations possibles : entre distribution préalable de dividendes, rachat de titres par la SEL elle-même, augmentation de capital et, enfin achat/cession entre les parties. « A la réflexion s’ajouteront quasiment toujours des contraintes fiscales assez techniques, de sorte que la solution financière et juridique retenue résultera d’un véritable jeu de “Mastermind” », prévient Olivier Delétoille.

Deux montages d’intégration possibles

a. Intégration de la SPFPL de Thibault au capital de la SEL Pharmacie du Soleil (dividendes puis cession de titres)

D’abord, la SEL Pharmacie du Soleil distribue un dividende de 400 000 € au profit de la SPFPL Marine. De facto, la SEL perd de sa valeur (avant l’opération, la SPFPL Marine détenait des titres d’une SEL valorisée 1 M€ et, après, des titres valorisés 600 000 € et une créance sur la SEL de 400 000 €). Puis, la SPFPL Marine cède 49,99 % des titres de la SEL Pharmacie du Soleil à la SPFPL Thibault, pour 300 000 € (4 999 titres à 60 €).

b. Intégration de la SPFPL Marine au capital de la SEL Pharmacie Principale (augmentation de capital)

C’est une autre voie imaginée ici, avec une simple augmentation de capital dans la SEL Pharmacie principale réservée à la SPFPL Marine (avant l’opération, Thibault détenait directement des titres d’une SEL valorisée 300 000 € et, après, il détient 50,10 % d’une SEL valorisée 598 800 €, soit toujours 300 000 €).

Deux observations :

– Les remontées de dividendes aux SPFPL ou les plus-values sur cession de titres ne sont pas ou très peu taxées, facilitant ainsi la prise de participation dans l’autre SEL ;

– Ce big bang associatif s’accompagne de mesures d’accompagnement avec des financements bancaires à long terme, à la fois dans les SEL (refinancement des emprunts actuels et financement des remontées de dividendes) et dans l’une ou les deux SPFPL.

La rémunération du travail des titulaires

La question de la juste rémunération du travail et du capital ne se pose pas quand l’entreprise est exclusivement détenue par celui qui y travaille (ainsi une faible rémunération, décidée par l’associé/titulaire unique, sera contrebalancée par la prise de valeur de la société, du fait de son désendettement ou de la constitution de réserves de trésorerie).

En association, et particulièrement si les intérêts en capital sont répartis sur plusieurs structures à égalité, ou non, la question se pose. « L’idéal est que la rémunération juste soit égalitaire entre tous, pour des implications identiques », conseille Laurent Fruleux. En pratique, il arrive que la rémunération du travail des exploitants soit inégale, car la quantité de travail est tout simplement différente (en fin de carrière pour l’un d’eux, par exemple). Plus délicat est d’arguer de compétences meilleures, d’expériences valorisantes ou, tout simplement, de la gestion d’une plus grosse pharmacie, pour retenir des rémunérations différentes. Cette situation est difficilement tenable en pratique dans les associations à égalité en capital.

Prises de participations croisées proportionnellement égalitaires

Il se peut que les associés, du fait de leur différence d’âge, de leur parcours professionnel ainsi que de leur patrimoine, ne puissent matériellement pas aboutir à une association parfaitement égalitaire au capital. Dans le schéma ci-dessous (avec interposition éventuelles de SPFPL pour les associés qui le souhaitent), les participations au capital des SEL ne sont pas égalitaires en valeur, mais elles le sont proportionnellement :

Le business model reste cohérent. Les associés impliqués de la même façon dans l’intérêt du groupe ainsi constitué sont rémunérés à égalité, avec un intéressement sur la rentabilité dégagée par les résultats consolidés.

Sur le plan capitalistique, les esprits chagrins souligneront que des associés ne détiennent que 10 %, 25 % ou 40 % des intérêts du groupe. « Mais ne vaut-il pas mieux détenir 10 %, 25 % ou 40 % de deux officines partenaires (raisonner en valeur plutôt qu’en pourcentage) que 100 % uniquement d’une SEL en concurrence frontale avec sa voisine ? », soulève Olivier Delétoille.

Prises de participations multiples, croisées ou non

Les « grappes » ne se bâtissent pas en un jour, mais à l’initiative de pharmaciens entreprenants et à l’occasion d’opportunités qui se sont révélées sur leurs zones de chalandise. Aussi, les organigrammes aboutissent souvent à un mixte entre participations croisées et non croisées au travers de plusieurs opérations financières et juridiques étalées dans le temps, tel que l’illustre l’exemple ci-dessous :

Concernant les moyens et les stratégies déployés, les associés instigateurs font de leurs SEL des vaisseaux amiraux du petit groupe ainsi constitué.

Mais ce système a ses limites, comme le démontre Olivier Delétoille : « D’abord, la mise en œuvre d’une politique commune rencontrera moins d’échos pour les pharmaciens exploitants ne participant pas réciproquement au capital de l’ensemble des SEL. Les réticences sur la mise en œuvre d’actions communes sont naturelles, et les désillusions, un risque. Ensuite, les montages de type “usine à gaz” ne facilitent pas une analyse réfléchie des intérêts légitimes des uns et des autres. »

Le déploiement de la phase opérationnelle

La phase opérationnelle est tout aussi prégnante en termes de questionnement, de fonctionnement, de recherche de synergie et de collaborations véritables. Considérant que la plupart des défaillances d’entreprise résultent de celle de leur gouvernance (egos, communication défaillante, jalousie, ressentiments, paresse, usure, malhonnêteté…), les associés doivent en particulier travailler cet aspect. Sachant que la particularité, en pharmacie, est que l’autoritarisme d’un seul ne peut pas s’imposer à tous, puisque le capital des SEL est partagé. Il faut apprendre à composer (sauf à prévoir une organisation juridique officieuse s’asseyant sur la législation !).

Ne pas confondre le business model et le business plan

Le premier définit la stratégie et le projet de l’entreprise. La deuxième décline les conditions d’abord financières, puis juridiques, du projet.

Le business model intègre le projet d’entreprise, la stratégie d’offre, l’analyse des menaces (concurrence, prescripteurs, partenaires…) et des opportunités, les forces et faiblesses, les ambitions économiques, la fonction des capacités (compétences et finances) réelles des titulaires.

Le business plan s’intéresse aux aspects financiers prévisionnels, à la juste rémunération des acteurs, à la rentabilité des capitaux investis, à la mesure des effets de leviers financiers, aux relations avec les partenaires financiers externes et à la sollicitation des financements (entre emprunt traditionnel, crédit booster, crédit vendeur ou capital-risque), et à la sécurisation juridique du projet.

Définition

Une grappe intégrée est constituée lorsque deux officines, au moins situées sur la même zone de chalandise, et dont les associés sont en lien capitalistique, travaillent véritablement en synergie professionnelle et médicale, comme si « le groupe » ainsi constitué ne faisait qu’une seule entité.

Exemple : Les associés de la SEL Pharmacie du Soleil et de la SEL Pharmacie Principale veulent être intégrés le plus étroitement possible sur le plan capitalistique, alors qu’elles sont valorisées respectivement à 1 M€ et 300 000 €.

A savoir

Les pharmaciens dirigeants répondent aux sollicitations et concentrent leurs moyens et leurs efforts sur :

– La stratégie d’offres : gammes, services, conseils et relations avec les patients, en recherchant de véritables spécialisations médicales, entre la logistique du médicament et le soin ;

– Le management : « savoir être » vis-à-vis des équipes, des associés, des patients, des partenaires et prescripteurs médicaux et des acteurs locaux ;

– Le pilotage opérationnel : « savoir-faire » en gestion, organisation des achats, logistique, nouvelles technologies, marketing, informatique, formation, qualité, administration et finances.

A savoir

La mise en œuvre d’une « grappe » passe aussi parfois par la rationalisation du nombre d’officines sur la zone de chalandise et/ou le positionnement de l’une (avec transfert) sur des lieux plus prometteurs, commercialement et professionnellement.

La conclusion de Laurent Fruleux

« La mise en œuvre opérationnelle de l’organisation évolutive de la “grappe” découle de la réflexion commune entre les pharmaciens. Elle dépendra bien évidemment des contraintes matérielles, commerciales, concurrentielles, mais aussi des intérêts capitalistiques des uns et des autres. En définitive, chaque “grappe” réfléchira à une organisation sur mesure et non “prêt-à-porter”, d’un modèle plus ou moins collaboratif, plus ou moins intégré. Il est entendu que l’interdépendance entre les acteurs est plus forte dans les modèles intégrés. »

La conclusion d’Olivier Delétoille

« Ainsi, travailler ensemble résulte d’un véritable processus visant à distinguer les questions importantes de celles qui le sont moins, à communiquer vraiment et régulièrement même et, surtout quand tout va bien, à s’occuper du niveau de la relation entre associés, à définir une orientation générale et un projet commun basés sur un vocabulaire positif.

Par ailleurs, entrer dans un groupe, toutes proportions gardées, c’est aussi déjà prévoir sa sortie. Les conditions sont formalisées à l’avance sur les aspects financiers et organisationnels. La “grappe” d’officines attirera d’autant plus les talents et la relève que la question aura été clairement préparée.

Les uns voient dans la constitution d’une “grappe” un projet professionnel intergénérationnel à long terme, les autres, libéraux par opportunité, imaginent sacrifier une profession libérale dont ils sont issus, avec la cession en bloc du groupe ainsi constitué, dans l’hypothèse de l’ouverture du capital des SEL à des non-pharmaciens. »