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Une communication sur les nouvelles missions décomplexée
Plus ou moins méconnues du grand public, les nouvelles missions du pharmacien, comme les entretiens pharmaceutiques, la vaccination contre la grippe et, depuis peu, les tests sérologiques et les tests antigéniques du Covid-19, font l’objet de quantité de messages de la part des officines. Mais jusqu’où communiquer sans sortir des clous ?
Pierre Béguerie, président de la section A du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, est en colère. « Je suis outré de voir que des pharmaciens utilisent leurs nouvelles missions pour déborder complètement du cadre réglementaire et se faire de la publicité », s’énerve le titulaire d’officine. Selon lui, on assiste à une sorte de dérive publicitaire. « Comment se fait-il qu’un confrère, qui a demandé l’autorisation au préfet de réaliser des tests antigéniques dans un Algeco situé à une centaine de mètres de son officine, affiche un placard de 3 x 5 mètres indiquant : “Ici tests gratuits toute la journée”. Les tests ne sont pas gratuits, c’est mensonger, ils ont un coût supporté par l’assurance sociale. De plus, ce type d’affiche a souvent été condamné quand il était apposé en devanture d’une pharmacie parce qu’il ne respectait pas le tact et la mesure qui sied à un professionnel de santé. Parce qu’il s’agit d’une nouvelle mission, on se croit autorisé à faire tout et n’importe quoi ? »
Difficile de trouver la limite entre l’information de santé publique et la promotion d’un service rémunéré. Aujourd’hui, tester pour trouver les cas positifs au Covid-19 et vacciner contre la grippe s’inscrit dans le cadre d’une urgence sanitaire. La communication permet aux pharmaciens de faire connaître leurs nouveaux rôles, dont celui des tests de dépistages du Covid-19 qui n’existait pas il y a encore quelques semaines. « C’est le paradoxe français, s’emporte Alain Hababou, président d’Aprium Pharmacie et titulaire à Paris. Le dépistage massif de la population est un enjeu national, on nous a donné la possibilité de tester dans un barnum à l’extérieur pour déployer rapidement ce service mais il faudrait une tente neutre, sans texte ? Faut-il att endre que les gens viennent nous demander ce que l’on fait là ? Je ne crois pas qu’écrire “ici tests” soit communiquer de façon démesurée et anormale. Pour pouvoir mener un dépistage de masse, il faut le faire savoir », continue-t-il en soulignant qu’une affiche est sans commune mesure avec, par exemple, une distribution de flyers dans la rue.
Dans la limite du « tact et mesure »
Avec les réseaux sociaux, les messages des pharmacies s’étaient déjà éloignés des comptoirs. Aujourd’hui, des affiches aux couleurs vives sont placées au dos des barnums réservés aux tests antigéniques du Covid-19 installés sur les trott oirs, devant les officines. Autre source de visibilité, depuis le lancement de la campagne de vaccination contre la grippe puis la possibilité de réaliser des tests Covid-19, il ne se passe guère de semaines sans qu’une chaîne de télévision consacre un reportage aux nouveaux services eff ectués sous la bannière d’une croix verte… « Environ trois fois par semaine, les pharmacies Aprium sont au journal de 13 heures ou de 20 heures et nous ne payons pas d’agence de relations publiques à ce sujet, se défend Laurent Keiser, directeur général du groupement Aprium Pharmacie. En fait, les chaînes BFM, France 2, TF1 et CNews sont installées dans le 15e arrondissement ou à Boulogne-Billancourt, là où nous avons plein de pharmacies ! ». De fait, remarque Alain Bensoussan, du cabinet spécialisé en droit du numérique et des technologies avancées Lexing Alain Bensoussan Avocats, « un titulaire a le droit de répondre à une interview, de devenir influenceur, d’avoir une att achée de presse, une chaîne YouTube. A condition, là encore, que l’information délivrée soit véridique, loyale et formulée avec tact et mesure ».
Pour faire connaître leurs nouvelles missions, les pharmaciens réinventent, pour l’occasion, leur façon de communiquer. Pas si simple lorsque les règles de communication en vigueur sont coincées dans un Code de déontologie qui date de 1995, soit avant l’émergence d’Internet. Dans les faits, chaque communication d’officine constitue un cas particulier et chaque chambre disciplinaire est « souveraine », reconnaît Pierre Béguerie. L’article R. 4235-30 du Code de déontologie stipule que « toute information ou publicité, lorsqu’elle est autorisée, doit être véridique, loyale et formulée avec tact et mesure ». Cela laisse une marge d’interprétation. Tous les acteurs semblent toutefois d’accord pour accepter qu’Internet, et donc les réseaux sociaux, sont une prolongation du point de vente physique. En cela, le Web est considéré comme une vitrine de plus.
« L’article R. 4235-30 concerne le contenu. C’est l’obligation que l’on peut en ce sens qualifier d’“ombrelle”, résume Alain Bensoussan. Ensuite, il faut distinguer le contenu, la forme et le vecteur des messages. De fait, ce n’est pas la même chose d’adresser une information par e-mail ou de la diffuser sur un site internet que chacun décide de son plein gré d’aller consulter. De même, si quelqu’un venu chercher ses médicaments accepte qu’on lui communique des informations utiles à la santé, et dans ce cadre, fournit à son officine son adresse e-mail ou son numéro de portable, sa pharmacie pourra lui envoyer des messages sous réserve qu’il ne s’agisse pas d’une opération de démarchage. Car outre l’obligation “ombrelle” précitée, il existe une obligation “plancher” qui interdit d’une part de tromper le consommateur, d’autre part de se livrer à tout acte de concurrence déloyale ». Ainsi, un SMS et un e-mail peuvent être envoyés aux seuls patients ayant accepté de recevoir des messages. Mais pas question d’acheter un fichier pour informer les médecins de son département ou les habitants de sa région.
Publicité ou information de santé publique ?
Entretiens pharmaceutiques, bilans partagés de médication (BPM), vaccination antigrippale, test rapide d’orientation diagnostique (Trod) angine… Le métier de pharmacien évolue rapidement et cela échappe à certains patients. En toute logique, l’officine a communiqué sur les missions que les autorités de santé lui confient à un rythme accéléré. Jusque-là, ces messages faisaient peu de vagues. Aujourd’hui, les tests de dépistage du Covid-19 changent la donne.
Les tests antigéniques ont pour particularité d’être parfois effectués à l’extérieur du point de vente, sur un trottoir, un parking, et éventuellement sous un barnum, dans un chalet ou un Algeco. A elle-seule, cette construction temporaire attire l’œil du passant. Elle détonne bien plus dans le paysage qu’une vitrine même équipée d’écrans lumineux. Pourtant, la mise en place de ces pièces déportées répond avant tout à une exigence sanitaire, pour bénéficier d’un endroit aéré et éviter le mélange des flux de patients.
« Pour la vaccination, on nous demande un certain parcours client, et pour les tests, il inclut un système de “marche avant”, explique Alain Hababou. Par conséquent, alors que ma pharmacie fait 120 m2, j’ai installé un barnum à l’extérieur pour y réaliser les tests en répondant à ces enjeux de sécurité sanitaire. Depuis, dans ma rue, je remarque l’attitude des gens : leurs regards sont dubitatifs, ils s’arrêtent et nous demandent comment ça marche, si c’est du nasopharyngé, si c’est fiable, si c’est du PCR… Quand je réalise les tests, je passe la moitié de mon temps à informer. » « Ça donne une image extrêmement positive de la pharmacie, il suffit d’écouter ce qu’on nous dit : “Merci, c’est bien ce que vous faites, c’est bien de le faire” », poursuit-il.
Les groupements au taquet
Au fil des nouvelles missions, les groupements se sont déjà mis en ordre de marche pour proposer des outils de communication prêts à l’emploi. Les supports utilisés sont assez habituels : affiches, messages pour les réseaux sociaux, articles dans les magazines d’enseigne, vidéos à diffuser sur des écrans, radio interne, etc. Prudent, chez Pharmabest, on mise sur une seule et même recette. « Nous faisons extrêmement attention à ce que nos textes respectent parfaitement les règles métier. D’où notre règle de communication : poser la question ou donner une information, puis renvoyer vers le pharmacien pour demander conseil, explique Alain Styl, directeur général de l’enseigne dont les pharmacies occupent pour la plupart plus de 500 m2 de surface de vente, craignant que l’Ordre ne surveille particulièrement les grosses officines. Contrairement à une idée reçue, les groupements n’ont pas forcément sorti tout l’arsenal à leur disposition pour les nouvelles missions. Ainsi, Aprium et Univers Pharmacie confient ne pas avoir rédigé de texte destiné à être envoyé par SMS pour avertir la patientèle de la mise en place des tests. Motif invoqué : toutes les pharmacies adhérentes ne proposent pas ce service. « C’est en cours d’étude, confie Daniel Buchinger, président d’Univers Pharmacie et de Forum Santé, interrogé fin novembre. Ce serait uniquement destiné aux clients qui ont demandé expressément à être informés par leur pharmacie. Il aurait aussi fallu que tout soit prêt dans toutes les pharmacies, or du fait des pénuries de tests, pour l’instant, seulement trois quarts d’entre elles sont installées. » Reste que certains titulaires se sont approprié l’outil et ont diffusé des messages. Un exemple expédié le 9 novembre en tout début de campagne par un adhérent breton Aprium : « La pharmacie X propose le test antigénique gratuit, et sans rendez-vous, résultat en 15 minutes, de 9 h 30 à 17 h 30. » Chez Pharmabest, on indique même avoir mis la pédale douce sur la communication concernant la vaccination. « L’an dernier, nous avions réalisé une campagne à 360° sur le vaccin, mais cette année, “on joue low profile ”, car la demande a été très forte et nous ne voulions pas créer de déception chez les clients », détaille Alain Styl. « En communiquant, on aurait pu connaître un afflux de personnes et ça aurait été une catastrophe, du fait des distances à respecter et de la frustration de ne pouvoir délivrer des vaccins », insiste-t-il. Pour systématiser l’information sur les nouvelles missions et les faire connaître, Univers Pharmacie va jusqu’à proposer des éléments de langage aux équipes. « Il ne suffit pas d’un simple message, il faut le réaliser. L’enjeu, c’est l’usage. On a bien vu que les gens ont eu une image différente du pharmacien quand il s’est mis à vacciner », martèle Daniel Buchinger. Ainsi, son groupement envoie chaque mois un coach chez ses adhérents. Son rôle va jusqu’à la suggestion de phrases bien ficelées à dire au comptoir. Exemple : « Dans le cadre de notre démarche qualité, nous analysons vos médicaments une fois par an ». Cette communication factuelle vise à déboucher sur un BPM.
L’arlésienne du nouveau Code de déontologie
Dans ce contexte, la profession piaffe de voir adouber par les autorités le nouveau Code de déontologie, prêt depuis 2016, mais toujours en attente d’un retour du ministère des Solidarités et de la Santé. Le texte, qui prend en compte Internet, apporte des précisions sur la communication des nouvelles missions et le champ d’action des groupements en la matière. Pour l’heure, Alain Bensoussan se veut rassurant. « Aujourd’hui, l’urgence sanitaire justifie que les pharmacies puissent communiquer de manière libre et paisible ». Et ce, toujours avec tact et mesure. Reste à savoir comment trancheront les chambres disciplinaires.
Bon à savoir
Les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, etc.), comme les sites internet, sont considérés comme une vitrine supplémentaire de la pharmacie physique. Ils répondent aux mêmes règles de déontologie.
À RETENIR
« Ce n’est pas parce qu’on nous a donné une nouvelle mission que l’on peut l’utiliser pour se faire de la publicité à outrance », expliquait Pierre Béguerie, président de la section A, lors de la webconférence de l’Ordre des pharmaciens, le 3 décembre. « Le pharmacien peut délivrer une information aux patients sur cette nouvelle mission », ajoute-t-il. Et d’énoncer les trois principes déontologiques de communication de l’officine :
– pas de sollicitation de clientèle contraire à la dignité professionnelle ;
– respect du tact et de la mesure ;
– pas de concurrence déloyale.
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