Insécurité dans les pharmacies : quand le vol vire au cauchemar

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Insécurité dans les pharmacies : quand le vol vire au cauchemar

Publié le 15 avril 2024 | modifié le 21 novembre 2024
Par Christelle Pangrazzi
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Les chiffres sur l’insécurité dans les officines – vols, agressions verbales ou physiques, cambriolages – ont bondi de 30 % en un an. Souad exerce dans une ville de Seine-Saint-Denis. Elle a accepté de nous raconter son histoire. Depuis son centre de rééducation…

Violemment agressée en février dernier, lors d’un vol dans son officine, Souad 37 ans, a dû subir une opération de 5 heures de la colonne vertébrale. Si elle peut espérer remarcher un jour, elle gardera néanmoins un handicap à vie. Il est 14 heures, ce mercredi 14 février 2024, quand Souad 37 ans, titulaire à Epinay-sur-Seine entend une collaboratrice hurler. « J’étais dans la salle de confidentialité avec une patiente. Je suis sortie précipitamment, j’ai vu ma collègue se débattre avec deux hommes qui tenaient un sac isotherme rempli de produits de parapharmacie pour éviter que le bip des portiques ne se déclenche. »

Les individus prennent la fuite

Malgré l’intervention de Souad, les deux hommes ont réussi à s’enfuir. « Je n’ai pas réfléchi. J’ai couru derrière eux. L’un d’eux m’attendait dans la rue en haut d’un escalier, il m’a donné un coup, je suis tombée sur le dos contre les marches. » Immobilisée, Souad est incapable de se relever. « Une autre collègue, enceinte, a voulu courir derrière moi. En voyant la scène, elle a fait une fausse couche. » Des membres de l’équipe ont pisté l’un des agresseurs. Ils ont réussi à l’interpeller. Le second a été attrapé une semaine plus tard grâce au travail acharné d’un brigadier. « Lorsque les pompiers sont arrivés, j’étais par terre et ils m’ont demandé de me lever. Ils n’avaient pas de civière. J’ai fait un effort surhumain pour tenter de me redresser. »

Des vertèbres cassées et comprimant la moelle

Aujourd’hui, une enquête est menée par la caserne des pompiers de Paris afin de déterminer si ces manquements à la procédure n’ont pas davantage aggravé l’état des vertèbres de Souad. Arrivée à l’hôpital, le diagnostic est lourd : une vertèbre cassée et quatre autres comprimant la moelle épinière provoquant une sténose. L’opération va durer 5 heures. « Le chirurgien n’était pas optimiste : je pouvais perdre l’usage de mes jambes. Il m’a posé cinq plaques dans le dos. Aujourd’hui, j’ai des douleurs neuropathiques constantes dans les deux jambes. Je risque d’en avoir à vie. Je commence tout juste à pouvoir me redresser avec un déambulateur. Je suis en centre de rééducation jusqu’à l’été. Ma fille de 6 ans et mon mari viennent me voir. Comme moi, ils sont suivis psychologiquement »

Cinq cambriolages en trois ans et des pertes financières importantes

Avant cet épisode dramatique, Souad et son associée avaient été cambriolées cinq fois en trois ans, à chaque fois de nuit. Les voleurs cherchaient des stupéfiants. « Nous avions alerté l’Ordre, la police et avions un peu l’impression d’être seules au monde.» Lors du dernier casse, en août 2023, ils ont aussi pris le serveur informatique. « Nous avons perdu beaucoup de dossiers dont un certain nombre pas encore payés par l’Assurance maladie. Notre avocat estime le préjudice à 30 000 euros. ». Excédées, Souad et sa consœur avaient pris les services d’un vigile depuis novembre 2023. « Il venait tous les jours surtout au moment de la fermeture ou aux heures de pointe. Sa présence ne rebutait pas forcément les voleurs. »

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Un procès en juin

Traumatisée, Souad ne souhaite pas reprendre le travail dans sa pharmacie. « J’aime mon métier mais je ne peux plus exercer dans ce lieu. J’ai trop peur. Je vais vendre mes parts à ma consœur. Tous les jours, j’appelle mon équipe, je crains pour leur sécurité. ». Aujourd’hui, elle prône pour un meilleur accompagnement des pharmaciens. « La profession doit mettre en place des formations pour nous indiquer comment agir et réagir en cas d’agressions verbales et physiques.» Les agresseurs de Souad n’ont pas été placés en détention malgré le souhait du brigadier. 48 heures après leur interpellation, ils sont sortis libres sous contrôle judiciaire avec bracelet électronique. Le procès aura lieu en juin.