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Toute dégradation des conditions de travail ne vaut pas prise d’acte

Publié le 30 janvier 2021
Par Anne-Charlotte Navarro
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En matière de prise d’acte, il appartient au salarié qui reproche des manquements à son employeur d’en apporter la preuve. Sinon, il ne s’agira que d’une simple démission.

LES FAITS

M. R. a été engagé en qualité de chauffeur routier en 2000. A la suite de la reprise de l’entreprise qui l’emploie, le planning de M. R. est bouleversé, ponctué de coupures de 15 heures sur un parking et de retenues sur salaire pour dépassement de son forfait professionnel de téléphonie. Estimant la poursuite de son contrat de travail mise à mal, M. R. saisit le conseil de prud’hommes pour que les magistrats constatent la prise d’acte et ainsi la rupture de son contrat aux torts de l’employeur.

LE DÉBAT

La prise d’acte est la situation dans laquelle le salarié notifie à l’employeur la rupture de son contrat de travail en lui en imputant la responsabilité en raison d’un comportement fautif ou du non-respect des obligations contractuelles, rendant impossible la poursuite de l’exécution du contrat. Il appartient au salarié qui reproche des manquements à l’employeur de rapporter la preuve des griefs qu’il invoque, à défaut de quoi la prise d’acte produit les effets d’une démission. En pratique, les faits peuvent être multiples : non-respect du droit au repos hebdomadaire, irrespect de la réglementation propre au temps partiel ou encore manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat, le salarié ayant été victime d’actes de harcèlement moral ou sexuel. En l’espèce, M. R. reprochait à son employeur une dégradation de ses conditions de travail, en raison des nombreuses pauses imposées par son employeur et d’une retenue sur salaire. La cour d’appel de Rennes (Ile-et-Villaine), le 16 mai 2018, estime que les éléments apportés par M. R. ne permettent pas de qualifier des manquements suffisamment graves pour justifier une prise d’acte. Ils analysent l’attitude de M. R. comme une démission. Ce dernier forme un pourvoi en cassation.

LA DÉCISION

Le 12 novembre 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation considère qu’opérer des retenues illicites sur le salaire et rendre plus désagréables les conditions de travail du salarié sont deux éléments qui peuvent être considérés comme des manquements insuffisamment graves pour justifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur. Elle confirme donc l’interprétation de la cour d’appel. Les magistrats rappellent également que l’appréciation de la gravité des manquements invoqués par le salarié relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, c’est-à-dire de la cour d’appel.

Cet arrêt permet à la Cour de cassation d’affiner sa jurisprudence sur la prise d’acte. Le 29 janvier 2020 (n° 17-13961), elle décidait que les retards de paiement dans le versement du salaire ne justifiaient pas une prise d’acte. En revanche, le 15 janvier 2020 (n° 18-23417), la chambre sociale de la Cour affirmait que la dégradation des conditions de travail due à un harcèlement moral constituait un manquement grave justifiant la prise d’acte. Le harcèlement moral peut se définir par des agissements répétés susceptibles d’entraîner, pour la personne qui en est victime, une dégradation de ses conditions de travail pouvant aboutir, entre autres, à une atteinte à ses droits, à sa dignité ou à une altération de sa santé physique ou mentale.

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Source : Cass. soc., 12 novembre 2020, n° 18-19656 (4e moyen).

À RETENIR

La prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat à la suite des manquements graves de l’employeur.

Une dégradation des conditions de travail ne constitue par un manquement suffisamment grave aux obligations de l’employeur pour justifier une prise d’acte.

Seuls le conseil de prud’hommes et la cour d’appel sont compétents pour apprécier la gravité des manquements de l’employeur au regard des preuves apportées par le salarié.