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Cannabis : l’expérimentation fera-t-elle tache d’huile ?

Publié le 27 mars 2021
Par Anne-Hélène Collin
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L’expérimentation du cannabis à usage médical débute ce 26 mars sous l’égide de l’ANSM. L’officine peut immédiatement jouer son rôle dans cet essai qui fait sauter de nombreux verrous. Et qui pourrait, en cas de résultats satisfaisants, donner lieu à une généralisation du cannabis médical et l’étendre à d’autres indications.

Pourquoi cette expérimentation ?

Les données scientifiques convergentes démontrant un intérêt du cannabis dans certaines indications, une demande grandissante et les retours prometteurs de nombreux pays où l’usage médical du cannabis est autorisé ont conduit l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à entamer les réflexions en septembre 2018. Le feu vert a été donné par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2020. Le but : tester l’efficacité et la sécurité du cannabis à usage médical et la faisabilité du circuit. L’expérimentation doit durer 24 mois à compter de l’inclusion du premier patient.

Pour qui ?

L’expérimentation porte sur 3 000 patients, sans critère d’âge restrictif, traités et suivis pendant au moins six mois dans cinq indications : douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles (750 patients) ; certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes (500) ; certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou à ses traitements (500) ; situations palliatives (500) ; spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central (750).

Les patients peuvent bénéficier du traitement jusqu’à la fin de l’expérimentation s’il est efficace et bien toléré, ou se retirer à tout moment (en évitant l’arrêt brutal du traitement).

Avec quels produits ?

La voie fumée, trop nocive, avait été rejetée d’emblée. Deux formes médicamenteuses ont donc été retenues : les huiles administrées par voie orale en flacon, en traitement de fond, et les sommités fleuries à vaporiser pour inhalation, pour l’action immédiate (a priori en juin prochain). Tous ces médicaments, prêts à l’emploi, seront disponibles selon différents ratios tétrahydrocannabinol (THC)/cannabidiol (CBD) : THC dominant (THC 20/CBD 1), CBD dominant (THC 1/CBD 20) ou ratio équilibré (THC 1/CBD 1). En phase de titration, le premier mois, la dose minimale est prescrite puis sera augmentée progressivement.

Les médicaments à base de cannabis sont des stupéfiants et relèvent de la législation qui s’y rapporte. « On ne demande pas de déconditionner les flacons d’huile de cannabis, c’est impossible. Il faudra s’adapter au conditionnement, souligne Nathalie Richard, directrice adjointe du pôle chargé notamment des médicaments en neurologie, antalgie, stupéfiants et psychotropes à l’ANSM. Il faudra aussi s’attendre à des chevauchements, en particulier dans la période de titration. »

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Avec la participation de tous les pharmaciens ?

C’est le patient qui désigne son pharmacien. Seuls les pharmaciens d’officine volontaires peuvent participer à l’expérimentation (commander, dispenser et renseigner le registre de suivi), et ce dès la primoprescription, à condition d’avoir suivi et validé la formation (e-learning de 2 h 30, gratuit) élaborée par l’ANSM. Il est conseillé que plusieurs pharmaciens au sein de la même officine soient formés pour assurer la continuité des traitements, en période de vacances notamment. Le patient peut également s’approvisionner auprès de la pharmacie à usage intérieur (PUI) habilitée de sa structure de référence. Pour l’ANSM, intégrer l’officine dès le début de l’expérimentation permet de faciliter l’accès aux médicaments à base de cannabis sur tout le territoire, et d’évaluer le circuit d’approvisionnement en ville. La participation à l’expérimentation peut se faire à tout moment.

Quel suivi ?

Tous les patients inclus sont obligatoirement inscrits dans le registre national électronique de suivi (ReCann), accessible aux professionnels de santé autorisés via leur numéro du répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS), qui devront également le renseigner. Le registre ne se substitue pas au dossier médical des patients.

Ce registre renferme certaines données personnelles du patient, ainsi que sur les posologies dispensées, l’efficacité, les effets indésirables, le retentissement sur la qualité de vie… et les informations pratiques relatives au circuit et à son accessibilité (délai d’obtention d’un rendez-vous, délai de dispensation après présentation de l’ordonnance, etc.). Ces données permett ent à l’ANSM de suivre en temps réel l’expérimentation.

Comment s’approvisionner ?

Les fournisseurs de médicaments à base de cannabis agréés sont peu nombreux. Ce sont des producteurs étrangers qui travaillent en partenariat avec un établissement pharmaceutique autorisé en France, exploitant de médicament (exemples : Emmac Life Sciences et Boiron). Les médicaments suivent un circuit d’approvisionnement spécifique. En pratique, le pharmacien remplit le bon de commande ad hoc et sera livré par un dépositaire dans les 48 heures.

Comment délivrer les médicaments ?

« Le rôle fondamental du pharmacien est de vérifier que le médecin est habilité à prescrire du cannabis, et donc qu’il est inscrit dans le registre de suivi du patient », alerte Nathalie Richard. Car seuls les médecins inscrits dans le ReCann – c’est-à-dire des médecins volontaires ayant validé leur formation – peuvent prescrire le cannabis à usage médical. L’initia tion du traitement est strictement réservée à ceux exerçant dans des structures de référence volontaires, essentiellement situées dans des établissements hospitaliers. Le renouvellement est possible par tout médecin inscrit au registre. Lors de la délivrance, le pharmacien renseigne dans le registre les quantités délivrées et les potentiels effets indésirables relevés par le patient (les centres régionaux de pharmacovigilance ne sont pas à contacter).

Et après ?

Un rapport sera remis au Parlement six mois avant la fin de l’expérimentation. Pour ensuite, espère-t-on à l’ANSM, généraliser celle-ci et même l’étendre à d’autres indications.