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ÉVITEZ LES PIÈGES

Publié le 1 avril 2021
Par Francois Pouzaud
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Les aides de soutien gouvernementales face au Covid-19 ont-elles encore une raison d’être pour les officines ? Entre les nouveaux plans de maîtrise des dépenses de santé et la sortie de crise avec la fin du financement du « quoi qu’il en coûte », l’année 2021 laisse présager que le pire est à venir. Face au manque de lisibilité, mieux vaut renforcer la garde.

MIS À PART LES GRANDES PHARMACIES DE PASSAGE ET LES PHARMACIES DE CENTRE COMMERCIAL, les officines ne connaissent pas la crise. En moyenne, elles ont affiché une croissance comprise entre 2,5 % et 3 % en 2020, selon plusieurs cabinets d’expertise comptable. Pourtant, lors du premier confinement au printemps 2020, les pharmaciens inquiets de contracter une perte économique ont, par mesure de sécurité, sollicité une ou plusieurs mesures de soutien aux entreprises mises en place par le gouvernement : chômage partiel des assurés, report des échéances sociales et fiscales ou d’emprunt, prêt garanti par l’État (PGE), etc. L’activité partielle a été la mesure la plus utilisée, afin de ne pas exposer les salariés. Puis, la majorité des pharmaciens a renoncé à ce dispositif de soutien à mesure que l’activité est revenue à la normale. Mais, pour Joël Lecœur, expert-comptable, président de CGP, « 2021 est l’année de tous les dangers, du fait des mesures de maîtrise des dépenses de santé (déremboursement de l’homéopathie, baisse des prix…) et de la poursuite annoncée de l’effondrement de l’activité conseil sur les pathologies hivernales lié aux gestes barrières (port des masques, lavage des mains) ».

Maintien du PGE.

Le scénario de sortie de crise est un point clé, car il conditionne l’arrêt probable des mesures de soutien à court terme (report d’échéances, activité partielle…). Dans l’arsenal des aides, le PGE est le meilleur dispositif pour sécuriser sa trésorerie. « Au premier confinement, des pharmacies de centre commercial ont agi par anticipation et pris de façon préventive le PGE auprès de leur banque. Mais tant que son remboursement n’est pas exigible et qu’il est conservé en trésorerie, il n’y a pas lieu de se précipiter à le rembourser » conseille Pierre Ribac, expert-comptable du cabinet Extencia à Lyon (69). Accessible jusqu’au 30 juin 2021, ce prêt est garanti par l’État à hauteur de 90  % du montant prêté aux PME. Il peut représenter jusqu’à trois mois de C.A de 2019 (25 % du montant total du C.A HT) ou deux années de masse salariale pour les entreprises créées depuis le 1er janvier 2019. Aucun remboursement n’est exigé la première année, les emprunteurs pouvant choisir, à l’issue de celle-ci, d’amortir ce prêt sur une période additionnelle allant jusqu’à cinq années. Le gouvernement a décidé de reporter d’une année supplémentaire son remboursement pour les entreprises qui en auront réellement besoin. Olivier Delétoille, expert-comptable du cabinet AdequA, estime que les entreprises peuvent avoir intérêt à le garder plus d’un an. « Un PGE s’inscrit dans une réflexion à long terme, avec des emprunts remboursables le plus souvent sur 10/12 ans au départ, alors que les conséquences de la crise se feront sentir dans quelques années. Il faut donc anticiper, car le caractère automatique et simple de cette mesure ne sera pas pérenne, et il apparaîtra plus compliqué de solliciter le soutien de la banque lorsque les difficultés seront vraiment là ».

L’activité partielle si nécessaire.

« Seules les officines qui ont été exposées à des pertes importantes de clientèle ont sollicité les dispositifs de chômage partiel. Un levier souvent actionné par les grandes pharmacies de passage compte tenu de leur grosse masse salariale », relève Pierre Ribac. Encore aujourd’hui, les pharmacies les plus fragilisées par les mesures de restriction de l’État, au premier chef les officines de montagne (de l’ordre d’une centaine) face à la saison blanche qui se profile, ne doivent pas s’en priver pour maintenir les emplois et pour la survie de leur entreprise. Si elles ont perdu au moins 70 % de leur C.A., elles ont droit au fonds de solidarité dédié aux entreprises du secteur S1 Bis (commerce de détail, loueurs immobiliers des stations de ski…), qui permet d’accéder à une indemnisation couvrant 20 % de leur C.A 2019 (dans la limite de 200 000 €/mois). Si la perte de C.A est moindre, elles pourront peut-être compter sur l’aide spécifique de l’Assurance maladie aux professionnels de santé libéraux (en cours de négociation).

Prêt d’acquisition en pause.

Malgré leur capacité de résilience plus élevée que la moyenne, « dès lors qu’elles ont un fort endettement auprès des banques (lié à un prêt d’installation), les grandes pharmacies sont exposées au risque de défaillance ou peuvent rencontrer de réelles difficultés à aller au terme de leurs emprunts », souligne Joël Lecœur. Indépendamment de la crise sanitaire, Olivier Delétoille observe qu’elles apparaissent souvent sur les dernières années d’échéances et s’accompagnent nécessairement de mesures préventives traditionnelles, comme le réétalement ou le refinancement. « Avec les deux dispositifs de soutien (différé d’amortissement sur emprunt et PGE), les pharmaciens ont été nombreux à renflouer leur trésorerie et être en capacité de gérer les prochaines crises locales éventuelles ». Quant au coût du report des échéances d’emprunt, « il est variable d’une banque à l’autre », note Pierre Ribac. Autre point de vigilance : si le pharmacien a sollicité un report de six mois, ou plus, du remboursement du crédit sur l’officine, sans en changer la durée, la conséquence sera une augmentation des mensualités. Il faudra en tenir compte pour que l’entreprise ne se retrouve pas face à un mur de dettes si elle rembourse simultanément plusieurs prêts.

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Arrêter les reports d’échéances Urssaf.

Au début de la crise, en mars 2020, les entreprises se sont vues appliquer d’office un report de paiement des cotisations Urssaf. Ensuite, la rentrée a donné lieu à une reprise progressive de la collecte et du recouvrement des cotisations selon des modalités adaptées aux secteurs en difficulté. « Les appels de cotisations se sont faits sur la base d’une assiette réduite de 50 %, ce qui signifie que le dirigeant a déclaré moins de cotisations en 2020, avec un effet Kiss Cool d’augmentation de la fiscalité de ses revenus en 2021 », explique Joël Lecœur. Les pharmaciens qui n’enregistrent pas de baisse inquiétante de leur activité n’ont aucun intérêt à laisser perdurer ces décalages de paiement des cotisations sociales du dirigeant, ces mises en report pouvant générer un complément d’impôts.

LA LECTURE DU COMPTE SE COMPLIQUE

Les différentes aides mises en place (chômage partiel, PGE, allongement de la durée d’emprunt, autres aides financières…) vont avoir un impact sur les comptes de résultat. « En particulier, le report des échéances bancaires et la souscription d’un PGE vont se traduire par une lecture plus difficile de l’évolution du fonds de roulement et du besoin en fonds de roulement de l’entreprise, s’attend Emmanuel Leroy, expert-comptable, responsable national du réseau professions de santé de KPMG. L’analyse de la capacité d’autofinancement et la réalisation d’un prévisionnel de trésorerie sur les 36 mois à venir s’avère particulièrement nécessaire pour bon nombre d’entreprises ».