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« Le pharmacien est plus que jamais le cœur vert du système de santé »
Directeur général du groupe Pierre Fabre depuis le 1er juillet 2018, Eric Ducournau a lancé un plan de transformation qui passe par un recentrage de l’activité médicale sur l’oncologie et la dermatologie. L’officine garde sa place de choix dans l’orientation stratégique du laboratoire pharmaceutique. Conversation.
Le chiffre d’affaires du groupe Pierre Fabre s’est établi à 2,26 Md€ en 2020. Comment se répartit-il entre les différentes activités du groupe ?
La dermocosmétique a représenté 55 % de nos ventes. Le médicament est cependant en progression grâce à des lancements récents en cancérologie qui ont enregistré une croissance de plus de 100 M€ en 2020. Cette dynamique modifie la physionomie du groupe. Elle va se poursuivre puisque nous visons un chiffre d’affaires de 450 M€ en oncologie d’ici trois ans. Globalement, notre objectif est d’atteindre en 2023 un chiffre d’affaires compris entre 2,6 Md€ et 2,7 Md€, réparti à parité entre nos deux activités et réalisé pour 70 % à l’international.
Cela semble pour le moins audacieux de se lancer sur le marché de l’oncologie sur lequel des mastodontes sont bien installés. La concurrence avec ces laboratoires ne vous fait donc pas peur ?
C’est audacieux car ils possèdent une grosse force de frappe. C’est pourquoi nous nous positionnons sur des produits de niche. Nous sommes par exemple en concurrence avec Roche et Novartis dans le traitement des cancers cutanés, mais sur une mutation cellulaire qui représente moins de 15 % des mélanomes métastasés. Je ne dis pas qu’ils ne se défendent pas, bien sûr, mais c’est pour eux un segment de niche. L’oncologie est un marché très fragmenté. Et quand on y réalise moins de 1 Md€, la seule façon d’exister est d’aller sur des segments de découverte et de développement.
Le médicament est-il plus généralement un axe de croissance que vous allez continuer à développer ?
Nous avons entrepris depuis deux ans un plan de transformation, avec une volonté de réinvestir sur le médicament autour de deux axes stratégiques, l’oncologie et la dermatologie, et avec l’intention de viser des maladies rares ou à mutation génétique. C’est le cas par exemple de la XLHED, une maladie pédiatrique à incidence dermatologique qui ne touche que 500 nouveau-nés par an en Europe. Nous menons en permanence des discussions avec des laboratoires, des biotechs et des start-up sur le développement de nouveaux produits et l’acquisition de droits commerciaux. En parallèle, nous constatons une forte résilience de nos produits matures [tels que Permixon, Ossopan, Tardyferon, Navelbine ou Dexeryl, NdlR], ce qui contribue à la bonne tenue de notre activité dans le médicament.
Vous avez choisi de relocaliser un actif en oncologie, le binimetinib, sur votre site de Gaillac, dans le Tarn. La crise du Covid-19 étant passée par là, avez-vous un coup à jouer avec la relocalisation en France des principes essentiels ?
Nous avons déposé trois dossiers en réponse au plan France Relance, dont un projet qui concerne en effet la production à Gaillac d’un actif stratégique en oncologie. Participer au plan de relance de l’industrie pharmaceutique est conforme à notre volonté de maintenir nos activités industrielles dans l’Hexagone et particulièrement en région Occitanie. Les collaborateurs travaillant sur des sites de production ou de distribution représentent 38 % de nos effectifs en France, quand ce chiffre ne dépasse pas les 10 % chez nos concurrents. Dans les partenariats que nous mettons en place, nous négocions toujours une clause de production. C’est-à-dire que nous nous mettons en capacité de produire, dans nos usines françaises, les principes actifs de ces produits. Un intérêt que trouvent d’autres laboratoires, dont la stratégie n’est pas axée sur la production.
Les pharmaciens vous semblent-ils être en mesure de délivrer de façon optimale les anticancéreux ?
Maintenant que les anticancéreux sont distribués en officine, les équipes officinales sont demandeuses d’un accompagnement. Nous avons donc innové avec notre nouveau traitement dans le mélanome : lorsque le pharmacien prend en charge une prescription, nous livrons nous-mêmes l’officine et proposons une formation pour le titulaire et son équipe. Cela les aide à entretenir une relation qualitative avec le patient en tant qu’acteur du parcours de soins.
Depuis le début de la crise du Covid-19, le pharmacien est plus que jamais le cœur vert du système de santé. Grâce au conseil et aux soins d’accompagnement des traitements lourds, il joue un rôle à la fois d’aidant et d’aimant. Dans la vision globale du patient, le pharmacien a un avantage par rapport à d’autres professionnels de santé car c’est le seul à connaître la globalité de ses traitements et bien souvent son environnement familial et professionnel.
Nous nous inscrivons dans une logique servicielle.
Naturactive vient par exemple de développer le Phyto’Scope – une application mise en ligne sur son site – pour permettre au patient d’améliorer ses apports nutritionnels à partir de l’analyse de ses carences. Pour le pharmacien, c’est un outil qui permet de conseiller ses patients en santé naturelle. Il nous semble très important d’apporter ce genre de services aux pharmaciens afin qu’ils aient les moyens de développer leur officine comme un centre d’expertise de soins en santé et bien-être.
A l’image aussi de l’OncoGuide que vous avez édité en 2019 pour les équipes officinales, avant même le lancement des entretiens anticancéreux oraux en pharmacie ?
Il a pour objectif d’apporter des réponses concrètes : quels sont les nouveaux traitements ? Quels sont les effets secondaires ? Comment les prendre en charge ? A quelles conditions psychologiques faut-il faire attention ?, etc. Il a également pour mission d’aider le pharmacien à prendre en charge le patient dans sa globalité. Il s’agit de l’écouter, de l’accompagner et de le conseiller face aux effets secondaires du traitement pour qu’il l’observe jusqu’au bout. Pour plus de praticité, une version digitalisée sera disponible courant 2021.
Pierre Fabre est aussi à l’initiative d’un rayon oncologie en pharmacie. Aujourd’hui, combien de pharmacies sont-elles équipées d’un tel rayon et quels sont les retours ?
Nous avons des retours très positifs des pharmacies ayant implanté un rayon « Mieux vivre le cancer ». Il rassemble les produits Pierre Fabre (Eau Thermale Avène, Ducray, Pierre Fabre Oral Care, etc.) et d’autres dont peuvent avoir besoin les patients du fait de leur maladie ou de leurs traitements. Ce sont bien entendu des soins qui ont démontré leur parfaite innocuité pour cette indication si particulière mais aussi de réels bénéfices d’amélioration de la qualité de vie des patients. Environ 150 pharmacies proposent déjà ce linéaire qui s’avère être une belle opportunité. Il démontre l’écoute et le savoir-faire du pharmacien au service de ses patients, et il crée de la valeur pour l’officine. Le panier moyen d’un patient sous traitement anticancéreux qui peut se permettre des soins de support est multiplié par 5 si on compare avec le panier moyen d’un client d’une pharmacie.
Allez-vous développer d’autres partenariats comme celui mené avec Même ?
Nous sommes effectivement à la recherche d’autres partenariats de ce type. Même proposait des produits originaux que nous n’avions pas. Pour rentrer sur ce segment, nous avions le choix entre produire les mêmes types de produits ou s’associer, et nous avons préféré opter pour la deuxième solution. Cela a permis à Même de se développer (+ 30 % de croissance en deux ans). C’est ce que j’appelle la générosité entrepreneuriale. Pierre Fabre était un entrepreneur généreux et l’entreprise essaie de poursuivre cette logique-là. Nous avons réalisé un certain nombre de partenariats avec des start-up et continuerons à en développer [NdlR : le groupe Pierre Fabre est toujours au capital de Même, mais la marque est désormais commercialisée par la société Upsell. Lire l’article « Oncologie : Upsell commercialise les cosmétiques Même », p. 46].
En oncologie aussi ?
Nos deux principaux partenaires en oncologie sont au départ des start-up américaines. L’une a depuis bien grandi : Pierre Fabre a signé un accord en 2015 avec Array BioPharma qui s’est revendue 11,4 Md$ à Pfizer en 2019. Soit cinq fois plus cher que le chiffre d’affaires réalisé par Pierre Fabre ! Permettre à de jeunes biotechs de se développer en Europe et en Chine nous intéresse beaucoup. Nous venons ainsi d’obtenir les droits de la part du laboratoire Puma pour la commercialisation en Chine d’un traitement de prévention d’une mutation particulière dans le cancer du sein. Le market access chinois s’est beaucoup inspiré de l’Europe, en particulier de la France, tant pour les procédures d’obtention des autorisations de mise sur le marché (AMM) que pour celles de négociation des prix. Sous la présidence Trump, les Américains n’étaient pas vraiment poussés à s’installer en Chine, et il n’est pas rare qu’ils fassent appel à un tiers pour s’y établir. Inversement, comme nous sommes experts du marché européen, on peut facilement aider une entreprise chinoise ou américaine à s’implanter en Europe. Pour nous, c’est différenciant.
Pierre Fabre, on l’a bien compris, est au croisement du médical et de la dermocosmétique. Avez-vous récemment revendu les marques Elancyl et Galénic précisément parce qu’elles n’étaient pas suffisamment « médicales » ?
Pas assez naturelles surtout. Aujourd’hui, dans l’esprit du consommateur, « efficacité » et « naturalité » sont peu compatibles. Convaincre que le naturel peut être efficace est une vraie opportunité pour Pierre Fabre. Le lancement de la gamme visage au Bleuet Bio de Klorane démontre qu’un produit naturel permet d’obtenir une hydratation de la peau identique, voire supérieure à celle des produits classiques. Il faut aller vers la chimie verte et c’est ce que nous faisons depuis de longues années sur notre site de Gaillac. Nous avons par exemple développé et breveté une technologie d’extrusion écoresponsable qui permet d’extraire les actifs de la plante grâce à l’eau qu’elle contient naturellement. Cela a demandé huit années de recherche, mais nous avons pris le risque.
Vous sortez en grande pompe un nouveau filtre solaire, le Triasorb d’Avène. Qu’a-t-il donc de plus que les autres ?
Ses très hautes qualités de protection contre tous les rayons (UVB, UVA courts, UVA longs et lumière bleue haute énergie visible) et son respect de l’environnement ont été démontrés par des études cliniques et écotoxicologiques. On va le prouver aux pharmaciens ! Triasorb est d’abord lancé par Eau Thermale Avène, mais Klorane et A-Derma l’adopteront également. Pour revenir à la naturalité, notre conviction est que le circuit officinal doit et peut en devenir la référence. Les produits de soins pour la peau, les cheveux et le buccodentaire ont finalement peu de place dans les autres circuits, notamment en grandes et moyennes surfaces. Nous pensons que la cosmétique bio et naturelle doit se trouver d’abord en officine. De la même façon que personne ne pense à aller chercher de l’homéopathie ailleurs qu’en pharmacie !
A contrario, vous avez abandonné des AMM sur le terrain du buccodentaire, celle d’Arthrodont pour ne pas le citer… La pharmacie reste-t-elle toujours aussi essentielle que vous le dites pour votre activité dans ce domaine ?
Pierre Fabre a beaucoup contribué à développer ce segment en pharmacie et nous en sommes le leader. La santé buccodentaire recouvre des pathologies qui nécessitent du conseil. C’est là-dessus que nous essayons de nous situer : la prévention et la pathologie. Nous avons déjà mené beaucoup d’actions éducatives (notamment dans les écoles) et nous sommes en train d’approfondir le sujet de la bouche-barrière, qui n’a pas encore été assez creusé.
Alors il est vrai que, quand des marques veulent sortir du circuit de la pharmacie, ce qui n’est pas notre cas, elles ne vont pas demander de renouvellement d’AMM. Une autre raison pour cela, c’est la complexité du processus de l’AMM. Beaucoup d’entre elles ont été obtenues il y a longtemps dans un contexte réglementaire moins contraignant. Aujourd’hui, il ne serait pas économiquement viable de renouveler l’AMM d’Arthrodont car son prix de vente est trop faible par rapport aux coûts d’obtention et de valorisation d’une AMM. Une AMM permet de valoriser le produit, mais à condition d’investir dans la formation du pharmacien et de son équipe, pour qu’ils soient justement capables de différencier le produit. Nous sommes certes dans le métier de l’innovation, mais encore faut-il pouvoir la financer !
ÉRIC DUCOURNAU Directeur général du groupe Pierre Fabre
2000
Chef du cabinet du président Pierre Fabre
2004
Participation à la création du G5 Santé
2005-2012
Secrétaire général puis directeur général adjoint en charge des affaires juridiques et réglementaires, du market access, de la pharmacovigilance et de la qualité
2012
Nomination en octobre à la tête de la division dermocosmétique
2018
Nomination en juillet à la direction générale de tout le groupe
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