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Indus : « Aux recours, je me fais dépouiller ! »

Publié le 27 avril 2024
Par Yves Rivoal
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Une lettre de notification d’indus est toujours un choc, a fortiori lorsque les montants à rembourser sont importants. Passé la stupeur, il s’agit de faire valoir ses droits. Voici les pièges à éviter et les conseils à suivre pour sortir victorieux des méandres administratifs.

 

 


« Un courrier de notification de sa caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), c’est souvent la douche froide. Cela peut même virer aux sueurs froides quand la liste d’anomalies fait plus de dix pages sur un tableur Excel détaillant pour chaque ligne le motif de l’indu », rappelle Valérian Ponsinet, président de la commission convention et système d’information de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). En décembre dernier, une pharmacienne a ainsi reçu un courrier de sa CPAM lui reprochant plus d’une centaine d’anomalies qui portaient potentiellement sur un montant de 120 000 € d’indus. « Cela m’a pris un temps fou pour justifier de toutes les démarches entreprises. J’ai dû appeler des médecins généralistes et spécialistes, solliciter des patients pour obtenir des attestations… J’y ai passé un certain nombre de dimanches », confie-t-elle.

Un mois pour contre-attaquer

 

A partir de la date de réception de la notification, le pharmacien a un mois pour justifier des anomalies pointées par la CPAM et transmettre ses observations. Préalable à toute démarche : prendre attache avec le président départemental de son syndicat. « Si plusieurs adhérents devaient se trouver dans la même situation, ce dernier peut en discuter avec la CPAM. Parfois, le dialogue aboutit », confirme Valérian Ponsinet. Parallèlement, le titulaire doit solliciter une confrontation contradictoire avec l’agent de l’Assurance maladie chargé du dossier. « Lors de ce rendez-vous, le pharmacien conseil de la caisse est souvent présent. C’est important car les services du contrôle des CPAM sont souvent déconnectés des réalités du terrain. Ils ne comprennent pas pourquoi, médicalement parlant, nous avons dû prendre telle ou telle décision. Ils raisonnent selon une logique administrative et juridique alors que nous essayons d’assurer la continuité des soins des patients. Le pharmacien conseil est en mesure d’entendre nos arguments même si les CPAM, elles, ont tendance à maintenir leur position », souligne Guillaume Racle, conseiller à l’économie et à l’offre de santé de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).

Le conseil juridique en renfort

 

Si ce face-à-face constitue parfois le début d’un long cheminement administratif, son enjeu peut-être déterminant. « Trop souvent, les pharmaciens minimisent l’importance de cette étape, espérant pouvoir facilement justifier leurs pratiques auprès des caisses. Or, cet échange est crucial, car il permet de bénéficier pleinement d’un stade de discussion contradictoire avec la caisse. » La présence d’un délégué syndical et d’un avocat n’est, certes, pas obligatoire mais leurs expériences dans ces litiges, en amont et pendant les discussions, peuvent se révéler éclairantes. « Un conseil juridique peut aider à préparer cet entretien de confrontation et l’argumentaire idoine, en particulier lorsque les indus réclamés atteignent plusieurs dizaines de milliers d’euros », observe Julie Vasseur, associée du cabinet Elsi Avocats, spécialisé dans le droit de l’officine. La pharmacienne menacée par les 120 000 € d’indus a d’ailleurs suivi les recommandations de son avocat. « Il m’a enjoint à appeler préalablement les médecins et les patients afin d’obtenir les pièces justificatives pour l’échange avec la CPAM. Ce dernier a aussi rédigé les observations formulées à partir du compte rendu de l’entretien transmis par la caisse », confie-t-elle. A l’issue du rendez-vous avec la CPAM, le titulaire reçoit, en effet, un compte rendu des échanges. « Il dispose alors d’un délai de 15 jours pour émettre des réserves. Exercer ce droit est indispensable : les réserves émises serviront de base à la contestation auprès de la commission de recours amiable (CRA) », explique Julie Vasseur.

Monter jusqu’à la CRA

 

Passé cette première phase contradictoire, la CPAM adresse un nouveau courrier au pharmacien. « Et là, c’est souvent douloureux, la personne concernée par l’indu découvre le montant définitif de l’addition. A ce stade, par principe, nous recommandons toujours à nos adhérents de saisir la CRA car certaines campagnes de récupération d’indus relèvent du harcèlement, voire du racket. Il n’est pas acceptable qu’un pharmacien accepte de payer des milliers d’euros pour ne pas être embolisé par les démarches administratives, alors qu’il a fait son travail correctement sur le plan médical », souligne Valérian Ponsinet. Pour Julie Vasseur, la saisine de la CRA est un préalable obligatoire. « Si le pharmacien ne le fait pas, il ne pourra pas porter le contentieux devant le pôle social du tribunal judiciaire », rappelle l’avocate. Cette commission doit être saisie dans un délai de deux mois après la réception de la notification de l’indu. « La saisine de la CRA consiste en une procédure écrite au titre de laquelle le pharmacien doit constituer un dossier composé de toutes les pièces justifiant le respect des règles de facturation et de tarification, accompagnées d’un argumentaire essentiellement réglementaire et juridique. A ce moment-là, les avocats jouent pleinement leur rôle. Ils opèrent une analyse de la régularité de la procédure afin d’identifier d’éventuels vices de procédure (prescription, non-respect du contradictoire, etc.) ou l’absence de certaines garanties liées à une qualification contestable de “fraude”. Ces derniers sont bien plus présents dans les dossiers qu’on ne le pense », explique Julie Vasseur. Les délibérations des CRA se déroulent sans la présence du pharmacien et de son avocat. « Lorsque la commission donne un avis favorable au titulaire, l’affaire est terminée. Mais si dans les deux mois suivant la saisine, la CRA n’a pas répondu, cela signifie que le contrôle effectué n’est pas remis en cause. En ce moment, les CRA ont tendance à rejeter systématiquement les requêtes des pharmaciens, en jouant sur le fait, que pour des petits montants, ils ne porteront pas l’affaire devant le tribunal judiciaire », explique Guillaume Racle.

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Frapper à la porte du tribunal

 

Lorsque la CRA valide la notification de l’indu, le pharmacien reçoit un courrier de mise en demeure qui porte soit sur la totalité de la somme réclamée au départ, soit sur une partie. « Il convient alors de discuter avec son avocat pour déterminer de la nécessité ou non de porter l’affaire devant le pôle social du tribunal judiciaire. Pour 500 € d’indus, il est inutile d’engager une procédure de plusieurs années entre la première audience, l’appel et un éventuel pourvoi en cassation. En revanche, lorsque les montants sont conséquents, cela peut avoir du sens : le simple fait de contester la mise en demeure suspend le paiement de l’indu jusqu’à la conclusion judiciaire du dossier », souligne Julie Vasseur. Devant les tribunaux, la partie est souvent… complexe. « Certaines juridictions entendent plutôt les arguments des officinaux, d’autres moins. Mais dans l’ensemble, il faut être réaliste : les juges favorisent souvent les caisses avec, à mon sens, un certain dévoiement de la règle de droit. Si, en théorie, les caisses doivent justifier de l’indu, on observe souvent en pratique un renversement de la charge de la preuve… au détriment des pharmaciens », poursuit Julie Vasseur. Reste que certaines pratiques sont très difficilement contestables. « C’est le cas de la fraude (médicaments commandés et non délivrés, faux, etc.) et des dépannages répétés sans contact avec le prescripteur. S’agissant des médicaments chers, les juges ont aussi tendance à se montrer “pro-CPAM”, car ils gardent en tête le déficit de l’Assurance maladie. En revanche, lorsque les caisses ajoutent des conditions à la réglementation, cela ne laisse en général pas les juges insensibles. C’est le cas également lorsque l’origine de l’inobservation de la règle de facturation qui a donné lieu à l’indu incombe au prescripteur et non au pharmacien », explique Julie Vasseur. 
Aujourd’hui, la titulaire dont la dette s’élèverait à 120 000 € d’indus se prépare à un long combat. « Au départ, j’avais l’espoir d’arriver à diminuer la note, puis de solder l’affaire. Mais depuis fin février, date du compte rendu de l’entretien à la CPAM, je n’ai aucune nouvelle. Je vais probablement devoir porter l’affaire devant les juges. En attendant, j’ai mis sur pause tous les projets d’investissement et de travaux pour la pharmacie : entre les frais d’avocat et les 120 000 € que je devrais peut-être payer un jour, il est plus prudent d’attendre… », conclut-elle.

         

Quand une CPAM « oublie » les règles de droit

Le 27 octobre dernier, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de l’Hérault a lancé une campagne de récupération d’indus concernant des médicaments chers facturés « soi-disant » à tort pour des affections de longue durée (ALD). « Une trentaine de confrères ont sollicité notre syndicat. Cinq d’entre eux se voyaient réclamer plus de 20 000 € et, pour un pharmacien, le montant dépassait les 100 000 € », raconte Christelle Quermel, présidente de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) 34. Après une rencontre infructueuse avec le directeur de la CPAM, elle et ses équipes ont décidé d’engager un bras de fer. « Le syndicat a pris conseil auprès d’un avocat et a étudié un à un les dossiers afin de pouvoir aider chaque confrère à contester personnellement les indus réclamés auprès de la commission de recours amiable (CRA) de la CPAM », confie Christelle Quermel. Résultat de cette action ? La CRA a été littéralement noyée sous les dossiers. L’instance, constatant son impossibilité de les examiner dans les temps, a organisé une pré-CRA à l’issue de laquelle l’indu a été annulé en totalité pour un tiers des pharmaciens et en partie pour un deuxième tiers. Pour le dernier, les observations ont été rejetées. « Un confrère a été prélevé de l’intégralité du montant réclamé, alors que le recours n’était pas terminé, ajoute Christelle Quermel. Il a été remboursé un mois plus tard, mais… pas de la même somme. » Moralité de cette histoire : l’application des règles pour cette CPAM est à… géométrie variable. « C’est inadmissible ! Il s’agit de harcèlement administratif. Chaque confrère et consœur doit maintenant décider s’il porte ou non son affaire devant le tribunal judiciaire et réclame des dommages et intérêts. Il y a de fortes chances que le tribunal croule, à son tour, sous les dossiers et se retourne vers la CPAM pour comprendre. »

À retenir

– En cas de notification d’indus par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), les pharmaciens doivent entreprendre des démarches administratives pour faire valoir leurs droits.

– Confrontation avec la CPAM, saisine de la commission de recours amiable (CRA) et éventuellement tribunal administratif… tous les recours doivent être envisagés.

– L’aide des syndicats et d’avocats spécialisés peut se révéler précieuse.

400 000 anomalies détectées

En 2022, les contrôles de la direction comptable et financière de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) ont mis en évidence près de 400 000 anomalies sur des décomptes de prestations pour un montant de 14,2 millions d’euros d’indus, représentant presque uniquement des doubles paiements. Au titre de la fraude cette fois, la Cnam a notifié 265 indus pour 6,5 millions d’euros en 2021, 609 pour 24,7 millions d’euros en 2022, mais un gros dossier à 14 millions d’euros fausse un peu les données.