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Le marché des officines a une santé de fer

Publié le 12 juin 2021
Par Francois Pouzaud
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Comme l’économie de l’officine, le marché des transactions de fonds de pharmacie s’est montré résilient. On pouvait s’attendre, dans ce contexte inédit de crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, à l’attentisme et à une pression négative sur les prix liée à une demande plus frileuse. Il n’en a rien été.

Les effets de la crise sanitaire n’ont pas fini de surprendre. Sur le plan économique, le chiffre d’affaires (CA) des officines enregistre en 2020 la plus forte progression depuis plus de 10 ans, porté par le développement des produits chers. Cette aptitude à la résilience se reflète sur un marché de la transaction qui a fait preuve d’une incroyable constance, comme en attestent les statistiques de l’étude annuelle d’Interfimo pour 2020. La crise n’a pas vraiment impacté les transactions puisque le nombre de cessions (fonds + parts) est équivalent à l’an dernier (voir Repères). « Après le premier confinement, personne n’aurait misé sur un marché aussi actif », souligne Jérôme Capon, directeur du réseau d’Interfimo, pas vraiment étonné. En effet, les chiffres de la profession depuis le début de la pandémie ont rassuré les organismes de crédit qui répondent favorablement aux demandes de financement respectant les ratios sectoriels. « Les fondamentaux de l’officine restent sains, il n’y a pas de raison que le marché se grippe », poursuit-il, alors que la faiblesse des taux d’intérêt concourt à une demande active. Paradoxalement, cette période sans précédent a renforcé les certitudes que la pharmacie, mise en valeur par le Covid-19, est un bon placement et une incontestable valeur refuge.

L’attentisme mesuré des acquéreurs au moment du premier confinement s’est dissipé dès l’été dernier. Le marché a connu un phénomène de rattrapage et a été très animé le dernier trimestre. « Nous avons connu un décalage des opérations plutôt qu’un ralentissement du marché. Au bout du compte, 2020 a été une bonne année », analyse Jérôme Capon. La pandémie a redonné du crédit aux officines, notamment à celles de proximité qui ont été les « gagnantes » de la crise, en raison du « capital » confiance dont elles jouissent auprès de la population.

Enfin, les nouveaux modes de financement (prêts dits « boosters », fonds obligataire de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens – CAVP…) permettent à des jeunes, qui auparavant n’avaient pas la capacité financière, de se positionner sur le marché, souvent au détriment des associés investisseurs (achat sans leur aide).

Plus de départs en retraite que de cessions

Tous ces éléments ont certainement concouru à la très légère augmentation des prix de cession observée en 2020, tant en pourcentage du CA (+ 2 points à 78 % du CA HT pour la moyenne France entière) qu’en multiple de l’excédent brut d’exploitation ou EBE (+ 0,1 point à 6,3 fois l’EBE). Mais ils demeurent relativement stables et cohérents ces six dernières années, dans un marché essentiellement animé par les départs en retraite (1 660 en 2020), soit un nombre équivalent à 2019… et supérieur aux 1 500 mutations recensées l’an dernier ! « Les chiffres communiqués par la CAVP concernent les départs en retraite de titulaires mais aussi d’anciens titulaires. Certains pharmaciens vendent leur pharmacie mais ne prennent pas tout de suite leur retraite. Ils peuvent, par exemple, être salariés pendant un ou deux ans, voire plus, dans l’officine cédée avant de prendre leur retraite. Par ailleurs, les mutations correspondent au nombre de cessions de fonds de pharmacies et de cessions de parts enregistrées au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc). Cela ne correspond donc pas au nombre de titulaires qui ont vendu. Enfin, dans une cession de fonds, il peut y avoir plusieurs départs de titulaires. », précise Jérôme Capon pour expliquer cette absence de correspondance entre le nombre de mutations et celui des départs en retraite.

La hausse des prix ne creuse pas les disparités entre gros et petits

Alors que le marché de la transaction est marqué structurellement par l’existence de fortes disparités de prix de cession entre les petites pharmacies et les plus grosses, la polarisation du marché entre ces officines rentables et ces officines dites « à la peine » ne se cristallise pas davantage en 2020.

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Avec ou grâce à la crise, la tendance haussière des prix a finalement profité proportionnellement davantage aux officines de moins de 1,2 M€ qu’à celles de plus de 2,4 M€. L’écart des prix moyens entre ces deux catégories diminue à 25 points, contre 27 en 2019. Marie-Gabrielle Tingaud, du cabinet Channels, n’est pas surprise par l’évolution des prix des petites structures. « Une officine rurale de 1,3 M€ avec 19 % de rentabilité se vend bien, sans brader son prix », indique-t-elle. Insistant sur le manque d’affaires à la vente (en dehors des invendables !) à l’origine de la remontée des prix, Michel Watrelos, expert-comptable du cabinet Conseils et Auditeurs Associés, explique que ces pharmacies de campagne sont survalorisées. « Les officines seules au pays, avec un environnement médical correct et des locaux en bon état, bénéficient d’un bonus de 4 ou 5 points par rapport au prix moyen. »

A l’autre extrémité de l’échelle, « les pharmacies de centre commercial non alimentaire sont peu représentées dans nos analyses, cependant la chute de fréquentation qu’elles ont subie pendant les confinements peut avoir eu un impact à la baisse de leur prix, entraînant celle du prix de cession moyen des pharmacies de centre commercial mais seulement d’1 point ; ce marché ne s’est donc pas écroulé », relativise Jérôme Capon.

Les opportunités de belles affaires se raréfiant, « les acquéreurs se reportent sur des produits de 1,2 M€ à 1,3 M€, dont les prix dans les Pays de la Loire avoisinent maintenant les 80 à 90 % », signale Matthieu Beliard, du cabinet POD.

Une exception dans l’échiquier des transactions ? En effet, les officines moyennes, dont le CA est compris entre 1,2 M€ et 2 M€, voient leur prix moyen fléchir légèrement dans l’étude Interfimo. « Cette correction du marché correspond à un ajustement du coefficient qui se rapporte à un CA en hausse, mais en définitive la valeur de ces officines n’a pas baissé », décrypte Jérôme Capon.

En revanche, les prix des officines de plus de 2,4 M€, du fait de leur rareté sur le marché de la transaction, sont régis par la loi de l’offre et de la demande. Elles sont la cible tant des investisseurs, qui acceptent davantage de dépasser les ratios usuels pour des questions de capitalisation et de rendement et parfois d’emplacements à privilégier, que des primo-accédants, qui peuvent compter sur le concours de la CAVP et autres boosters d’apport. « L’argent n’est plus aujourd’hui un frein pour acquérir une officine et les acheteurs sont prêts à mettre le prix pour un beau bien. Sur la façade atlantique, on ne trouve plus de ventes à moins de 100 % concernant des pharmacies de 1,8 M€ et plus », rapporte Matthieu Beliard.

La surface pour les services se valorise

« A partir de 1,25 M€ de CA, on vend des officines de toutes tailles dès lors que les locaux sont corrects (qualité, superficie, etc.) et qu’il n’y a pas de problèmes de personnel », enchaîne Michel Watrelos. Et, selon lui, une bulle spéculative sur le marché des pharmacies de taille importante qui, avec le Covid-19, ont muté vers les services, est en train de se former. « A Bordeaux, une affaire de 1,8 M€ vendue en direct, sans intermédiaire, a été proposée à 120 % du CA HT. » C’est un effet collatéral du Covid-19 : « Depuis la crise sanitaire, les pharmacies sont attendues sur les nouveaux services, remarque Marie-Gabrielle Tingaud. La qualité des locaux est en passe de devenir un critère de choix aussi important et recherché que la taille et l’emplacement. »

Des prix au cas par cas : encore plus vrai qu’avant !

« Dans un marché des transactions de pharmacies au relief très inégal, les moyennes ont encore moins de sens que les années précédentes », conclut Jérôme Capon, qui invite acquéreurs et vendeurs à raisonner en multiple de l’EBE à l’heure de négocier le prix. « La hausse du CA 2020 est importante mais, en face, il n’y a pas la même progression de la rentabilité, du fait de la marge faible sur les médicaments chers. Il faut donc bien connaître la composition du CA et déterminer le prix de cession en fonction d’un multiple de l’EBE retraité qui permet d’appréhender la valeur économique de l’officine », conseille-t-il.

À RETENIR

– L’année 2020 enregistre 1 503 mutations d’officine, soit – 1 % par rapport à 2019.

– Le taux de rotation pour 1 000 officines se maintient à 73.

– Le prix de cession moyen national progresse de 2 points par rapport à 2019, pour atteindre 78 % du CA. Il se maintient à 6,3 fois l’excédent brut d’exploitation (+ 0,1 point en un an).

– La bonne santé du marché de l’officine en pleine crise du Covid-19 – avec un CA qui enregistre en 2020 sa plus forte progression depuis plus de 10 ans – a rassuré les organismes de crédit.