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Publié le 26 juin 2021
Par Matthieu Vandendriessche
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AVEC RÉACTIVITÉ ET UN SENS AIGU DE L’ORGANISATION, UNE MAJORITÉ D’OFFICINES PARTICIPENT À LA CAMPAGNE DE VACCINATION CONTRE LE COVID-19. DE L’INFORMATION DU PUBLIC À L’IMPLICATION DANS UN VACCINODROME, LA PROFESSION COCHE TOUTES LES CASES DE CETTE MISSION INÉDITE.

Répondre aux questions et mettre à mal les fake news

Au comptoir, la vaccination n’a jamais suscité autant d’interrogations et les fausses informations se ramassent à la pelle. Adjointe dans l’Hérault, Stéphanie Terral s’emploie à rester factuelle : « Les médias sont devenus des sources d’information sur le sujet. Il nous appartient de répondre avec assurance sur l’exactitude des données. Se vacciner ou non, c’est à chacun d’en décider en connaissance des risques encourus dans un sens comme dans l’autre. » De maniére générale, les patients sont souvent enclins à se référer aux recommandations de leurs professionnels de santé.

Etre un relais de la logistique

A la fin de l’année derniére, la livraison du vaccin Comirnaty aux établissements d’hébergement pour personnes àgées dépendantes (Ehpad) s’organise. « En début de semaine, nous passions commande sur la plateforme en indiquant le nombre de doses demandées par l’Ehpad. Le lundi suivant, nous étions contactés pour préciser le créneau horaire de la livraison le lendemain », se souvient Stéphanie Terral. Un document de traçabilité est rempli avec numéro de lot, date et heure de décongélation du flacon et date de péremption du vaccin. En février, les officines approvisionnent les médecins généralistes en vaccins du laboratoire AstraZeneca. Un e-mail leur est envoyé. Les sept médecins du secteur répondent positivement à l’adjointe. La répartition établie, ils sont avisés qu’ils peuvent venir récupérer leur dotation. En mars, une démarche similaire est effectuée auprés des sages-femmes et des infirmiers. « Ces derniers n’ont pas donné suite. La vaccination en série n’était pas adaptée à leur pratique et au transport au domicile. »

Organiser la vaccination à l’officine

Pour de nombreuses personnes àgées, la pharmacie est d’ores et déjà identifiée comme un lieu de vaccination. L’organisation tient compte des effectifs en capacité de vacciner et de l’activité de dépistage, irréguliére, plus soutenue et également assurée par les préparateurs. Il faut aussi considérer les quantités et dates de livraison des vaccins. Des officines établissent des listes d’attente selon les critéres d’éligibilité. D’autres ouvrent les créneaux une fois les vaccins reçus, considérant qu’il faut environ trois heures pour vacciner 10 à 12 personnes à la suite. « Au tout début, il était difficile d’anticiper, car nous n’avions pas d’indication de jour fixe pour la livraison, rapporte Emmanuel Le Poul, adjoint à Viry (Haute-Savoie). Pour répondre à la demande, nous avons constitué des listes d’attente qui comprenaient jusqu’à 250 inscrits. Il a fallu ensuite les appeler un par un, certains étant allés chercher à se faire vacciner ailleurs. Aujourd’hui, nous bénéficions d’une visibilité qui nous permet de programmer des sessions deux à trois semaines à l’avance. » Pour pouvoir assurer la vaccination en fin de semaine, cette officine doit toutefois réduire la voilure sur les tests antigéniques. En fonction du nombre de doses restantes, la vaccination peut se faire sans rendez-vous. « Sur un tableau Excel, la mention de la premiére injection déclenche celle de la seconde. Cela incrémente automatiquement le nombre de doses dont j’ai besoin. » Avec, aujourd’hui, la nécessité de jouer sur trois tableaux selon le vaccin et les critéres d’éligibilité. Pour en informer ses collégues, Emmanuel Le Poul indique que les stocks disponibles sont actualisés heure par heure. Les informations sur la stratégie vaccinale sont également à tenir à jour pour l’équipe. « Les trés nombreux courriers DGS-Urgent, qui tombent parfois le dimanche soir pour une application le lundi matin, sont synthétisés par des schémas de type arbre décisionnel avec PowerPoint », explique Stéphanie Terral.

Intervenir en centre de vaccination

Titulaire à Hem, dans le Nord, Sandrine Beaurain s’est portée volontaire pour intervenir 5 jours sur 7 au centre de vaccination de Wattrelos. Alors méme que son équipe vaccine dans l’officine. « La vaccination est une activité à laquelle je suis attachée. J’ai eu l’occasion de former prés de 400 pharmaciens de ma région pour préparer la campagne antigrippale. » Au vaccinodrome, elle supervise la préparation des doses pour une quinzaine d’infirmiers, forte de son expérience au Zénith de Lille. Prés de 3 000 vaccins y sont administrés chaque jour. La pharmacienne peut aussi étre affectée à la consultation prévaccinale et à l’injection. « A l’officine, on fait du “tout-en-un”. Nous occupons toutes les fonctions, de la prise de rendez-vous à la phase d’observation. » Stéphanie Terral met à profit cette derniére étape pour échanger et aussi évoquer les traitements en cours, loin de l’anonymat d’un vaccinodrome. L’un de ces centres l’a sollicitée et elle y gére la préparation et la conservation des doses. Pour l’adjointe, l’officine reste une piéce maîtresse du dispositif : « La proximité géographique et médicale nous a permis de réaliser un suivi de terrain sur les effets indésirables. De plus, la fracture numérique et le manque de lien social ne permettaient pas à certaines personnes de prendre rendez-vous sur Doctolib. »

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VACCINATION : UNE QUESTION DE RESPONSABILITÉ

Le décret du 5 mars 2021 ouvre la possibilité au pharmacien de vacciner contre le Covid-19. « Il ne doit pas s’écarter des préconisations de la Haute Autorité de santé, par exemple en vaccinant un patient de moins de 55 ans avec un vaccin non recommandé. N’ayant pas accés aux antécédents médicaux du patient, il ne pourrait pas démontrer que la prescription représentait une vraie plus-value et sa responsabilité pourrait étre mise en cause en cas de probléme », souligne la Mutuelle d’assurances du corps de santé français (MACSF). A titre d’exemple, un pharmacien qui a souscrit un contrat de responsabilité civile professionnelle et protection juridique auprés de cet assureur est couvert automatiquement et sans surcoût pour la vaccination. Il serait défendu pour que sa responsabilité ne soit pas retenue s’il était directement mis en cause par un patient ou faisait l’objet d’un recours de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam). « Pour le cas où, au terme de l’épuisement de toutes les voies de recours, une condamnation interviendrait à l’encontre de notre sociétaire, nous prendrions alors en charge les dommages et intéréts alloués », compléte l’assureur.

GRIPPE : DE L’EXPÉRIMENTATION AU PLÉBISCITE

Pour augmenter la couverture vaccinale, tout a commencé par une expérimentation. Le vendredi 6 octobre 2017, près de 3 000 pharmaciens des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine jouaient les pionniers pour vacciner à l’officine des adultes contre la grippe saisonnière. Des officinaux qui « pigent » immédiatement les enjeux. Au rythme de 5 000 à 6 000 patients recevant l’injection chaque jour en pharmacie dans les deux régions expérimentatrices, le cap des 100 000 vaccins administrés est franchi avant la fin du mois de novembre. Le succès est incontestable.

En octobre 2018, deux régions viennent grossir les rangs : les Hauts-de-France et l’Occitanie. La généralisation de la vaccination antigrippale en officine entrera en vigueur lors de la campagne vaccinale 2019-2020.

La vaccination antigrippale par les pharmaciens ne cesse de progresser : elle est passée de 2,4 millions de doses lors de la campagne 2019-2020 à plus de 3,5 millions pour la campagne 2020-2021. Malgré le manque de doses conjugué à une moindre délivrance de vaccins chez les patients « hors cible » (- 20 %), les pharmaciens ont vacciné près d’un tiers de la population cible. Et ce sans en prendre aux médecins (nombre de doses injectées stable) ni aux infirmières (en progression) !

Laurent Lefort et François Pouzaud