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La ruée vers l’or

Publié le 1 novembre 2021
Par Francois Pouzaud
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Après la course à l’emplacement, la course aux mètres carrés est lancée ! Travaux d’agencement, extensions, transferts…, la recherche de locaux plus spacieux est devenue essentielle pour assurer la performance, la compétitivité et transformer l’essai de la mutation du métier de pharmacien.

Cette ruée vers le mètre carré a commencé timidement avec le changement de modèle économique porté par l’avenant 11 à la convention nationale pharmaceutique et le passage progressif en quatre ans du pharmacien distributeur de médicaments au professionnel de santé, dispensateurs de soins. Elle s’est largement accélérée avec la crise sanitaire. Pour contribuer à la vaccination et à la réalisation de tests antigéniques contre le Covid-19, la pharmacie a dû s’adapter, se réorganiser et faire preuve d’agilité. D’ailleurs, la surface, avec les moyens humains, est bien souvent le facteur le plus limitant pour contribuer à ces nouvelles missions. Aujourd’hui, les pharmaciens ont tiré les premiers enseignements de la crise et cherchent donc à configurer leur officine en fonction des nouvelles attentes des patients. « Les plus grandes cellules des centres commerciaux laissées vides après la fermeture des restaurants “Flunch”, ce sont désormais les pharmacies qui les occupent. Et dans les centres-villes, le taux de vacance des locaux commerciaux, du fait notamment de la crise du Covid-19, conjuguée à la modification des modes et parcours de consommation en faveur des commerces de proximité, a créé des opportunités d’agrandissement et de transfert pour les pharmacies », constate David Van Acker, directeur général de Mobil M. Dans ce contexte inédit, les solutions pour gagner des m2 sont donc multiples, plus ou moins radicales – transfert, regroupement avec un confrère sur l’un des deux sites, en général, le plus spacieux, travaux, rachat d’un local contigu, etc – et plus ou moins coûteuses.

LA NATURE A HORREUR DU VIDE.

Pour aider les pharmaciens dans cette quête au m2 supplémentaire, le cabinet Espace, spécialisé en transactions d’officine en Normandie, a ajouté une nouvelle corde à son arc : rechercher en zone rurale des terrains constructibles en plein bourg et faire prendre conscience aux élus locaux de l’intérêt de co-investir avec des professionnels de santé dans des pôles de santé. « Dans un petit village de 2 000 habitants dans l’Eure, nous négocions avec la mairie la signature d’un bail emphytéotique pour un terrain communal actuellement occupé par des terrains de tennis dont le transfert en périphérie permettrait la construction sur 1000 m2 d’un local accueillant la pharmacie du village et d’autres professionnels de santé (médecins…). Ce projet permettra de redynamiser cette zone rurale et de remédier à la désertification médicale, et pour la pharmacie, de disposer de locaux spacieux (jusqu’à 350 m2) ainsi que d’une aire de stationnement », explique Cécile Andrieu, du cabinet Espace qui travaille sur d’autres projets du même type. Et si on ne peut pas s’exiler ou repousser les murs, il faut jouer d’astuces pour gagner de précieux mètres carrés. Par exemple, « un sas de livraison desservant un monte-charge en lien avec la cave ou l’étage et un poste de déballage, la création d’une mezzanine, un bureau transformé en cabine mixte pensé pour les surfaces les plus restreintes avec installation d’une cloison coulissante pour en dédier une partie à la vaccination, l’orthopédie et les entretiens pharmaceutiques, la délocalisation du préparatoire à l’étage ou au sous-sol, ou encore le fait de déporter les stocks (hors médicaments) dans une annexe détachée de la pharmacie… », égraine David Van Acker.

FAIRE LA PART BELLE AUX GRANDES SURFACES.

La crise sanitaire a été révélatrice de nouveaux comportements sur le marché des transactions de pharmacies. La qualité des locaux et la surface de l’officine – qui ne va pas systématiquement de pair avec l’importance du C.A – deviennent des critères de recherche de plus en plus prégnants en première installation. La demande des acquéreurs se polarise sur les beaux espaces qui sont aussi la cible des investisseurs. « De plus en plus d’acquéreurs veulent une pharmacie qui dispose d’une surface importante pour anticiper toutes les évolutions professionnelles. C’est un atout qui se paie cher, particulièrement dans les grands centres urbains », prévient Philippe Becker, directeur du département pharmacie de Fiducial. Mais, la superficie n’est pas le seul élément déterminant qui fera pencher la balance du bon côté. « Ce critère ne supplante pas d’autres paramètres importants dans la valorisation d’une pharmacie que sont la taille, la localisation, la qualité de l’emplacement commercial. C’est bien l’ensemble de ces caractéristiques qui entre en ligne de compte pour calculer le potentiel de développement de l’officine », explique Jean-Luc Guérin, du cabinet Pharmathèque. Si la survalorisation à la vente d’une pharmacie offrant 300 m2 est déjà une réalité, Philippe Becker ne croit pas, en revanche, à une bulle spéculative sur le prix du m2 dans les centres-villes. « Il faudra réfléchir sur l’optimisation des surfaces tout en gardant un bon emplacement. C’est plus un travail d’architecte d’intérieur, que de déménageur ! ».

DÉVELOPPEMENT DURABLE : RIEN N’EST TROP GRAND !

« Généralement, des titulaires installés depuis plus de dix ans souhaitent prendre un nouveau virage ou concrétiser un projet : se diversifier vers les services, le MAD, le bio…, automatiser le back-officine, s’installer à proximité d’une maison de santé pluri-professionnelle… », analyse Hélène Charrondière des Echos Etudes. Tel est le cas de Dominique Vaissières, co-titulaire avec son fils, qui a réalisé une extension de la pharmacie de la Tour à Castelginest (31) avec une dimension “qualité et labellisation” relative au développement durable. « Le label haute qualité environnementale et sanitaire nous emmène forcément sur des espaces, des choix de matériaux et de nouveaux concepts d’agencement. En passant sur une surface de 300 m2, nous avons réemployé 3 places de parking pour réaliser un agrandissement sur 2 étages et, parallèlement, nous avons amélioré la redistribution du back-office où plus de 40 % de cet espace était auparavant occupé par des bureaux », souffle-t-elle. La démarche de développement durable dans laquelle est également engagé Olivier Bascoulès, titulaire de la pharmacie de la Lèze, à Lézat-sur-Lèze (09), est également gourmande en m2. Mais, la réalisation des tests antigéniques, des vaccins, des entretiens diététiques (à raison d’une trentaine de rendez-vous/semaine, Ndlr) des bilans de médication, d’essayage de la contention veineuse…, a fini par donner l’impression que la pharmacie était encore plus étriquée. « Il y avait embouteillage au niveau de cette salle polyvalente », témoigne ce pharmacien. En octobre 2019, il a l’opportunité de racheter la maison à côté de la pharmacie pour réussir cette cohabitation difficile des nouvelles missions. Alors que les travaux (sur 2 niveaux) n’ont pas encore démarré, il est rattrapé par la crise sanitaire. « La cuisine et la salle-à-manger de cette habitation ont été affectées à la réalisation des tests et des vaccins », raconte-t-il. Les travaux d’agrandissement permettront d’intégrer dans le nouvel ensemble 3 cabines de confidentialité, une salle de formation, un appartement pour les gardes, un bureau, un local pour les DASRI, une organisation interne plus efficiente, etc. et bien sûr un espace de vente valorisant la qualité et la diversité de l’offre et des services. « Le métier évolue, l’architecture des officines doit suivre cette évolution et permettre de valoriser toutes les nouvelles expertises des pharmaciens auprès des patients et des médecins, car nous avons aussi à relever les défis de l’interprofessionnalité », explique Olivier Bascoulès. Son projet devrait donner un nouveau coup de pouce au C.A, qui croît entre 3 % et 7 %, depuis une dizaine d’années.

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LES TRANSFERTS ONT LE VENT EN POUPE.

« 150 m2 ne suffisent plus à leur bonheur, les pharmaciens veulent un minimum de 200 m2 à l’occasion d’un transfert ou d’un agrandissement, car ils sont de plus en plus nombreux à envisager l’installation d’une cabine de téléconsultation », témoigne Anne Lefebvre, pharmacienne consultante. Depuis un an, après le premier confinement où tout était gelé, elle a vu le nombre de sollicitations de pharmaciens et de demandes de transfert doubler. « Les cibles de ces transferts concernent davantage les centres-villes que les galeries marchandes des centres commerciaux situés en périphérie urbaine », précise-t-elle. Cette tendance confirmée par les agenceurs est régie par de nouveaux usages sociétaux. L’augmentation constante des grandes pharmacies disposant de surfaces commerciales supérieures à 500/600 m2 oblige à revoir entièrement le paradigme de la relation client. Le confinement a contribué au retour en force des commerces de proximité, ce qui explique l’attachement des pharmaciens aux centres-villes et leur stratégie d’expansion. « J’ai beaucoup de projets de transferts près de l’enseigne alimentaire Lidl dont l’implantation des magasins est restée à proximité des centres-villes », conclut Anne Lefebvre.

infos clés

1 Avec la crise sanitaire, les pharmaciens éprouvent un besoin accru de transformer leur outil de travail, de l’adapter aux nouvelles missions et orientations du métier.

2 La crise sanitaire a laissé sur son passage de nombreux locaux vacants, qui offrent de belles opportunités aux pharmaciens.

3 La surface d’une officine à la vente se valorise autant que la taille ou l’emplacement commercial. A moyen/long terme, la surface conditionne les perspectives de croissance de la pharmacie, sa capacité à se diversifier et à élargir son offre afin de créer une véritable dynamique de croissance.

4 Les solutions pour gagner des m2 : réagencer pour optimiser l’espace, agrandir la pharmacie en rachetant le local d’à côté, transférer, installer une annexe, s’en remettre aux astuces des agenceurs.

En plus

Raisonner m2 utile !

La recherche d’une plus grande surface n’est pas à proprement parlé un phénomène nouveau. Dans la majorité des cas, un transfert est motivé par un souhait d’agrandissement. « Ce qui change désormais, c’est la définition utile de ces m2 : combien pour les linéaires et combien pour les nouvelles missions et services, explique Philippe Becker (Fiducial). Les pharmaciens vont devoir revoir leurs plans s’ils veulent intégrer de la télémédecine, des zones d’attente et de circulation. Au fond, ce n’est pas tant le nombre de m2 qui va compter, mais la manière dont on les disposera ». Une vision qui va dans le sens de l’histoire. « Le marché de l’agencement lié à des opérations de transfert succède aujourd’hui au marché du réagencement et de la réexploitation des m2 perdus et de la relocation des espaces entre back et front-office », remarque David Van Acker (Mobil M).

Coup de frein sur les nouveaux m2

Crise du Covid-19 oblige, les inaugurations de nouveaux espaces dans les centres commerciaux ont subi un coup de frein avec – 49 % de m2 ouverts en 2020, par rapport à 2019. Les développements de centres commerciaux aussi ont marqué le pas, avec un total de 168 000 m2 inaugurés en 2020, soit une baisse de 16 % par rapport à 2019. L’année 2020 a également enregistré un nombre historiquement faible d’inaugurations de centres commerciaux à ciel ouvert totalisant 160 000 m2, un record depuis plus de dix ans et surtout un niveau d’ouvertures qui se situe pour la première fois en-deçà de celui des centres commerciaux. L’activité de développement est en recul de – 62 % par rapport aux ouvertures réalisées en 2019. Ce ralentissement dans le développement des parcs d’activités périphériques est lié au report de nombreux projets sur 2021, voire 2022, et notamment de projets d’envergure à forte contribution de m2, comme les concepts à ciel ouvert.

250 À 300 M2

C’est la surface de vente minimum des officines qui se construisent aujourd’hui.

Source : La thèse sur “la pharmacie du futur” de Guillaume Blanchet, docteur en pharmacie