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A bout de souffle à l’heure de la nouvelle vague
Depuis deux ans, les pharmaciens sont en première ligne pour assurer l’accès aux soins et répondre à la crise sanitaire liée au Covid-19. Entre la réalisation des tests antigéniques, la vaccination contre le Covid-19, la délivrance des médicaments, les conseils aux patients, les titulaires et leurs équipes sont surchargés de travail. Et épuisés.
Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire », déclarait le président de la République Emmanuel Macron le 16 mars 2020. Pratiquement deux ans après, la blitzkrieg (guerre éclair) contre le Covid-19 est devenue un combat dont on ne voit pas la fin. Dès le début de la crise sanitaire, les pharmaciens ont été les fantassins positionnés en première ligne. Entre la distribution de gels hydroalcooliques et de masques, la réalisation de tests sérologiques puis de tests antigéniques (TAG), la vaccination contre le Covid-19 et aujourd’hui la campagne de rappels, y compris le dimanche, les équipes officinales ne chôment pas depuis deux ans. Avec peu voire pas de moments de répit. Et l’arrivée, mi-novembre, de la cinquième vague met de nouveau les pharmaciens sous tension. « Cet été a finalement été bien rempli avec le pass sanitaire et les tests antigéniques de “confort”. Alors que nous pensions souffler après le déremboursement de certains TAG le 15 octobre, avec la cinquième vague, nous pratiquons de nouveau beaucoup de tests pour des personnes positives et des cas contacts », relate Fabrice Camaioni, titulaire à Revin (Ardennes) et président de la commission métier de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Nous vivons des journées d’enfer : le nombre de prestations que nous réalisons certains jours n’est pas loin de celui des 16 et 17 mars 2020, avant le premier confinement », constate Christophe Wilcke, titulaire à Spincourt (Meuse) et président de l’union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens du Grand-Est. Avec une petite touche supplémentaire : les pathologies hivernales sont de retour.
Le cœur de métier malmené
Certes, la crise sanitaire et les nouvelles missions qui en découlent permettent aux pharmaciens de tirer leur épingle du jeu financièrement. Pour autant, les officinaux observent avec inquiétude à quel point le Covid-19 modifie leur exercice. Marjorie Lafitte, titulaire à Bouillargues (Gard), résume avec humour la situation dans un billet d’humeur affichée dans sa pharmacie : « Je n’avais jamais imaginé que je serais aussi logisticienne […], standardiste […], secrétaire : oui, oui, je prends les rendez-vous pour les vaccinations 1e, 2e, 3e dose […], informaticienne : j’installe l’application TousAntiCovid, je télécharge, imprime, scanne les QR Code… » Une accumulation de nouvelles tâches à laquelle s’ajoute le temps passé à s’informer. « Il faut décrypter les DGS-Urgent et ce que nous sommes autorisés à faire. C’est un travail permanent, sachant que cela peut changer au fil du temps, comme pour le rappel avec le vaccin de Moderna », remarque Olivier Rozaire, titulaire à Saint-Bonnet-le-Château (Loire) et président de l’URPS pharmaciens Auvergne-Rhône-Alpes.
Autant de temps consacré à la gestion de la crise sanitaire qui ne l’est pas pour les autres activités et missions officinales. « C’est compliqué d’assurer les bilans de médication qui sont chronophages », relève Bruno Julia, titulaire à Lherm (Haute-Garonne). Les entretiens pharmaceutiques, qui étaient déjà de moins en moins réalisés, ne sont plus la priorité. Des projets sont reportés tels que la mise en œuvre des entretiens pour les patients sous chimiothérapie orale ou le lancement d’une démarche qualité. « Nous n’abandonnons pas le cœur de métier », rassure Sylvie Hosneld, titulaire à Mulhouse (Haut-Rhin). Mais à quel prix ? « Le temps passé avec les patients mais surtout la qualité de services qu’on offrait s’amenuisent petit à petit », regrette Fanny B., titulaire dans un petit village de 850 habitants dans les Hauts-de-France. « Nous sommes entraînés dans un tsunami, nous allons vite, y compris pour délivrer une ordonnance, et je trouve cela grave », regrette Fabrice Camaioni. Arnauld Cabelguenne, titulaire à Lectoure (Gers), se désole : « Nous ne formalisons plus les accompagnements des patients comme avant le Covid-19. La délivrance des ordonnances complexes devient compliquée. Le travail de fond de conseil a disparu ». Delphine Chadoutaud, titulaire à Orsay (Essonne), a un avis encore plus tranché : « L’exercice de base est foutu en l’air. »
Le back-office s’avère également de plus en plus difficile à gérer, notamment pour les petites équipes. « Mon bureau est devenu une pièce sans nom, où s’entassent les papiers, les factures… J’ai du retard pour gérer l’administratif et régler les factures. J’annule au fur et à mesure les rendez-vous avec les commerciaux. Je passe des commandes vite fait par e-mail quand je peux et parfois, le soir, de mon lit », relate Fanny B.
S’organiser malgré tout
Les pharmaciens s’organisent du mieux qu’ils peuvent. Beaucoup mettent en place des créneaux pour les tests et la vaccination. « Nous vaccinons en matinée et nous testons l’après-midi sur rendez-vous », explique Bruno Julia. Certains, comme Fanny B., choisissent de ne pas vacciner contre le Covid-19. L’organisation dépend aussi du nombre de pharmaciens adjoints et de préparateurs. Les officinaux interrogés rendent d’ailleurs hommage à leurs équipes qui tiennent le choc.
Mais l’obligation vaccinale a parfois changé la donne. Fanny B. s’est ainsi retrouvée sans adjointe et sans femme de ménage, celles-ci refusant de se faire vacciner en août. « Le calvaire a commencé, avec les autotests tous les trois jours… Une ambiance terrible au sein de l’équipe… », résume la pharmacienne. Finalement, les salariées sont suspendues le 15 septembre et Fanny B. doit assurer tout le travail avec ses trois préparatrices à temps partiel. Elle parvient cependant à embaucher, un mois après, une pharmacienne remplaçante. Un petit miracle. « Dans ce contexte, nous avons du mal à recruter des pharmaciens et des préparateurs », relève en effet Bruno Julia. Alors, la vaccination à domicile et le dimanche suscitent des polémiques. « En proposant de vacciner le dimanche, je ne pensais pas que cela créerait autant de remous, explique Delphine Chadoutaud. Je l’ai fait car tous mes créneaux de vaccination sont pris durant la semaine et j’ai une liste d’attente de 100 personnes. C’est comme si j’étais conditionnée à travailler 7 j/7. » Cependant, pour beaucoup de pharmaciens, ce n’est pas une solution viable compte tenu de leur fatigue et de celle de leurs équipes. Quid aussi des petites pharmacies où n’exerce qu’un seul pharmacien ? Marie-Claire Cabelguenne, l’épouse d’Arnauld, installée à Miradoux, à 15 km de Lectoure, est seule et va fermer définitivement son officine le 31 décembre. Impossible de mener à bien toutes les missions officinales. « J’ai vacciné, mais je me suis retrouvée avec une personne faisant une allergie et à devoir téléphoner au médecin dans le même temps. Je me suis rendu compte qu’il y avait danger à être toute seule pour mes patients et pour moi-même », souligne-t-elle.
Sauver le soldat pharmacien
L’épuisement n’est pas seulement physique mais aussi moral. « Les patients sont de plus en plus exigeants et cela a beaucoup accentué notre charge morale », observe Isabelle Nicolleau, présidente du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens (Crop) Pays de la Loire. « Les gens sont à bout, tout le monde va mal », ajoute Delphine Chadoutaud. Pour Olivier Rozaire, le problème est « que l’on ne nous donne pas de perspective ». « Personnellement, je ne me projette plus. On ne sait pas ce qui va se passer, on n’a plus de visibilité », avoue Fabrice Camaioni. « Nous vivons au jour le jour », souligne Arnauld Cabelguenne. « On fait tout dans l’urgence, tout le temps. C’est usant. On ne voit pas le bout du tunnel. Nous commençons à perdre espoir. Nous tenons pour le moment, mais pour combien de temps ? », s’interroge Fanny B. « Il faudrait vraiment un peu plus de reconnaissance pendant cette période de mobilisation sans précédent de la profession : “il faut sauver le soldat pharmacien” ! », conclut Marjorie Lafitte.
DES PHARMACIENS À L’ÉCOUTE DES PHARMACIENS
L’association Aide et dispositif d’orientation des pharmaciens (Adop) propose son service d’écoute et d’accompagnement à tous les pharmaciens et étudiants en pharmacie du territoire. S’ils sont en difficulté, ils peuvent appeler un numéro vert (0800 73 69 59) 7 j/7 et 24 h/24. « L’association apporte un soutien par une écoute active aux confrères et nous les aidons en leur proposant un professionnel ressource si le besoin se fait sentir. De plus, c’est un pharmacien qui répond aux appels de ses consœurs et confrères. Il connaît donc bien l’exercice professionnel et peut comprendre les problèmes rencontrés. Mais actuellement, il s’agit avant tout d’un travail d’écoute », explique Isabelle Nicolleau, présidente du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens (Crop) Pays de la Loire et de l’association Adop. Face à l’épuisement physique et moral croissant des pharmaciens, l’association reçoit de plus en plus d’appels. « Après une stabilisation de mars à juin 2021, leur nombre est de nouveau très élevé depuis août. En 2021, nous avons déjà reçu 241 appels », constate Isabelle Nicolleau. Pour faire face à la demande accrue, un deuxième pharmacien est disponible de 9 h à 21 h depuis le 15 décembre.
La démarche qualité : un atout
« En amont, la qualité permet d’avoir des tâches structurantes avec des process si possible écrits, et ainsi à déléguer, et de mieux gérer les dysfonctionnements. Le fonctionnement en mode projet offre aussi l’avantage de choisir les missions que la pharmacie va proposer. Et la certification ISO 9001, qui est une certification de service, engage toute l’équipe de l’accueil à la dispensation », explique Laetitia Hible, présidente de l’association Pharma Système Qualité. Pierre-Edouard Poiré, titulaire à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise), a engagé une démarche qualité en 2011 : « Son principe, c’est d’apporter de l’organisation, de la traçabilité et de la qualité dans les actes. Malgré la crise, cela nous permet d’anticiper en planifiant très précisément les tâches de chacun. C’est sécurisant pour l’équipe. On travaille plus sereinement, moins dans l’urgence. La qualité permet aussi d’identifier les problèmes et de mettre en place des actions correctrices. Rien n’est plus chronophage que de gérer une erreur ». Sylvie Hosneld « pratique » aussi la qualité depuis 12 ans et son officine est certifiée ISO 9001 : « La planification et les protocoles rassurent tout le monde. Par exemple, j’ai embauché des étudiants pour les tests antigéniques et je me suis rendu compte que tous ne procédaient pas de la même façon. Ils ont tous refait une formation et j’ai élaboré un protocole pour qu’ils travaillent de la même façon. »
UN EXERCICE COORDONNÉ BOOSTÉ
« La crise a boosté l’exercice coordonné », constate Grégory Tempremant, président de l’union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens Hauts-de-France. Certains officinaux ont ainsi fait appel aux infirmières pour effectuer les prélèvements des tests ou ont orienté les patients vers les cabinets infirmiers. Les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) ont aussi joué un rôle, notamment pour la vaccination. « Dans notre milieu rural, la MSP a créé un relais de très grande proximité, relate Arnauld Cabelguenne, titulaire à Lectoure (Gers), qui a participé à sa création. Cela nous galvanise, on n’est pas tout seul. L’esprit pluriprofessionnel nous permet de tenir. »
À RETENIR
– Les missions qui découlent de la gestion de la crise sanitaire (réalisation de tests de dépistage du Covid-19, vaccination, etc.) pèsent sur l’exercice officinal, à tel point que les missions de cœur de métier (délivrance de médicaments, conseils, etc.) en pâtissent, quand elles ne sont pas simplement reportées (entretiens pharmaceutiques, notamment).
– En sous-effectif, les pharmaciens sont débordés, épuisés, et doivent composer avec les différentes directives pour s’organiser.
– La démarche qualité et l’interprofessionnalité pourraient être un atout dans l’organisation.
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