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Accompagner la délivrance des anti-aromatases

Publié le 20 janvier 2022
Par Christine Julien
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L’hormonothérapie est une thérapie utilisée dans certains cancers hormonodépendants. Elle regroupe plusieurs classes de médicaments, dont les inhibiteurs de l’aromatase, ou anti-aromatases, indiqués dans le cancer du sein.

Hormones et cancer du sein

• Un cancer est hormonodépendant ou hormonosensible lorsque des hormones jouent un rôle dans la prolifération des cellules cancéreuses. C’est le cas du cancer du sein.

• Estrogènes et progestérone peuvent favoriser la croissance de certaines cellules, dont celles du cancer du sein.

• Il existe des récepteurs d’estrogènes (RE) et de progestérone (RP) à la surface ou à l’intérieur des cellules normales du sein et de certains types de cellules du cancer du sein. C’est sur ces récepteurs que les hormones se fixent aux cellules. Une fois fixées, elles peuvent affecter le comportement ou la croissance des cellules.

Les cellules du cancer du sein, qui ont des récepteurs RE et RP, ont besoin de ces hormones pour croître et se diviser.

• Lors du diagnostic du cancer ou d’une récidive, l’analyse des tissus de la tumeur permet de connaître le statut des récepteurs hormonaux de la tumeur afin de savoir si une hormonothérapie pourrait être efficace. Ce statut joue aussi sur le pronostic et la survie. Les résultats se basent sur la présence de récepteurs de chaque type et leur quantité. Des récepteurs positifs (+) et des récepteurs négatifs (-) peuvent coexister au sein d’une même tumeur.

• Dans environ deux tiers des cas, la tumeur contient des récepteurs d’estrogènes, de progestérone, ou des deux.

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→ Une tumeur RE (+) et une tumeur RE et RP (+) sont souvent traitées par hormonothérapie.

→ Une tumeur RE (-) et RP (+) est parfois traitée par hormonothérapie.

→ Une tumeur dont les récepteurs hormonaux sont négatifs (RE- et RP-) n’est pas traitée par hormonothérapie.

L’hormonothérapie, c’est quoi ?

Le traitement par l’hormonothérapie consiste à inhiber l’action ou la production d’hormones susceptibles de stimuler la croissance d’une tumeur. Dans le cancer du sein, sont utilisées :

• l’hormonothérapie additive : avec estrogènes, progestatifs, anti-androgènes et anti-estrogènes, tel le tamoxifène (voir Porphyre n° 575, juin 2021) ;

• l’hormonothérapie suppressive, qui supprime la production d’hormones. Elle est réalisée de manière chirurgicale, par radiothérapie ou par des médicaments, dont les analogues et antagonistes Gn-RH et les anti-aromatases.

Comment agissent les anti-aromatases ?

• Les anti-aromatases sont des médicaments qui inhibent de façon compétitive l’enzyme estrogène synthétase appelée aromatase. Cette enzyme intervient dans la transformation, notamment au niveau du tissu adipeux, des androgènes surrénaliens en estrogènes, principale source d’estrogènes chez la femme ménopausée. Cette enzyme est exprimée au niveau des follicules ovariens, dans le tissu adipeux, le foie, les muscles, le cerveau et le sein.

• Comme ils n’agissent que partiellement sur l’aromatase ovarienne, ces médicaments induisent une stimulation gonadotrope, et ne sont donc pas indiqués chez la femme non ménopausée, sauf cas particuliers (voir plus bas). Chez les femmes non ménopausées, l’inhibition de la synthèse d’estrogènes entraîne par rétrocontrôle une augmentation des taux de gonadotrophines (LH, FSH). La hausse du taux de FSH stimule à son tour la croissance folliculaire et peut induire une ovulation.

Comment sont-ils utilisés ?

• Les anti-aromatases sont prescrits comme traitement adjuvant après une chirurgie d’exérèse et/ou une chimiothérapie cytotoxique, et après ou en même temps qu’une radiothérapie.

• Ils sont aussi prescrits en néo-adjuvant, c’est-à-dire d’emblée après le diagnostic avant un traitement principal si, par exemple, les médecins préfèrent attendre ou éviter une chimiothérapie. Seul le létrozole possède l’AMM en néo-adjuvant.

• Le statut ménopausique guide leur choix. Les anti-aromatases sont principalement indiqués chez la femme ménopausée. Ils sont utilisés dans certains cas, atteinte ganglionnaire avec haut risque de rechute notamment, chez la femme non ménopausée en association avec une suppression ovarienne par un analogue de la LH-RH. Leur prescription est déconseillée avant l’âge de 50 ans.

• Ils s’utilisent en général sur cinq ans. Au-delà, leur efficacité est mise en balance, avec un risque accru de survenue d’arthralgies et de fractures. Ils peuvent être poursuivis cinq ans de plus pour réduire le risque de récidive ou prévenir un nouveau cancer du sein(1).

→ Ils peuvent être prescrits deux ans et demi, suivis par deux ans et demi de tamoxifène, ou être utilisés après un traitement de tamoxifène en raison d’un profil d’effets indésirables différents, avec par exemple deux ans de tamoxifène, puis trois voire cinq ans d’anti-aromatases.

→ Dans les cancers métastatiques RH+, les anti-aromatases sont utilisés avec les inhibiteurs des cyclines (CDK) 4/6 : le palbociclib (Ibrance), le ribociclib (Kisqali) et l’abémaciclib (Verzenios). Les CDK4 et 6 sont des protéines intervenant dans la régulation du cycle cellulaire. Les inhibiteurs de cycline empêchent la réplication des cellules cancéreuses. Ces traitements sont poursuivis tant qu’ils fonctionnent.

• Par rapport au tamoxifène, les anti-aromatases n’ont pas d’avantage démontré sur la survie (La Revue Prescrire, juin 2015, n° 380), mais leurs effets indésirables diffèrent (voir ci-dessous).

• Attention ! Sous létrozole, une reprise de l’ovulation est possible en cas de ménopause récente ou de péri-ménopause. Une contraception sera envisagée.

Quels sont les effets indésirables ?

• Parce qu’ils induisent une hypo-estrogénie comme le tamoxifène, les anti-aromatases induisent bouffées de chaleur, sécheresse vaginale, dyspareunies (douleurs lors des rapports sexuels), prise de poids, fatigue. Mais aussi sensations vertigineuses, céphalées, éruption cutanée, atteintes hépatiques, hypercholestérolémie avec le létrozole en particulier. L’exémestane semble exposer à davantage de nausées et constipation (La Revue Prescrire, avril 2019, n° 426). Bouffées de chaleur, arthralgies, fatigue et nausées sont les plus fréquentes.

• Les anti-aromatases exposent à une diminution de la densité minérale osseuse (DMO) et à une augmentation du risque de fractures(2). Cette perte osseuse est parfois importante, surtout en début de traitement. Sont observés des troubles musculaires ou ostéo-articulaires à type d’ostéoporose, d’arthrites, de faiblesses musculaires, de syndrome du canal carpien et de douleurs.

Quelle prévention ?

Une évaluation du risque de fracture est faite avant le traitement pour établir la stratégie de prévention. Le risque dépend de l’indice de masse corporelle (IMC), des antécédents de fractures, du risque d’ostéoporose et de chute, de la DMO initiale. En cas de carence, une supplémentation « d’attaque » en vitamine D est prescrite, puis une dose d’entretien. Si le risque de fracture est élevé, le risédronate (Actonel) est prescrit à 35 mg par semaine.

Quels conseils donner ?

Agir sur les facteurs évitables du risque de fracture et de chute : limiter le tabac et l’alcool, quatre produits laitiers par jour (yaourt, fromage… pour un apport journalier de 800 à 1 200 mg de calcium), vitamine D en cas de carence objectivée par un dosage de la 25-hydroxyvitamine D (taux optimal supérieur à 30 ng/ml)(1), maintenir une activité physique minimale de 30 minutes par jour, adapter le lieu de vie pour limiter les chutes (tapis à éviter, éclairage suffisant…).

(1) Cancers et pathologies du sein, attitudes diagnostiques et thérapeutiques, protocoles de traitement 2019-2020, Institut Curie et Gustave-Roussy.

(2) Recommandations françaises de stratégies thérapeutiques pour la prévention et le traitement de l’ostéoporose induite par les traitements adjuvants du cancer du sein, Société française de rhumatologie, La Revue du rhumatisme, Elsevier, 2019.

notre experte

“Le long cours fait l’efficacité

Françoise de Crozals, pharmacienne gérante à l’Institut du cancer Avignon-Provence Sainte-Catherine, à Avignon (84).

Quels sont les points de vigilance à avoir à l’officine avec les patientes sous anti-aromatases ?

Il faut bien s’assurer que les patientes viennent tous les mois chercher leur traitement. Si les anti-aromatases sont administrés dans un cancer métastatique avec des inhibiteurs de CDK 4/6, par exemple, il faut être vigilant par rapport à leurs effets indésirables à type de neutropénie, et s’assurer du suivi hématologique de ces molécules hémato-toxiques. Sous anti-aromatases, certaines femmes se plaignent de nausées, qui se manifestent par une sorte de lourdeur gastrique, et de douleurs musculaires. Elles doivent en parler avec leur médecin oncologue car c’est une cause d’arrêt de traitement.

Comment réagir si elles l’arrêtent ?

L’officinal doit être à l’écoute, rester vigilant et alerter en cas d’arrêt. La première chose est de rappeler l’intérêt de l’hormonothérapie adjuvante. Elle traite le cancer et les patientes doivent comprendre la nécessité de la prendre cinq ans. Le long cours fait l’efficacité et il faut le réexpliquer si besoin : « Arrêter le traitement ouvre grand les portes au cancer pour repartir » ou « Tout arrêt volontaire doit être partagé avec votre oncologue. Si vous ne vous sentez pas, je peux faire remonter l’information et appeler le pharmacien hospitalier ». Une patiente a le droit d’en avoir ras le bol mais elle doit partager cette information avec son oncologue. En revanche, si elle en est à sa quatrième ligne de traitement, si son cancer est agressif, il est difficile de lui dire que l’hormonothérapie ne doit absolument pas être arrêtée. On se concentrera sur la gestion des effets indésirables. D’où l’intérêt du lien ville-hôpital pour connaître le suivi de la personne.

Que faire si la patiente ne vient pas renouveler son ordonnance ?

Si elle ne vient pas un mois, ouvrir la discussion le mois d’après. Si elle ne vient plus du tout, appeler le pharmacien hospitalier pour savoir si la prise en charge a évolué car le cancer a pu métastaser ou la ligne thérapeutique a pu changer. Il faut savoir solliciter le confrère hospitalier.