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Opioïdes : pourquoi la France évite la crise
Alors que les Etats-Unis sont confrontés à une augmentation sans précédent des décès par overdose d’opioïdes, quelle est la situation en France ? Sommes-nous à l’abri de la menace ? Quelles mesures prendre pour éviter un tel scénario ? Les éléments de réponse apportés par les experts se veulent rassurants.
La crise des opioïdes continue de faire des ravages aux Etats-Unis. Entre avril 2020 et avril 2021, le cap des 100 000 décès par overdose a été franchi pour la première fois, portant à plus de 500 000 le nombre de morts depuis le début de cette crise sanitaire il y a une vingtaine d’années. « L’explosion des décès par overdose chez les jeunes adultes de la middle class à la suite de la prise d’oxycodone, d’hydrocodone puis de fentanyl, avec ou sans prescription médicale, explique d’ailleurs en grande partie l’altération de l’espérance de vie observée pour la première fois depuis bien longtemps dans ce pays », précise le Dr Jean-Michel Delile, président de la Fédération Addiction.
En France, la situation n’a rien de comparable. Si le dernier état des lieux de la consommation des antalgiques opioïdes, réalisé en 2019, a fait ressortir une hausse de 150 % des prescriptions d’opioïdes forts comme l’oxycodone entre 2006 et 2017 et de 167 % des hospitalisations liées à la prise d’antalgiques opioïdes sur prescription médicale entre 2000 et 2017, les chiffres restent faibles en valeur absolue. « Le constat est de 40 hospitalisations par million d’habitants et une centaine de décès par an par overdose chez les usagers de drogues », confie Nathalie Richard, la pharmacienne à la direction de la surveillance de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui a piloté ce rapport. Pour Nicolas Authier, médecin psychiatre spécialisé en pharmacologie et en addictologie au centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), le scénario d’une crise à l’américaine n’est donc pas à craindre. « En France, les autorités sanitaires contrôlent mieux, dans l’ensemble, la publicité autour du médicament et les conflits d’intérêts entre laboratoires et médecins, souligne-t-il. Les Français ont aussi toujours été un peu opiophobes. Nous nous sommes même parfois montrés trop prudents dans la prescription d’opioïdes, y compris dans le cancer, au détriment du soulagement de la douleur des patients. Mais cela a contribué à protéger des risques et des abus. » Les conditions de prescription strictes ont, elles aussi, permis d’éviter les dérives. « Pour le tramadol, la codéine ou la poudre d’opium, le renouvellement automatique par le pharmacien est limité à trois mois, rappelle Nathalie Richard. Pour les stupéfiants comme la morphine, l’oxycodone ou le fentanyl, il faut une ordonnance sécurisée de 28 jours non renouvelable. » « Et comme le maillage de structures de prise en charge des addictions installées sur l’ensemble du territoire, et accessibles gratuitement, nous permet de proposer des solutions thérapeutiques à tous les patients qui développent des dépendances, il n’y a en France pas lieu de s’inquiéter », assure Nicolas Authier.
Ne pas baisser la garde
Pas question pour autant de baisser la garde. « Les chiffres de la consommation en 2018 indiquent une tendance à l’augmentation du nombre de prescriptions et d’usages problématiques, nous incitant à continuer de surveiller étroitement ces médicaments », confie Nathalie Richard. Le tramadol, l’oxycodone et le fentanyl font ainsi l’objet d’une surveillance renforcée alimentée par les bilans de suivi réguliers de pharmacovigilance et d’addictovigilance et les données de l’Observatoire français des médicaments antalgiques (Ofma). De son côté, la Haute Autorité de santé (HAS) envisage de publier, dans les semaines à venir, des recommandations de bonnes pratiques concernant l’usage des opioïdes antalgiques. Pour Nicolas Authier, ces dernières devront répondre à un enjeu central : éviter l’apparition d’une crise des opioïdes en France. « L’expérience des Etats-Unis montre qu’il est très compliqué d’en sortir. Mieux vaut donc prévenir que guérir, note le psychiatre. Or, si l’on veut éviter un scénario catastrophe, il faut d’abord mettre l’accent sur la sensibilisation et la formation des médecins. C’est en effet en leur apprenant à prescrire mieux, plutôt qu’à prescrire moins, que l’on évitera de développer les risques de mauvais usage et d’overdose. » Pour Jean-Michel Delile, l’implication des praticiens est effectivement essentielle. « Aujourd’hui, bien trop souvent, le chirurgien et l’anesthésiste ne voient plus le patient en suivi postopératoire, constate le président de la Fédération Addiction. Par conséquent, même après une opération mineure, celui-ci se voit remettre une ordonnance préimprimée avec une prescription de tramadol pour 14 jours, qui est le plus souvent renouvelée sans être réévaluée. Il ne faudrait donc pas que les opioïdes deviennent une routine, comme les antibiotiques. »
Les pharmaciens en première ligne
Pour le Dr Sophie Pouplin, rhumatologue et responsable du Centre d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) du CHU de Rouen (Seine-Maritime), ce travail d’information et de formation doit aussi être réalisé auprès des pharmaciens d’officine. « Ces derniers occupent une place fondamentale dans la prise en charge des patients, rappelle-t-elle. Il faut donc leur rappeler régulièrement les éléments de vigilance lors de la délivrance et les explications nécessaires à fournir aux patients. » La mise en place d’entretiens pharmaceutiques à l’officine fait d’ailleurs partie des propositions pour améliorer le bon usage des traitements opioïdes. « Ils auraient pour but d’améliorer leur surveillance et d’éviter les renouvellements automatiques sans questionnement », précise Sophie Pouplin. Ce dispositif est déjà testé avec succès au CHU de Rouen où des entretiens sont menés par des pharmaciens cliniciens lors de la mise des patients sous opioïdes en hospitalisation, le suivi étant réalisé par les médecins traitants et les pharmaciens d’officine.
De nombreux laboratoires de recherche travaillent enfin à travers le monde au développement d’opioïdes sans ou avec peu d’effets secondaires. La piste thérapeutique la plus prometteuse semble être celle des molécules dites biaisées. « Le point de départ remonte en 2000 quand des chercheurs ont réussi à démontrer sur des souris que lorsque l’on activait uniquement la voie de signalisation G sur le récepteur µ-opioïde (µOR), et pas celle de l’arrestine, les risques de dépression respiratoire étaient très fortement diminués. Or, c’est cet effet secondaire qui provoque les overdoses aux opioïdes », rappelle Rémy Sounier, chercheur au sein de l’équipe pharmacologie et biologie structurale des protéines membranaires à l’Institut de génomique fonctionnelle (IGF) de Montpellier (Hérault). Ces résultats ont incité les chercheurs à se pencher sur les molécules opioïdes biaisées susceptibles de n’activer que la voie de signalisation G. « Après des essais menés sur l’oliceridine, le PDZ21 et la buprénorphine, nous avons pu démontrer que celles-ci entraînent une dynamique du récepteur différente au niveau de la zone d’interaction avec les protéines des voies de signalisation. C’est cette dynamique qui empêcherait l’arrestine de se fixer au récepteur µOR », explique Rémy Sounier. Après une première publication en octobre dernier dans la revue Molecular Cell, l’équipe de l’IGF va désormais chercher à identifier de nouvelles molécules biaisées pour encore mieux comprendre les mécanismes d’activation de ces récepteurs. « Jusqu’à présent, c’est la chance qui nous a permis de les découvrir. L’objectif maintenant est d’arriver à les développer en amont. Et le jour où nous y parviendrons, probablement dans une dizaine d’années, cela voudra peut-être dire que les nouveaux opioïdes mis sur le marché seront moins dangereux que ceux utilisés de nos jours », conclut Rémy Sounier.
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