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Moins c’est mieux, l’essor de la déprescription
L’heure est à la sobriété, même en matière médicamenteuse. La déprescription et la dispensation adaptée prennent tout juste leur essor en France, mais vont se déployer de manière importante dans les mois à venir. Objectifs : réduire le risque iatrogène médicamenteux et générer des économies pour le système de santé.
Quel est le point commun entre un patient qui se sent bien et consulte pour le renouvellement de son ordonnance, un autre au début de son traitement mais qui se plaint d’effets indésirables et un troisième, âgé, polymédiqué et traité pour une pathologie aiguë ? Ils sont tous éligibles à une déprescription. Cette pratique médicale, désormais menée de manière active en France, consiste à retirer des médicaments ou à réduire la posologie lorsque les risques sont devenus supérieurs aux bénéfices attendus, en vue d’une réduction de la polymédication et de ses conséquences.
A ce stade, des recommandations ont été édictées par la Haute Autorité de santé (HAS) pour guider la déprescription, mais il manque encore un cadre réglementaire. « Un médicament un jour ne veut pas forcément dire un médicament pour toujours. En tant que médecins, nous devons nous poser la question de la pertinence de maintenir un médicament au vu de l’évolution de la situation clinique d’un patient, telle qu’un changement de poids ou une altération de la fonction rénale. Plutôt que de renouveler de manière systématique, il s’agit de se demander si une indication est toujours d’actualité, si une posologie n’est pas devenue trop élevée. Différentes situations nécessitent de revoir un traitement : quand un patient âgé fait une chute, lors de fortes chaleurs… », explique Pascal Meyvaert, médecin coordonnateur en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et membre du bureau de l’union régionale des professionnels de santé (URPS) des médecins libéraux du Grand-Est.
Immédiate ou progressive
Cette déprescription peut être immédiate ou s’inscrire dans une démarche protocolisée et progressive. « Le médecin travaille médicament par médicament, sur certaines molécules et classes thérapeutiques en fonction des recommandations », complète Pascal Meyvaert. Il s’agit aussi d’être vigilant au phénomène de cascade médicamenteuse, notamment lorsqu’un traitement est prescrit pour contrer les effets indésirables d’un autre déjà établi. Antihyperglycémiants, antipsychotiques, benzodiazépines, inhibiteurs de la pompe à protons et inhibiteurs de cholinestérase sont les classes thérapeutiques donnant lieu à des arbres décisionnels accessibles sur le site de référence deprescribing.org.
En France, en partenariat avec l’URPS des médecins libéraux du Grand-Est, l’observatoire du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique (Omedit) Grand-Est vient de mettre en ligne une « ordonnance de déprescription » à l’usage des médecins. « Rédigé en fin de consultation, ce support matérialise l’échange entre les deux protagonistes et le choix d’opter pour une déprescription. L’écrit peut être un levier pour faciliter la compréhension de la démarche et l’acceptation par le patient », explique Manon Vrancken, pharmacienne à l’Omedit Grand-Est. La conduite à tenir, des préconisations et des conseils associés sont également précisés sur ce document, joint à une ordonnance classique. Au comptoir, les informations délivrées au patient sont ainsi portées à la connaissance de l’équipe officinale, qui peut s’approprier les messages et les réitérer.
Cette démarche est aussi une affaire de pharmaciens. « La déprescription peut entraîner une dédispensation. C’est en ce sens que nous avons proposé à l’Assurance maladie la mise en œuvre de la dispensation adaptée. En outre, aller vers un meilleur usage du médicament, c’est aussi favoriser l’ordonnance conditionnelle, dont la dispensation fait suite à la réalisation d’un test rapide d’orientation diagnostique », rappelle Jean-Philippe Brégère, pharmacien titulaire en Charente et président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) en Nouvelle-Aquitaine. En tant que membre du bureau de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS), il considère que la déprescription peut s’appuyer sur des bilans partagés de médication (BMP) réalisés dans le cadre d’une structure d’exercice coordonné.
Convaincre les patients
Cette pratique, toutefois, se heurte parfois à la réticence des patients. Certains peuvent avoir le sentiment d’un abandon des soins ou manifester la crainte de voir réapparaître des symptômes. « Les patients sont plus ou moins attachés aux médicaments qu’ils prennent. A l’instar de l’adhésion thérapeutique, de nombreux aspects socioculturels et des valeurs symboliques peuvent s’entremêler et se heurter à la déprescription », pointe Manon Vrancken. Pour rassurer l’usager de santé, l’Omedit Grand-Est a élaboré un autre outil : une carte de suivi. Remise en même temps que l’ordonnance, elle permet d’inscrire le nom du médicament concerné par la dépriscription et de notifier les rendez-vous médicaux à venir. L’organisme régional a aussi établi des verbatim afin de répondre aux objections potentielles. Pour faciliter l’adhésion du public, les rapporteurs de la mission sur la régulation des produits de santé remis à la Première ministre Elisabeth Borne en août 2023 tablent sur des campagnes de sensibilisation. Les messages doivent porter sur le bon usage collectif et le rôle de chacun en faveur de la « sobriété médicamenteuse ». Une notion qui pourrait d’ailleurs faire son entrée dans l’enseignement scolaire, selon les rapporteurs.
En route vers la sobriété médicamenteuse
D’ici quelques jours, l’organisation représentant les laboratoires pharmaceutiques, le Leem (Les Entreprises du médicament), s’apprête, elle aussi, à lancer son plan pour encourager une utilisation plus modérée des médicaments. « Il s’agit de les considérer sous l’angle de leur consommation. Une consommation élevée est un sujet de santé publique dans trois situations identifiées : les patients âgés, souvent en polymédication, les antibiotiques, trop consommés ou à mauvais escient générant de l’antibiorésistance, ainsi que le gaspillage de médicaments », énumère Eric Baseilhac, conseiller spécial de la direction générale du Leem. Selon les représentants des industriels, ce plan vise à « préserver la valeur thérapeutique de leurs médicaments, favorisée par un bon usage en vie réelle et par un système de pharmacovigilance performant ». Cette initiative présente aussi un potentiel d’économies estimé à 300 millions d’euros par an. « Depuis 2018, la France n’est plus en tête du peloton européen pour la prescription et la consommation de spécialités. Nous nous situons aujourd’hui dans la moyenne des pays européens. Mais il peut rester un sujet d’addiction systémique aux médicaments », considère Eric Baseilhac. Quant aux associations de patients, elles attendent que les médecins s’y mettent. « Toute démarche visant à améliorer l’adhésion thérapeutique suppose un travail préalable sur la déprescription », rappelle Jean-Pierre Thierry, conseiller médical de France Assos Santé. D’autre part, les médecins sont incités à se rapprocher de pratiques validées qui permettraient, à elles seules, de s’inscrire dans une démarche de déprescription. Sur ce sujet, du chemin reste à parcourir. Récemment, l’affaire des fluoroquinolones a fait grand bruit : près de 6 millions d’ordonnances auraient ainsi été rédigées de manière injustifiée sur une période de quatre ans. En mars, dans ses négociations sur la nouvelle convention médicale, l’Assurance maladie a mis sur la table la genèse d’une consultation de déprescription pour les patients âgés hyperpolymédiqués. Elle demande qu’une articulation soit faite avec les bilans de médication pharmaceutiques en les prescrivant si besoin. Jamais les planètes n’auront autant été alignées pour cette nouvelle pratique.
Dispensation adaptée : un modèle à redéfinir
La mission officinale de la dispensation adaptée a été expérimentée entre juillet 2020 et juillet 2022, impliquant près de 14 000 officines cette dernière année. Il s’agissait de délivrer au patient la quantité de médicaments nécessaire dans le respect de la prescription médicale et uniquement pour les traitements où la posologie peut varier. Cette pratique a ciblé 22 classes thérapeutiques, portant en majorité sur la sphère digestive (antiacides, antiflatulents, laxatifs, antidiarrhéiques et anti-infectieux intestinaux). Elle ciblait également le paracétamol, l’ibuprofène, le piroxicam et le diclofénac.
À retenir
– La déprescription vise, après réévaluation du traitement, à un retrait de médicaments de l’ordonnance ou à une réduction de posologie.
– Cette pratique médicale active et innovante en France peut s’appuyer sur des outils, notamment pour rassurer les patients sur cette démarche.
– Les pharmaciens peuvent s’impliquer dans cette stratégie de « sobriété médicamenteuse » qu’encouragent l’Assurance maladie, la Haute Autorité de santé, ainsi que l’industrie pharmaceutique.