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Faut-il craindre la grippe aviaire ?

Publié le 25 mai 2024
Par La rédaction
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La circulation mondiale du virus hautement pathogène H5N1 du clade 2.3.4.4b dans les compartiments domestique et sauvage pose la question du risque pandémique. A ce stade, les analyses n’ont pas révélé de marqueurs d’adaptation clés pour l’infection humaine et la contagiosité. Mais la grande plasticité virale appelle à la vigilance, d’autant plus face à une population humaine immunologiquement naïve vis-à-vis des virus H5.

 

Le risque pandémique de l’influenza aviaire recommence à faire les gros titres dans les médias grand public. En cause : la découverte de vaches laitières infectées par le virus hautement pathogène (HP), avec la détection du virus dans le lait, dans plusieurs Etats américains ; et surtout une déclaration du directeur scientifique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) du 18 avril, Jeremy Farrar, qui a fait part de son inquiétude vis-à-vis du virus HP issu de la lignée A/goose/Guangdong/1/1996, plus particulièrement du clade 2.3.4.4b.

 

Détectée pour la première fois en Asie en 1996, cette lignée a progressivement évolué, donnant lieu à des épizooties locales, puis à des vagues panzootiques. En 2005-2006, le clade 2.2 (H5N1) a été à l’origine d’une première vague qui a touché d’abord l’Asie, ensuite l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Ouest. « Un événement exceptionnel […] sans précédent depuis que la maladie est décrite », avaient résumé les experts de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments*, dans un document de synthèse de 2008. Comme ils l’expliquaient, « tous les autres épisodes de “peste aviaire” identifiés au cours du siècle précédent n’avaient connu que des extensions régionales, nationales ou intracontinentales, quel que soit le sous-type HP en cause ».

Des alertes passées

 

Dès janvier 2005, avant l’arrivée du virus en Russie puis dans toute l’Europe, les experts de l’OMS estimaient que le virus H5N1 présentait « un risque de pandémie considérable », et maintenant qu’il est devenu endémique dans certaines zones d’Asie, la probabilité d’une pandémie a augmenté. A l’époque, ils déclaraient que la situation pouvait ressembler à celle qui avait précédé la pandémie de 1918, arguant « des similitudes entre le virus H5N1 et le virus de 1918 ». Ainsi, en 2004, 45 cas en Asie du Sud-Est, dont 32 mortels, avaient été repertoriés, soit un taux de létalité de 71 %. Celui-ci était toutefois probablement surestimé car les cas peu symptomatiques ne sont pas forcément détectés. En parallèle, le virus circulait dans les compartiments domestique et sauvage, en association avec des abattages massifs de volailles. L’année 2004 aura aussi été marquée par de premières descriptions d’incursions chez les mammifères non humains, avec deux épisodes d’infections sévères recensés chez des tigres et des léopards de parcs zoologiques. Mais finalement, la pandémie redoutée n’était pas apparue.

Des vaches touchées aux Etats-Unis

 

Une autre alerte avait émergé en 2009 avec le virus H1N1. Ce virus complexe, car multiréassortant avec des origines aviaires, humaines et porcines avait causé en France la désormais célèbre controverse liée à la commande de vaccins… suivie de son annulation. En juin 2009, l’OMS avait finalement qualifié la pandémie de « modérément grave » : le virus ne présentait pas les gènes ayant rendu la souche de la grippe espagnole si virulente. Le virus, toujours en circulation, aurait causé, selon une estimation, entre 151 700 et 575 400 morts.

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Un an plus tôt, en 2008, apparaissait en Chine le fameux clade 2.3.4.4b qui a entraîné, presque dix ans plus tard, une première vague panzootique, en 2016-2017, en Asie, au Moyen-Orient, en Europe, en Afrique, puis une deuxième en 2020 toujours en cours.  

 

Aujourd’hui, c’est l’association entre la circulation intense et mondiale de ce clade dans les compartiments sauvage et domestique, ainsi que la hausse des franchissements de la barrière d’espèces qui préoccupent les experts. Seule l’Océanie reste épargnée. Les débordements vers les mammifères, aussi bien terrestres qu’aquatiques, sont plus fréquents, caractérisés par des épisodes de mortalité massive. Et par de nouvelles espèces atteintes, chez les oiseaux comme chez les mammifères, dont dernièrement des bovins et des caprins aux Etats-Unis. La première détection avait été faite courant mars 2024 chez des chevreaux d’une ferme abritant une basse-cour de volailles déclarée positive au virus un mois plus tôt. Depuis, les détections se sont poursuivies chez des vaches laitières. Au 16 mai, 51 troupeaux laitiers étaient touchés dans neuf Etats américains.

 

L’atteinte clinique des vaches reste toutefois minime. Les sources de contamination et les modalités de diffusion entre et intra-troupeaux ne sont pas encore connues. A première vue, la voie respiratoire semble peu probable. Des traces de virus ont été trouvées dans du lait pasteurisé, mais il n’est, a priori, plus infectieux. Une personne travaillant dans l’un des élevages touchés a été testée positive, avec une rougeur et un écoulement séreux dans l’œil comme seule manifestation clinique.

Des virus évolutifs

 

Les premières analyses génomiques des souches des bovins ne montrent pas de marqueurs clés suggérant une meilleure adaptation à l’humain. Ce constat, rassurant, ne concerne pas que les Etats-Unis. Comme l’indiquent les experts de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) dans leur dernier rapport de situation de mars 2024, il n’y a eu aucune preuve depuis 2020 d’une infection productive chez l’humain en Europe. Les cas concernent, de plus, uniquement des personnes exposées au virus du fait de leur activité professionnelle. Aucune transmission interhumaine n’a par ailleurs été suspectée. Le risque d’infection de la population générale demeure limité. Il est à noter aussi que, dans le monde, depuis 2016, les infections humaines répertoriées restent sporadiques et faibles : 12 cas ou moins par an. 

 

Cela n’empêche pas d’être très vigilant. Les virus influenza sont, en effet, fortement évolutifs, la circulation continue virale avec les débordements chez les mammifères pouvant favoriser la sélection de variants potentiellement adaptés à l’humain. Ce risque de mutation est toutefois un processus « graduel et long », rappellent les experts de l’EFSA : « Bien que les virus de la lignée Guangdong circulent depuis 28 ans, les changements génétiques clés dans le gène HA connus pour induire une transformation complète de la spécificité des récepteurs aviaires vers les récepteurs humains n’ont pas été encore identifiés ». Une évolution plus rapide pourrait être obtenue par le phénomène de réassortiment viral. « Les précédentes pandémies de grippe étaient dues à un réassortiment entre des virus provenant de différentes espèces, humaines, aviaires et porcines, précisent ainsi les experts. Ces processus peuvent potentiellement conduire à des changements génétiques importants en peu de temps. Ils représentent le risque le plus élevé d’émergence de virus pandémiques ». Toutefois, à ce jour, « les réassortiments ne se sont produits qu’entre sous-types viraux d’origine aviaire ».

 

La grippe aviaire reste un risque théoriquement non programmé. Mais au vu de la situation épidémiologique actuelle, tout le monde s’y prépare. D’autant que si le virus s’adapte, « une transmission à grande échelle pourrait se produire, étant donné le statut immunitaire naïf des humains vis-à-vis des virus H5 », ainsi que le souligne le rapport de l’EFSA. Et c’est sans compter sans les autres clades circulant dans le monde comme le H5N1 du clade 2.3.2.1c qui est endémique dans certaines zones d’Asie et qui semble avoir plus de capacités zoonotiques. A l’OMS, Jeremy Farrar a également mis en garde : « Le développement d’un vaccin n’en est pas là où il devrait être », et « les bureaux régionaux, nationaux et les autorités sanitaires du monde entier ne sont pas non plus en mesure de diagnostiquer le H5N1 ».

  • * L’Afssa, devenue l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en 2010.