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Le temps de travail

Publié le 1 mars 2022
Par Anne-Charlotte Navarro
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Planning, travail le dimanche, jours de repos, heures de fermeture, calcul des heures supplémentaires… sont des préoccupations récurrentes au sein des équipes. Le point sur le droit applicable, car si nul n’est censé ignorer la loi, l’erreur est humaine.

« C’est quoi le planning ? Est-ce que je travaillerai le samedi, mais aussi parfois le dimanche ? Est-ce que j’aurai des jours de repos d’affilée ? » Ces sont souvent les premières que pose un candidat lors d’un entretien d’embauche en officine. Planning et temps de travail sont des préoccupations souvent centrales car elles permettent au salarié d’organiser au mieux ses vies privée et professionnelle. Conscients de cette importance, les rédacteurs successifs du Code du travail ont encadré les pratiques par des règles strictes, qu’employeurs et salariés doivent respecter. Même en ces temps difficiles de pandémie de Covid-19…

La durée du travail

En France, depuis la loi dite Aubry II du 19 janvier 2000, la durée légale du temps de travail est de 35 heures par semaine. Cela ne signifie toutefois pas que le salarié ne peut pas effectuer plus ou moins d’heures.

Ne pas confondre durée légale et durée maximale

La durée légale de 35 heures de travail par semaine peut être aménagée. Elle peut être soit réduite, dans ce cas, le salarié travaille à temps partiel, soit augmentée, ce qui conduit le salarié à réaliser des heures supplémentaires.

Pour autant, sauf cas très exceptionnels, le salarié de l’officine ne peut pas voir son temps de travail hebdomadaire grimper au-delà de :

→ 46 heures sur une semaine ;

→ 44 heures par semaine en moyenne sur une période de douze semaines consécutives.

Ces deux seuils doivent être respectés en même temps.

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Cas pratique

Sarah a travaillé 46 heures hebdomadaires durant six semaines d’affilée. Elle a donc fait 11 heures supplémentaires par semaine. Pendant les six semaines suivantes, elle a travaillé 40 heures, soit 5 heures supplémentaires par semaine. Est-ce légal et combien sera-t-elle rémunérée ?

Le calcul est le suivant (46 × 6) + (40 × 6)/12 = 43. Le planning de Sarah ne respecte donc pas le double seuil de 46 heures pour une semaine et 44 heures en moyenne sur douze semaines. Le paiement de ses heures supplémentaires sera majoré selon les dispositions de l’article 13 de la convention collective, à savoir à 25 % pour les huit premières heures et 50 % au-delà. Le titulaire peut choisir de les rémunérer en argent ou en repos. Dans ce cas, le repos sera également majoré. Le calcul est le suivant : Sarah a fait 11 heures supplémentaires les semaines les plus importantes. Les huit premières sont majorées à 25 %, donc elle obtient 8 × 1,25 = 10 heures de repos. Les trois heures suivantes sont majorées à 50 %, donc elle obtient 3 × 1,50 = 4h50 heures de repos. Elle bénéficie ainsi au titre du paiement de ses heures supplémentaire deux jours de repos, pour chaque semaine à onze heures supplémentaires.

Dans des cas exceptionnels, ce double seuil peut être dépassé, sous réserve d’un accord de l’inspection du travail. L’article D. 3121-4 du Code de travail liste trois hypothèses exceptionnelles, dont « des travaux devant être exécutés dans un délai déterminé en raison de leur nature, des charges imposées à l’entreprise ou des engagements contractés par celle-ci ». Sous réserve de l’interprétation de l’inspection du travail, l’engagement des pharmacies contre la Covid-19 pourrait être considéré comme des travaux devant être exécutés dans un délai défini en raison de leur nature. Dans ce cas, le salarié pourrait effectuer jusqu’à 60 heures maximum par semaine.

Durée du travail dans une journée et une semaine. À côté de cette durée maximale, le Code du travail impose que la durée d’une journée ne dépasse pas dix heures. Le salarié doit bénéficier d’une pause de 20 minutes consécutives dès que sa journée atteint six heures. Enfin, le salarié doit avoir un repos quotidien d’au moins onze heures consécutives. L’article 13 de la convention collective de la pharmacie d’officine ajoute qu’il est interdit de faire travailler un salarié plus de six jours par semaine.

Paiement des heures supplémentaires

L’article 13 de la convention collective prévoit que le paiement des heures supplémentaires est majoré de 25 à 50 %.

Le jour de repos hebdomadaire

L’article 13 de la convention collective précise que « le repos hebdomadaire est donné le dimanche. Sa durée est de un jour et demi consécutif au moins, soit 36 heures, dont une demi-journée accolée au dimanche. Cette demi-journée s’entend comme ayant une durée de 12 heures consécutives qui ne peuvent être fractionnées de part et d’autre de la journée du dimanche ».

Cas pratique

Élodie peut-elle travailler le lundi matin sachant qu’elle travaille le samedi toute la journée ?

Non. L’article 13 de la convention collective, dans sa dernière version, stipule que le salarié doit bénéficier d’un jour et demi de repos par semaine, dont une demijournée accolée au dimanche. Si Élodie travaille le samedi toute la journée, elle doit être de repos le lundi matin. Toutefois, cette règle ne s’applique pas quand le salarié bénéficie de deux jours consécutifs de repos. C’est le cas de Mickael, le collègue d’Élodie. Lui est de repos chaque semaine les mardi et mercredi. Bien qu’aucun de ses deux jours consécutifs ne soit accolé au dimanche, son planning est dans les clous.

Cas pratique

Basile doit porter une blouse, qu’il doit laisser le soir à l’officine. C’est écrit dans son contrat. Il arrive cinq minutes avant sa prise de poste pour poser ses affaires et mettre sa blouse. Ces cinq minutes sont-elles du temps de travail ?

La jurisprudence estime qu’une contrepartie au temps d’habillage et de déshabillage doit être versée au salarié à une double condition :

– le port de la tenue de travail est obligatoire en vertu de la loi, du règlement intérieur ou du contrat de travail ;

– l’habillage et le déshabillage doivent s’effectuer au sein de l’entreprise.

Les cinq minutes de Basile sont donc bien du temps de travail qui doit être pris en compte dans son planning.

Le temps partiel

18 heures hebdomadaires minimum

Le salarié qui effectue moins de 35 heures par semaine est à temps partiel. L’article 13 bis de la convention collective stipule que le titulaire de l’officine doit garantir au salarié au moins 16 heures de travail hebdomadaire, sauf exceptions.

Des exceptions aux 16 heures

Celles-ci sont prévues dans le Code du travail ou à l’article 13 bis de la convention. L’article L. 3123-7 du Code du travail dispose que cette durée minimale de seize heures ne s’applique pas notamment aux contrats à durée déterminée conclus pour remplacer un salarié absent, aux étudiants de moins de 26 ans poursuivant leurs études ou lorsque le salarié désire, pour des raisons personnelles, bénéficier d’une durée plus courte. Dans ce dernier cas, il doit en faire la demande par écrit. Cette requête est annexée au contrat de travail. Elle doit indiquer pourquoi le salarié désire faire moins de seize heures par semaine. Les motifs sont nombreux. Par exemple, il souhaite s’occuper de ses enfants ou d’un proche malade, il cumule cet emploi avec un autre dans une autre pharmacie (voir page suivante).

Le cumul d’employeurs

Un préparateur peut cumuler plusieurs postes salariés dans des pharmacies différentes ou dans un autre secteur. Il peut par exemple être chargé de recouvrement mutuelle et préparateur à l’officine ou vendeur en boulangerie et préparateur. Que ces deux postes aient un lien ou non, puisqu’il est salarié, il doit respecter la durée maximale hebdomadaire du travail. Il ne doit pas effectuer plus de dix heures par jour. En pratique, c’est souvent lui qui fait le lien entre les différentes officines. Cependant, au regard entre autres de l’inspection du travail, chaque titulaire doit s’assurer que le salarié respecte les durées maximales.

Le titulaire de chaque pharmacie peut alors demander au salarié de communiquer le temps de travail réalisé dans l’autre officine ou une attestation sur l’honneur pour s’assurer qu’il respecte bien la durée maximale du travail.

Si le salarié effectue plus d’heures que prévu, sa situation peut être périlleuse en cas de faute, comme une erreur de délivrance. L’assurance du titulaire pourrait ne pas prendre en charge les dommages car le salarié n’avait pas le droit d’être au comptoir. De même, l’inspection du travail pourrait considérer les heures accomplies au-delà de la durée légale comme du travail dissimulé. Ce dernier est puni d’une amende pouvant aller jusqu’à 45 000 € et trois ans d’emprisonnement.

La clé de cette situation est donc la transparence avec chacun des employeurs.

Cas pratique

Marion est passionnée de cuisine et préparatrice. Elle a obtenu son CAP de pâtisserie et, à côté de son poste à l’officine, elle a ouvert une auto-entreprise afin de vendre des gâteaux d’anniversaire. Est-elle soumise aux mêmes règles de cumul que si elle était salariée dans ses deux activités ?

Les durées maximales du temps de travail ne doivent être respectées que par les salariés. Or, Marion est auto-entrepreneuse pour sa seconde activité. Seule son activité de salariée sera prise en compte pour vérifier le respect des durées maximales de travail.

Cas pratique

Pauline est mère de cinq enfants. Préparatrice, elle aime son métier et a un nouveau patron depuis un mois. Afin de concilier sa vie de famille et son travail, elle a demandé à ne faire que dix heures par semaine. Mais voilà, depuis un mois, elle n’a signé aucun contrat. Est-ce normal ?

Si le Code du travail prévoit que le contrat de travail à durée indéterminée (CDI) à temps complet peut être verbal, ce n’est pas le cas du contrat à durée déterminée ou indéterminée à temps partiel. Il doit impérativement être passé par écrit et remis au salarié au plus tard deux jours ouvrables (hors dimanche et jour férié) après sa prise de poste. Pauline peut faire remarquer à son employeur qu’il est en dehors de la règle. Si elle l’estime nécessaire, elle peut saisir le conseil de prud’hommes, qui requalifiera son CDI à temps partiel en CDI à temps plein.

Les modifications de planning

À temps partiel

Le contrat est la référence pour le salarié à temps partiel

L’article 13 bis de la convention collective de la pharmacie d’officine stipule que le contrat du salarié à temps partiel doit préciser le volume horaire et son planning. L’employeur peut décider unilatéralement de modifier la répartition des horaires dans la semaine, à condition que le contrat de travail prévoie cette possibilité. La clause autorisant cette modification doit en indiquer les cas et les modalités. L’employeur doit informer le salarié sept jours ouvrés avant la mise en place du nouveau planning.

Si le titulaire respecte les règles, c’est-à-dire que le contrat de travail prévoit les cas de modification d’emploi du temps et que le salarié est informé sept jours ouvrés avant l’application du nouveau planning, le préparateur ne peut pas refuser la modification sans commettre une faute. En revanche, si les règles ne sont pas suivies, le préparateur ne commet aucune faute en déclinant le changement proposé.

Cas pratique

Ahmed est préparateur à temps partiel pour 25 heures hebdomadaires. La pharmacie a été vendue et ses nouveaux titulaires lui ont donné un emploi du temps où il n’a plus que 18 heures au comptoir. Ce changement est-il envisageable ?

Il ne faut pas confondre durée du temps de travail et planning. Les modifications proposées par les titulaires d’Ahmed portent à la fois sur sa durée de travail et son planning. La durée de travail ne peut être modifiée sans l’accord du salarié. Ahmed doit donc être consulté pour passer à 18 heures de travail. S’il refuse, il ne s’expose à aucune sanction. Quant à la modification du planning, Ahmed doit se reporter à son contrat pour savoir si elle est possible.

Vigilance accrue à temps complet

À temps plein, les modifications de planning sont plus délicates. Le contrat peut indiquer ou non les horaires. Il n’y a donc pas de règle générale. Le premier réflexe du préparateur est de consulter son contrat.

Les horaires sont indiqués dans le contrat. Le planning ne pourra être modifié que si une clause le prévoit. Si rien n’est prévu dans le contrat, le planning peut changer. Dans tous les cas, la modification ne doit pas « porter une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos » (Cour de cassation, chambre sociale, 3 novembre 2011, n° 10-14.702). Cette formule est soumise à l’appréciation des juges.

Chaque cas est différent. Il y a donc beaucoup de jurisprudence sur ce thème. Ainsi, il a pu être jugé que demander à une salariée de venir travailler le samedi alors qu’elle ne travaille pas ce jour-là n’est pas de nature à perturber sa vie familiale dans la mesure où elle bénéficiait de ses deux jours de repos hebdomadaire (Cass. soc., 6 mai 2009, n° 07-41766). En revanche, la Cour de cassation a jugé que le changement de la répartition des horaires imposant à une salariée de travailler deux dimanches sur trois, et non plus un dimanche sur deux, ne peut pas lui être imposée (cass. soc., 17 novembre 2004, n° 02-46100, BC V n° 292).

Une raison objective. Il est nécessaire de rappeler qu’à temps complet ou partiel, les changements de planning doivent toujours être justifiés par une raison objective : l’intérêt de l’entreprise. À plusieurs reprises, la jurisprudence a retenu que le changement arbitraire et régulier des plannings sans justification particulière pouvait être considéré comme des faits de harcèlement moral ou d’une discrimination.

Quand le planning varie entre les semaines A et B

Dans de nombreuses pharmacies, le planning varie entre les semaines A et B, mais « cette pratique est très délicate à gérer au niveau des règles de droit. Elle n’est donc pas à favoriser lors de la rédaction des plannings », précise Olivier Delétoille, expert-comptable au cabinet Adequa.

Rien n’est prévu. Le Code du travail autorise l’entreprise à moduler le temps de travail avec des semaines à plus de 35 heures et d’autres à moins de 35 heures quand un accord collectif le prévoit. Or, la convention collective est silencieuse sur ce point. Le Code autorise l’employeur à proposer au salarié un accord propre à sa pharmacie, mais il faut respecter une procédure stricte.

À titre dérogatoire, quand il n’y a ni accord collectif ni accord d’entreprise, le Code du travail prévoit que l’employeur peut décider seul de faire varier les plannings sur une période maximale de neuf semaines si la pharmacie emploie moins de cinquante salariés. « Cette possibilité ne doit être utilisée que lorsque l’activité de la pharmacie est très saisonnière et fait face à des pics d’activité. Pour donner un exemple, cette modulation est employée dans les grandes surfaces pour faire face aux pics saisonniers de certains rayons, comme Noël au rayon jouets, ou l’été au rayon jardinage. À de très rares exceptions, l’activité de l’officine est lissée sur l’année, ce qui empêche les pharmaciens de moduler le temps de travail », met en garde Olivier Delétoille.

Les risques de contentieux sont très importants. D’autant plus si la modulation concerne des salariés à temps partiel. Dans ce cas, la loi et la convention collective imposent d’indiquer clairement le volume d’heures que le salarié doit accomplir, ainsi que son planning, qui ne peut varier que dans des cas précis. « La modulation implique de sortir de ces règles car, par essence, le volume horaire varie. L’activité de la pharmacie étant lissée sur l’année, le risque de voir le contrat requalifié en contrat à temps plein n’est pas négligeable », précise Olivier Delétoille.

Si le contrat du salarié est requalifié, l’employeur devra verser, en plus des dommages et intérêts, un rappel de salaire égal au delta entre les heures effectuées et 35 heures. Cette somme peut vite s’envoler. « Faire de cette modulation un mode d’organisation de l’officine est très compliqué à justifier au regard des règles de droit. La modulation doit rester l’exception », conclut l’expert-comptable. Dans cette situation, il est donc nécessaire de faire preuve de négociation afin que chacun y trouve son compte.

Dois-je noter mes heures ?

Le Code du travail impose à l’employeur de décompter le temps de travail effectif des salariés afin, notamment, de vérifier que les durées maximales ne sont pas dépassées, et de comptabiliser les heures supplémentaires éventuellement accomplies par les salariés. L’employeur doit tenir à la disposition de l’inspecteur du travail les documents permettant de déterminer le temps de travail de chaque salarié.

Les outils pour recenser ces heures sont divers : badgeuse, déclaration sur l’honneur, affichage des plannings, carnet de notation des heures… Cependant, ce décompte ne doit pas être utilisé par l’employeur pour faire varier le montant de la rémunération prévue au contrat. À l’officine, le salarié est mensualisé. Ainsi, s’il n’accomplit pas réellement 35 heures dans la semaine en raison d’un jour férié ou d’un jour de congés payés, il ne doit pas récupérer d’heures. La jurisprudence considère que la mensualisation est une sorte de forfait.