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Salaires : 50 nuances de grille

Publié le 12 mars 2022
Par Yves Rivoal
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Dépistage, vaccination, entretiens pharmaceutiques : les nouvelles attributions des équipes officinales remettent en cause les fondements de la grille des salaires. Les syndicats de titulaires jugent ce système toujours valable et évolutif. Une refonte défendue par certains représentants des salariés consisterait à prendre en compte des critères de classification professionnelle. Explications.

Sans surprise, ils ne sont pas d’accord. Chambres patronales et syndicats de salariés affichent des points de vue divergents sur une éventuelle adaptation de la grille de rémunération aux changements que connaissent les métiers de pharmacien adjoint et de préparateur. « Les tâches et les missions ont effectivement évolué ces dernières années avec l’arrivée de nouvelles activités comme le dépistage, la vaccination ou les entretiens pharmaceutiques. Mais celles-ci ne sont pas venues s’ajouter aux 35 heures de travail. Et si c’était le cas, il existe un dispositif qui s’appelle les heures supplémentaires, rétorque Philippe Denry, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) en charge du dossier de la convention collective. Je rappelle en outre que cette montée en compétences était attendue par les titulaires, mais aussi par les adjoints et les préparateurs. Et qu’elle fait partie de l’évolution naturelle de notre profession et de notre obligation de formation en tant que professionnels de santé. Pour notre syndicat, il n’y a pas lieu de remettre en question la grille. Nous ne souhaitons pas saucissonner les tâches ou distribuer 2 ou 3 € pour chaque vaccin ou test réalisé. » Même opposition de principe à l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « Les nouvelles missions sont aussi venues remplacer des tâches que les équipes ne font pratiquement plus, comme le préparatoire, considère Daniel Burlet, responsable des affaires sociales au sein du syndicat. De plus, la grille n’a pas vocation à définir le poste de travail du pharmacien ou du préparateur. Il est déterminé par les compétences apportées par le diplôme et l’expérience. Dans cette optique, nous ne voyons pas pourquoi nous devrions engager une refonte. » Le représentant syndical ne se montre cependant pas opposé à des ajustements à la marge lorsque cela est nécessaire. Parmi les principaux syndicats de salariés, la Fédération Force ouvrière (FO) des métiers de la pharmacie se distingue en se prononçant pour le statu quo. « Le système Parodi, qui régit la classification des emplois, nous semble équilibré, confie Olivier Clarhaut, secrétaire fédéral chargé de la pharmacie d’officine. Le problème, c’est la valeur du point qui est insuffisante et qui rend la grille particulièrement indigne à l’heure où le niveau de compétences, de responsabilités et de savoir-être exigé de la part des employeurs est de plus en plus élevé. »

Touchez pas aux grilles

Les partisans de la grille actuelle mettent en avant ses vertus. « Elle permet de classer les salariés sur une échelle de coefficients en fonction de leur métier et de leur statut de cadre ou de non-cadre. Elle organise les évolutions de carrières selon l’avancée dans la pratique professionnelle », rappelle Daniel Burlet. « La grille constitue aussi le socle de référence qui détermine le salaire minimum, les employeurs ayant toute liberté pour rémunérer leurs équipes au-delà, pointe Philippe Denry. Elle garantit également une proportionnalité lorsque les partenaires sociaux décident d’augmenter le point, y compris pour ceux qui n’ont pas changé de coefficient. » Pour le représentant de la FSPF, il s’agit donc d’un système équitable, et qui a en plus évolué dans le temps. « Lors de la dernière refonte, en 2008, nous avons par exemple instauré le passage automatique au coefficient 500 pour les pharmaciens adjoints au bout de six ans d’ancienneté. Et nous avons introduit de nouveaux coefficients de 300 jusqu’à 330 pour augmenter les perspectives de carrière des préparateurs. » Olivier Clarhaut affiche également son satisfecit : « Ce système est d’autant plus équitable qu’il garantit aussi aux salariés des progressions automatiques sur des critères objectifs ne dépendant ni de la subjectivité ni de la bonne volonté de l’employeur. »

Des limites structurelles

De leur côté, les partisans d’une refonte de la grille ne sont pas à court d’arguments. « Elle n’est plus adaptée parce qu’elle n’est pas appliquée correctement par de nombreux titulaires, notamment en ce qui concerne l’évolution des coefficients des salariés », souligne Joël Grebil, secrétaire général de l’Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) Chimie Pharmacie. Pour Stevan Jovanovic, secrétaire fédéral en charge des branches santé libérale pour la Confédération française démocratique du travail (CFDT) Santé Sociaux, la grille affiche une autre limite structurelle : « Elle ne colle plus à la réalité des métiers tels qu’ils sont aujourd’hui. Le système Parodi est fondé sur des fiches de poste datant de 2008. Elles ne prennent pas en compte les évolutions de la profession telles que le dépistage, la vaccination, l’accompagnement thérapeutique. » Pour parvenir à une meilleure adéquation, la CFDT Santé Sociaux milite pour un changement de modèle. « Le passage à une grille fondée sur des critères de classification permettrait de valoriser la polycompétence, la polyvalence, l’autonomie ou la dimension relationnelle, suggère Stevan Jovanovic. J’observe d’ailleurs que les dernières grilles de classification mises en œuvre dans les autres branches sont toutes construites sur ce principe qui offre plus de flexibilité aux entreprises. Cela apporte aussi une reconnaissance plus juste des postes et des nouvelles missions. » Ce nouveau mode de classification permettrait effectivement de mieux décomposer l’activité et les niveaux de responsabilité des différents métiers, ajoute Joël Grebil. « La difficulté est de mettre en place des critères objectifs, quantifiables et opposables à une rémunération pour conserver cette égalité de traitement entre les pharmacies », reconnaît le syndicaliste de l’Unsa, qui regrette la frilosité des chambres patronales sur le sujet. « Nous leur avons demandé une expertise sur les classifications. Celle-ci a bien eu lieu, mais la négociation n’a pas abouti. » Il aimerait aussi pouvoir remettre à plat la grille des salaires. « Mais là encore, les négociations s’annoncent compliquées car cela impliquerait de devoir reprendre tous les coefficients par métier. Et sur ce point également, les chambres patronales nous opposent une fin de non-recevoir. Quant aux organisations syndicales de salariés, elles ne défendent pas toutes les mêmes approches. »

Compter les points

Faute de pouvoir envisager une réforme structurelle, les syndicats de salariés entendent activer des leviers alternatifs jugés plus réalisables. La CFDT Santé Sociaux réclame une augmentation générale de la valeur du point. « Plutôt que des dispositifs comme l’intéressement ou la participation qui nous semblent trop aléatoires et incertains, nous préférerions négocier des augmentations de salaire stables et pérennes. Nous avons coutume de dire que les préparateurs et les pharmaciens devraient être payés en net à la valeur du brut actuel, ce qui correspondrait à une augmentation d’environ 25 %, rappelle Olivier Clarhaut, à la Fédération Force ouvrière des métiers de la pharmacie. Et que l’on ne vienne pas nous dire que ce serait totalement déraisonnable : dans certaines régions confrontées à une pénurie de candidats ou dans certaines officines, les titulaires savent offrir des salaires très supérieurs aux minimums de la grille. » Pour proposer davantage de perspectives d’évolution aux salariés, la CFDT Santé Sociaux se prononce également pour l’ajout de nouveaux coefficients en fin de carrière. « Aujourd’hui, il n’y a que 440 € d’écart entre le salaire brut d’un préparateur en début et en fin de parcours et 700 € pour un adjoint. Cela nous semble notoirement insuffisant, et c’est en grande partie ce qui alimente le manque d’attractivité de notre branche, ainsi que la pénurie actuelle de candidats. » Pour redonner de l’attractivité, la CFDT Santé Sociaux aimerait activer un autre levier. « Lors de la dernière négociation, nous avons demandé aux chambres patronales d’intégrer des éléments complémentaires de rémunération afin de valoriser des activités comme les tests et la vaccination. Sans succès », regrette Stevan Jovanovic. Son syndicat souhaiterait également supprimer l’échelle de raccordement entre les coefficients 100 à 230 inclus. « En faisant cela, les 10 % de salariés rémunérés dans cet intervalle de coefficients bénéficieraient du taux plein d’augmentation du point comme les préparateurs et les pharmaciens, ce qui mettrait un terme à une inégalité de traitement. »

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La voie des préparateurs

Du côté des chambres patronales, on ne partage pas le diagnostic des représentants de salariés. « Pour ce qui est du manque d’attractivité, les facultés de pharmacies et les centres de formation d’apprentis (CFA) remplissent leurs classes. Nous sommes même l’une des rares branches dans laquelle il y a le plein emploi, estime Philippe Denry. Quant à l’insuffisance supposée des rémunérations, il faut rappeler que cette grille définit un salaire minimum et que rien n’empêche un titulaire et un candidat de négocier une rémunération au-delà au moment de l’embauche. » Le manque de candidats ne serait donc pas, pour elles, lié à un manque d’attractivité. « Si nous connaissons une pénurie depuis deux ou trois ans, c’est parce que les facultés de pharmacie et les CFA n’ont pas formé assez de pharmaciens et de préparateurs. Ajoutez à cela les départs en retraite et la crise sanitaire, et vous obtenez la situation de tension que l’on connaît aujourd’hui. » Finalement, la seule porte laissée entrouverte par les chambres patronales concerne la mise en place des licences pour les préparateurs. « A la différence du diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques (DEUST), qui n’a fait qu’intégrer des apports complémentaires au métier de préparateur, la licence ouvrira la voie à un nouveau champ des possibles. Les préparateurs seront probablement autorisés à réaliser des tâches inscrites dans le Code de la santé publique comme la vaccination ou le dépistage. On peut aussi penser qu’ils gagneront en matière d’autonomie et de responsabilité. Il faudra donc probablement revoir la grille, notamment pour déterminer comment ces jeunes diplômés à bac + 3 entreront dans la profession, et avec quelles perspectives de progression ou de passerelle », considère Philippe Denry. Le débat ne fait que commencer.

« Nous ne souhaitons pas saucissonner les tâches ou distribuer 2 ou 3 € pour chaque vaccin ou test réalisé »

Philippe Denry (FSPF)

« Les préparateurs et les pharmaciens devraient être payés en net à la valeur du brut actuel, ce qui correspondrait à une augmentation d’environ 25 % »

Olivier Clarhaut (Fédération Force ouvrière)

À RETENIR

L’évolution des tâches et des missions à l’officine suggère une remise en cause de la grille des salaires instaurée par la convention collective.

Pour les syndicats de titulaires, pas question de « saucissonner » les tâches assurées par les salariés des officines. Il reste possible à chacun de négocier sa rémunération.

Les représentants des salariés ne défendent pas tous la même approche. L’une d’elles serait de mettre en place une grille, fondée sur des critères de classification, qui décompose l’activité et prend en compte les niveaux de responsabilité.