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Quand l’ovalie rencontre le cancer

Publié le 1 avril 2022
Par Christine Julien
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Activité physique adaptée, le rugby sport santé fait jouer des patients âgés de 20 à 80 ans. Il améliore la tolérance des traitements, la qualité de vie et la survie. Les valeurs de ce jeu à cinq, sans plaquage ni jeu au pied résonnent avec la maladie.

Pourquoi avez-vous créé Rubies, un club de rugby santé ?

En 2015, j’ai été conviée avec une trentaine d’oncologues Marcoussis (91), qui accueille le centre de formation et d’entraînement de la Fédération française de rugby (FFR). Sa commission médicale souhaitait développer une activité rugby adaptée dans le cadre du Plan national sport santé bien-être. En parallèle, les ministères du Sport et de la Santé avaient demandé au Comité national olympique du sport français de rédiger un Médicosport santé (Vidal du sport). Il s’est tourné vers les fédérations sportives afin qu’elles travaillent avec les experts médicaux pour développer une activité adaptée à proposer aux patients atteints de pathologies chroniques.

Qu’est-ce qui vous a motivée ?

Nous avons discuté des règles et des valeurs du rugby avec la FFR. La passe en arrière permet à tous d’être en situation de jeu. Même si vous ne courez pas vite, vous êtes toujours en position de réceptionner le ballon. Les termes solidarité, avancer ensemble en ligne, s’engager avec un ballon parlent quand on a affaire à des gens touchés par la maladie et qui ont tendance à se renfermer sur eux-mêmes.

Vous avez joué au rugby ce jour-là ?

Oui. Avec des cadres techniques formés en activité physique adaptée (APA), on a joué au rugby à cinq, juste en marchant. Et cela restait très ludique. J’ai tout de suite pensé que les personnes qui ne faisaient plus d’activité physique depuis longtemps pourraient s’y remettre sans trop s’en rendre compte. Il ne restait plus qu’à trouver des patients. Et ça a marché !

Vous vous êtes dit « on y va » ?

On a fait tout un travail en amont avec les cadres techniques de la ligue Occitanie de rugby pour le mettre en place. La première année, j’étais présente tout le temps ! La première séance, il y avait cinq ou six patients. On a divisé le terrain en deux et mis en place deux entraînements en parallèle. Dans l’un, il n’y avait que des patients, dans l’autre, médecin, infirmière, secrétaire… et des familles. Je passais d’un groupe à l’autre.

Quel lien entre activité et cancer ?

La pratique d’une activité physique dès le diagnostic améliore la tolérance au traitement, la qualité de vie et le pronostic, en diminuant le taux de récidive et de mortalité. Après, il y a la vraie vie.

Comment abordez-vous la question ?

En consultation, je suis face à des femmes qui ne font pas ou plus de sport depuis des années parce qu’elles ont 60-70 ans, ou qui n’en ont jamais fait. Il faut leur expliquer leur maladie, leur diagnostic, leurs traitements et la remise à l’activité physique. Il faut d’abord en montrer les bénéfices. C’est le plus facile. Elles disent : « Eh bien, si ça peut participer à ma guérison, je dois en faire. » De là à passer à l’acte… Il faut les convaincre puis les envoyer dans un environnement bienveillant car si les personnes sont mises en échec, elles ne reviendront plus. Il faut que l’activité physique soit adaptée aux pratiquants et non l’inverse.

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Vous donnez des exemples chiffrés ?

J’explique que, pour le cancer du sein, faire une activité physique à hauteur de 9 MET par semaine diminue le risque de récidive de 25 %, et celui de mortalité de 50 %. J’explique que les MET sont un niveau d’intensité (voir encadré), que jardiner et s’occuper de la maison ne sont pas des activités physiques mais un mode de vie actif, et qu’elles ne dépensent pas l’intensité nécessaire pour avoir les bénéfices dont je parle. Donner cette information à l’annonce du diagnostic est primordial car c’est un moment où les gens peuvent trouver des ressources pour changer leur comportement de vie. La donner à la fin du traitement ne marche pas aussi bien.

Vous pouvez préciser les MET ?

Vous faites 9 MET avec une heure de marche à 5-6 km/h et une heure de rugby. Le rugby est une activité d’intensité élevée, mais à individualiser. Si Romain Ntamack, joueur toulousain, et moi traversons le terrain, je vais dépenser plus que lui ! Notre métabolisme de base diffère selon qu’on est sportif ou pas. Une femme qui ne pratique pas, en surpoids, développera plus de 6 MET en alternant marche accélérée et marche lente.

Comment convainquez-vous les participantes ?

Avant de parler rugby avec une femme de 80 ans, je parle d’activité physique, de jeu avec un ballon ovale. Certaines étaient rassurées parce que j’y étais, pensant que « si elle est sur place, ce n’est pas l’hôpital mais presque ». Je dis qu’on n’a pas de médicament pour la fatigue, et que le meilleur traitement est l’activité physique. Quand les gens viennent une ou deux fois, ils reviennent. Ils payent 5 euros l’année pour la licence, le maillot et un à cinq entraînements par semaine.

Quel bilan faites-vous avant ?

Il peut y avoir une épreuve d’effort, mais les femmes commencent doucement. Une fois l’activité rugby enclenchée, il y a une évaluation protocolisée tous les trois mois, avec mesures anthropométriques, tests physiques par les éducateurs sportifs et auto-questionnaire recueilli par le médecin référent de section pour évaluer symptômes, niveau d’activité, état psychologique… L’éducateur sportif est en lien permanent avec le médecin référent afin de savoir répondre. En cas de coup sur la prothèse mammaire, par exemple, on dit : « Ce n’est pas grave. Si ça fait mal demain ou après-demain, parlez-en à l’oncologue ».

Il n’y a pas de souci lié au cancer ?

Pour arriver sur le terrain, il faut une prescription et un certificat médicaux. C’est au médecin qui envoie le patient de savoir qu’il n’y a pas de contre-indication à pratiquer. Ce n’est pas le rôle de l’entraîneur qui, lui, doit adapter l’activité aux personnes présentes selon l’âge, le poids, la limitation fonctionnelle.

Et avec une chambre implantable ?

Prendre un coup dessus peut faire mal, c’est tout. Par contre, par exemple, on ne peut pas jouer avec une métastase osseuse pré-fracturaire ou des plaquettes à 10, où il faut éviter les traumatismes.

Entendre « Je suis fatiguée, je ne vais pas faire du sport en plus ! » est fréquent ?

Très ! Il n’y a pas de médicament contre la fatigue, elle dure parfois et n’est pas calmée par le repos : « Si vous ne faites rien, vous serez encore plus fatiguée. »

Quels sont les objectifs de Rubies ?

L’association a une convention avec la FFR. L’idée est de participer à l’information du patient, à la formation continue du médecin et de développer des structures accueillantes. Nous avons un label qualité. Nous travaillons avec les clubs durant un an ou plus pour être en condition de recevoir des patients. Chaque section Rubies a un médecin référent, qui n’est pas celui du club, et un éducateur sportif formé APA avec une licence ou un brevet fédéral santé FFR. Seize clubs ont une section Rubies, du très petit au plus gros, comme Clermont-Ferrand. L’idée est qu’il y ait toujours une personne motivée, sensibilisée et formée pour accueillir. Les Rubies se rencontrent une fois par an. En mai, ce sera à Argelès-Gazost (65).

Stéphanie Motton, chirurgienne oncologue au CHU de Toulouse (31), médecin du sport et présidente de Rubies, le premier club de rugby santé.

Les Rubies

→ Rubies, pour Rugby union bien-être santé, est une association sportive créée en 2017 et affiliée à la Fédération française de rugby (FFR).

→ Ce club de rugby santé compte 500 membres, hommes et femmes, répartis dans seize sections ou clubs de différents départements : 300 joueurs-patients adressés par des structures de soins (hôpital, clinique…), joueurs sédentaires, dirigeants, membres bienfaiteurs et d’honneur.

→ L’association a pour objet la pratique du rugby sport santé, ou rugby à cinq en prévention tertiaire, après un cancer et en prévention primaire pour les sédentaires. Il s’agit d’une activité physique adaptée collective. Il n’y a ni plaquage, ni jeu au pied. Pour empêcher le joueur de marquer, il suffit de le toucher de face, à deux mains, des épaules au bassin. Infos : les-rubies.org

Des notions

→ L’équivalent métabolique (Metabolic Equivalent of Task, ou MET) permet de calculer la dépense énergétique d’une activité physique, et son intensité. Le MET est le rapport de l’activité sur le métabolisme de base. 1 MET = 3,5 ml d’oxygène par kilo de poids corporel par minute. Il existe un référentiel du MET pour chaque sport et activité, de 0,9 à 18 MET.

→ L’activité physique (AP) correspond à toute activité musculaire aboutissant à une dépense d’énergie. L’AP est le seul traitement validé de la fatigue en oncologie(1).

→ Par quels mécanismes ? L’AP agit sur le trio graisses, muscles et cytokines, qui entretient une inflammation chronique chez le patient cancéreux. Il faut une intensité suffisante, de 45 à 60 minutes par séance au moins trois fois par semaine, et un programme sur six mois minimum.

→ L’activité physique adaptée (APA) à l’état clinique de patients est une AP qui prend en compte la sévérité de la maladie, les capacités fonctionnelles (locomotrices, sensorielles, cognitives) et le risque médical des patients.

(1) APS et cancer, Thierry Bouillet et Jean-Marc Descotes, Médicosport santé, 2020.