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Quel avenir pour le réseau officinal ?
Ce sont des présidents de syndicats de titulaires ou des patrons de groupements. Quatre personnalités ont accepté de confronter leur avis sur les enjeux que représente le maillage territorial pour le milieu officinal. S’il ne fait aucun doute que la situation est de plus en plus complexe, opérer des changements rapides est nécessaire. Et possible ?
Depuis quelques années, le réseau officinal tangue. Les officines sont sans cesse plus nombreuses à fermer tandis que les jeunes se montrent moins intéressés par le métier. Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), Alain Grollaud, président de Federgy, et Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), ouvrent la boîte de Pandore.
Rien que l’année dernière, 276 officines ont fermé leurs portes. Comment l’expliquez-vous ? Est-ce de nature à remettre en cause le maillage ?
Philippe Besset : La première raison tient, pour ces officines, à la baisse des volumes de médicaments dispensés, elle-même liée au manque de médecins. Les officinaux doivent aussi faire face à la baisse continue des prix des médicaments voulue par les pouvoirs publics depuis de nombreuses années qui rogne ainsi sur les marges. Les fermetures cumulées de petites officines remettent en cause le maillage dans la mesure où, dans les territoires concernés, les patients peuvent être conduits à se déplacer plus loin pour se rendre dans une pharmacie.
Pierre-Olivier Variot : Toutes ces fermetures sont en effet la conséquence logique des politiques publiques menées ces dernières années autour de la pharmacie. Les marges baissent tandis que les charges augmentent de manière extrêmement conséquente. Pour des officines de petite taille exploitées dans des zones dites de désert médical, les fermetures vont sans doute s’accentuer dans les années à venir.
Où sévit réellement la désertification officinale ?
Ph. B. : Les territoires ruraux et périurbains sont les plus concernés. La désertification officinale tend à se calquer sur la désertification médicale, faute d’ordonnances et de médicaments à dispenser, et de capacité à compenser par une activité de parapharmacie. Les territoires les plus impactés sont globalement ceux dont l’attractivité économique se dégrade. Nous observons un cercle vicieux : une région moins attractive économiquement, moins dotée sur le plan des services publics et des infrastructures, où l’offre d’emploi, de services ou de divertissements est moindre, n’attire pas les jeunes professionnels. Les médecins sont les premiers à s’installer ailleurs, rendant les territoires encore moins attractifs.
P.-O. V. : J’irais même plus loin. L’ensemble du territoire est désormais en danger et marqué par une offre de soins fragilisée. Jusqu’ici résistantes, les pharmacies risquent de tomber à la façon de dominos dans les années à venir. Peu de gens le savent, mais l’Île-de-France (hors Paris) est le premier désert médical français.
Laurent Filoche : Les secteurs en danger ne sont pas forcément ceux auxquels on penserait spontanément : des officines s’en sortent très bien en milieu rural tandis que les zones urbaines ne sont pas épargnées. Certes, beaucoup d’officines sont frappées par la désertification médicale, mais n’oublions pas non plus le phénomène de concurrence accrue. Dans les zones rurales, la difficulté vient cependant essentiellement du manque de personnel et d’attractivité pour les repreneurs éventuels. Ce sont les fameuses pharmacies à 1 € !
En quoi la financiarisation de l’officine peut-elle impacter le maillage territorial ?
Ph. B. : La financiarisation correspond, pour l’officine, à une ouverture de son capital à des opérateurs non-pharmaciens. Cette pratique est aujourd’hui interdite. Toutefois, des prêts obligataires accordés en contrepartie de pactes d’associés ou de contrats de prestation de services obèrent déjà l’indépendance du titulaire. Ouvrir le capital reviendrait à favoriser une concentration des officines commercialement les plus agressives, au détriment d’officines isolées.
P.-O. V. : Si des groupes financiers devaient entrer au capital des officines, ils ne garderaient que les plus rentables. Les petites officines rurales ne pourraient pas tenir face aux exigences de rentabilité demandées. Elles ne pourraient pas non plus faire face à des mastodontes situés à quelques kilomètres d’elles.
Alain Grollaud : Comme l’ont souligné mes confrères, la logique financière peut conduire à privilégier la rentabilité au détriment de la qualité des soins. Des dizaines, voire des centaines d’officines considérées comme insuffisamment performantes seraient contraintes à la fermeture.
Le manque d’attrait pour les études de pharmacie observé ces dernières années risque-t-il d’accroître mécaniquement le problème du « dé »maillage ?
Ph. B. : S’installer représente un investissement considérable. Or, la baisse de l’activité rend ce lourd investissement beaucoup moins rentable. On ne peut donc pas dissocier la question de l’attrait pour les études de pharmacie des problématiques économiques auxquelles nous faisons face. En outre, les conditions de travail se sont profondément dégradées au cours des dernières années. Cela tient, notamment, aux tensions et aux ruptures d’approvisionnement en médicaments difficiles à gérer au quotidien. Les jeunes sont conscients de l’ensemble de ces difficultés et préfèrent choisir d’autres études dont ils jugent les débouchés plus rentables et les contraintes de travail moindres.
A. G. : Les études de pharmacie pâtissent d’un manque de visibilité. Les doyens de pharmacie ont notamment suggéré la création d’un accès direct sur Parcoursup en filière pharmacie en lieu et place du système actuel. Nous saluons les efforts portés par l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf) et leur dernière enquête avec la Fédération des associations générales étudiantes (Fage) montrant un échec cuisant de la réforme de l’entrée dans les études de santé (REES) : les étudiants sont désorientés et davantage stressés qu’avant la réforme !
P.-O. V. : Ne noircissons pas tout. Le métier continue de séduire les jeunes. En revanche, la réforme s’est effectivement révélée catastrophique. Elle a introduit de la complexité. Nous devons retrouver une filière d’entrée uniquement officinale.
Comment par ailleurs donner envie aux jeunes pharmaciens de s’installer dans les territoires ruraux ?
Ph. B. : Nous faisons notre maximum pour susciter cette envie : nous leur parlons de la relation privilégiée avec les patients dont nous sommes le premier recours. Si c’était à refaire, je choisirais pharma sans aucun doute ! Nous sommes également engagés dans une réforme des études et du diplôme d’études spécialisées en pharmacie. Cette réforme devrait inclure la création d’indemnités spécifiques aux étudiants qui s’éloigneraient des centres urbains pour poursuivre leur apprentissage ou s’installer dans les territoires les plus fragiles, avec notamment une prime de transport, une aide au logement et une prime de tutorat pour les pharmaciens qui les accueilleraient. Cette réforme contribuera à irriguer les territoires ruraux en apprentis et jeunes professionnels. Le soutien des pouvoirs publics à ces territoires et aux pharmaciens qui y sont installés est donc essentiel.
P.-O. V. : L’intérêt passe nécessairement par le fait de rendre l’ensemble des officines du territoire rentable. Les négociations conventionnelles à l’avenant économique de la Convention nationale pharmaceutique doivent absolument nous permettre de revoir très largement à la hausse les tarifs de la dispensation et ceux des missions.
A. G. : Les jeunes doivent avoir non seulement l’assurance d’une rentabilité à moyen terme mais aussi les moyens suffisants d’investir. Sur ce dernier point, ils peuvent compter sur les groupements, dont certains ont mis en place des boosters d’apport par exemple. Parallèlement, la vie communale doit se révéler dynamique afin de susciter l’envie de s’y installer avec sa famille.
Pour pallier le manque d’officines, un décret sur les territoires dits fragiles est promis depuis de nombreux mois. Quand verra-t-il le jour et que contiendra-t-il ?
Ph. B. : Pour l’instant, l’Etat affiche un silence assourdissant : une première proposition du décret nous a été soumise il y a maintenant plus d’un an. Devant son insuffisance, le ministère devait revenir vers nous avec une nouvelle proposition, qui se fait encore attendre. Les pharmacies des territoires concernées, elles, ne peuvent pas attendre ! Dans son premier projet, le ministère proposait des aides aux officines des territoires fragiles, mais n’a nullement pris en compte les territoires que nous considérons comme en voie de fragilisation. Des aides que je qualifierais de « curatives » ne sont pas suffisantes : nous devons être dans la prospective et anticiper les difficultés. Une simple constatation des difficultés actuelles ne suffit pas.
A. G. : Je n’ai rien de plus à ajouter. Si ce n’est que nous attendons toujours ce décret et espérons qu’il sorte cette année. Le plus difficile reste à définir le zonage de ces territoires !
P.-O. V. : Le décret devrait en effet sortir dans les mois à venir. À ce jour, nous ne savons pas quelle définition va être donnée à la notion de territoire fragile. Mais ce que nous savons, c’est que nous devons être très vigilants car elle peut se révéler très dangereuse et déstabiliser encore davantage le réseau.
Une proposition de loi déposée par Maryse Carrère, sénatrice des Hautes-Pyrénées, visant à favoriser l’implantation des officines dans un territoire fragile, a été adoptée par le Sénat. Pourtant, elle est décriée par les pharmaciens. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Ph. B. : Cette proposition de loi répond à un objectif louable : assurer l’accès aux médicaments et aux produits de santé sur l’ensemble du territoire, y compris dans les communes rurales. Mais la méthode choisie est l’exemple même de la fausse bonne idée : elle ne conduira qu’à des difficultés supplémentaires pour les territoires qu’elle entend soutenir. En effet, la priorité doit être la préservation des pharmacies existantes. Or, en abaissant les seuils de population permettant l’installation d’une pharmacie comme le propose ce texte, on ne répond pas au problème. Au mieux, les communes concernées, qui n’ont pas attiré de professionnels jusqu’ici, n’en attireront pas davantage : l’abaissement du seuil dans un territoire ne le rendra pas plus attractif. Au pire, l’installation d’une nouvelle pharmacie va déstabiliser tout le réseau aux alentours, en détournant une part de la patientèle des officines existantes, multipliant leurs difficultés. Pour dire les choses trivialement, on va déshabiller Pierre pour habiller Paul, et prendre le risque de nouvelles fermetures.
P.-O. V. : En effet, le risque de déstabilisation du réseau existant est très important. Avec une telle proposition de loi, c’est le retour des dérogations avec des officines très petites et non viables qui ne pourront pas assurer les nouvelles missions.
Quelles sont les solutions à court, moyen et long termes à mettre en place pour remédier au problème du maillage territorial ?
P.-O. V. : Il s’agit d’une problématique très complexe car elle ne tient pas seulement à des enjeux économiques mais aussi à un problème d’attractivité des territoires ruraux. Il faudrait développer les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui fonctionnent vraiment.
A. G. : Une des solutions pourrait être la création d’antennes à partir des communes les plus proches des pharmacies risquant de fermer faute de repreneurs. C’est une idée que Federgy porte depuis plus de 10 ans. L’idée serait de ne pas limiter ces antennes à une seule, comme le prévoit la loi Valletoux. D’autre part, un travail est déjà en cours avec les syndicats, l’Assurance maladie et les agences régionales de santé pour identifier les territoires fragiles et ensuite proposer des aides appropriées.
Ph. B. : À court terme, une revalorisation de nos honoraires de dispensation est impérative. C’est tout l’enjeu des négociations économiques dans lesquelles nous sommes actuellement engagés avec l’Assurance maladie. Comme l’ensemble des secteurs économiques, la filière officinale a été touchée par l’inflation. Mais nous sommes un secteur régulé et n’avons donc pas la marge de manœuvre des autres entreprises pour compenser la hausse de nos charges. La Cnam a proposé des aides spécifiques pour les pharmacies en difficulté. Nous pouvons également travailler à une revalorisation de la rémunération des gardes et des astreintes : ces missions offrent un complément de revenu stable pour de nombreuses officines de proximité tout en permettant d’assurer une présence auprès des patients. Une autre piste de réflexion, que nous évoquons depuis de nombreuses années, serait la création d’honoraires spécifiques pour les officines en difficulté ou installées dans les territoires fragiles, qui bénéficieraient ainsi d’une « bonification » leur permettant de maintenir leur activité. À moyen terme, il faudra de toute façon des aides spécifiques pour les officines de proximité en danger. C’est l’enjeu du décret « territoires fragiles » qui, je le rappelle, ne devra pas uniquement guérir mais également prévenir, par une approche prospective. Enfin, à long terme, l’Etat doit repenser sa stratégie d’accessibilité des produits de santé : le « toujours moins cher » en matière de santé et de médicaments n’est pas viable. Les conséquences sont toujours, finalement, payées par les patients et les officines.
L. F. : Pour pallier ces déficiences, il faut redonner de l’attractivité économique aux pharmacies et améliorer leur rentabilité. L’honoraire est un piège dans lequel est tombée la profession. Si sa mise en place a été vertueuse au départ, on voit que sa revalorisation est très difficile et nous enferme dans une paupérisation qui s’accentue, alors que la marge commerciale connaît à nouveau une dynamique intéressante. Il faut donc rééquilibrer les mix honoraires/marges, notamment avec l’arrivée des biosimilaires qui devraient être la grande priorité de la profession. Par ailleurs, je suis évidemment contre le subventionnement des officines en territoire fragile. Toutes les pharmacies doivent pouvoir vivre décemment de leur travail et non pas être perfusée au bon vouloir des autorités de tutelle.
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