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Un décret vital pour les territoires fragiles

Publié le 1 juin 2024
Par Magali Clausener
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Face au détricotage du maillage territorial des officines, les syndicats souhaitent protéger les pharmacies les plus fragiles. Les pouvoirs publics aussi. Mais la profession attend encore le décret dit « territoires fragiles ». Dans le même temps, les sénateurs veulent modifier les règles d’installation dans les petites communes. Le point sur ces textes qui peuvent changer la donne.

 

Plus d’un an après les premières concertations avec les syndicats pharmaceutiques sur le projet de décret « territoires fragiles », le texte n’a toujours pas paru. Or, il doit permettre aux officines installées dans ces endroits particuliers de bénéficier d’un assouplissement des conditions de transfert ou de regroupement, ainsi que d’aides financières.

 

C’est l’ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018 relative à l’adaptation des conditions de création, transfert, regroupement et cession des officines de pharmacie qui prévoit des dispositions particulières pour certains territoires. Ainsi, les directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) ont la possibilité de fixer par arrêté « les territoires au sein desquels l’accès au médicament pour la population n’est pas assuré de manière satisfaisante ». Et c’est un décret qui « détermine les conditions dans lesquelles ces territoires sont définis en raison des caractéristiques démographiques, sanitaires et sociales de leur population, de l’offre pharmaceutique et de son évolution prévisible, ou, le cas échéant, des particularités géographiques de la zone ». Dans les territoires ainsi définis, la convention nationale pharmaceutique peut prévoir des mesures destinées à favoriser ou maintenir une offre pharmaceutique. En outre, le directeur général de l’ARS est également habilité à accorder des financements provenant du fonds d’intervention régional (FIR) de l’agence. Le décret est par conséquent vital pour la profession et le maillage officinal.

Un premier texte critiqué

 

En mars 2023, un premier projet de texte est présenté aux syndicats. Il définit les critères nationaux de cadrage qui permettront aux ARS de déterminer dans leur région la liste des territoires de vie-santé (TVS). Deux critères nationaux ont été retenus : une densité standardisée d’officines inférieure au seuil empirique au 2/3 de la densité médiane et une part supérieure à 20 % de la population située à plus de 15 minutes d’une officine. Les TVS répondant au moins à l’un des deux critères sont pris en compte et additionnés afin de déterminer la part de population résidant en « territoires fragiles ». En moyenne nationale, les territoires en fragilité officinale couvrent 6 % de la population française totale (hors Mayotte). Les ARS disposent de marges de manœuvre pour tenir compte des spécificités régionales. Elles pourront moduler les critères nationaux et ajouter leurs propres critères. De plus, le projet de décret prévoit deux adaptations des conditions générales d’autorisation d’ouverture des officines : dans des communes contiguës totalisant un nombre d’habitants supérieur à 2 500, une ouverture par voie de transfert ou de regroupement pourra être autorisée ; le critère de la présence de la population résidente pourra être allégé afin de faciliter l’ouverture d’une pharmacie auprès d’un centre commercial, d’une maison de santé ou d’un centre de santé.

 

Mais le texte suscite des critiques de la part des syndicats. Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), estime qu’il serait judicieux d’améliorer et d’affiner les critères retenus. Il souhaite aussi que l’activité de l’officine soit prise en compte. « Une pharmacie qui fait 3,5 millions d’euros de chiffre d’affaires avec six pharmaciens sur un territoire fragile n’est pas en situation de fragilité. Celle qui fait 1 million d’euros avec un seul titulaire âgé de 65 ans l’est, et c’est celle-ci que nous devons aider car si elle venait à fermer, ce serait une catastrophe pour le territoire », explique-t-il. Le syndicaliste pense également que l’offre de soins doit figurer parmi les critères car « l’absence de médecins est un signe de fragilité pour les officines ». Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), est tout aussi critique, et va même plus loin : « En permettant aux ARS de déterminer leurs propres critères, on risque de recréer les systèmes dérogatoires que nous avons pu connaître il y a quelques années, avec des élus qui intervenaient pour qu’une officine vienne s’installer dans leur circonscription, sans que cela ne réponde toujours à un véritable besoin en matière d’accès aux médicaments. Le fait d’autoriser des créations ou des transferts auprès de maisons de santé ou dans des centres commerciaux, ou de prendre en compte la consommation de soins sans tenir compte de la démographie officinale à proximité, nous inquiète aussi particulièrement car cela pourrait déstabiliser le maillage officinal dans des zones où les pharmacies constituent bien souvent la seule porte d’entrée du système de santé. »

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En clair, les pouvoirs publics doivent revoir leur copie.

Des antennes expérimentées

 

Pour autant, la révision du projet de décret prend du temps. Les syndicats attendent toujours une deuxième mouture, pourtant promise par le gouvernement en décembre 2023. La situation devrait peut-être se dénouer lors d’une réunion avec la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) prévue le 18 juin 2024. Il faut dire qu’une proposition de loi (PPL) sénatoriale a remis en cause l’ordonnance de 2018 et par conséquent le décret. En effet, Maryse Carrère et Guylène Pantel, du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), respectivement sénatrices des Hautes-Pyrénées et de Lozère, ont déposé le 22 février 2024 une PPL prévoyant que « l’ouverture d’une officine par voie de transfert ou de regroupement peut être autorisée dans une commune de moins de 2 500 habitants si elle se trouve dans une zone géographique constituée d’un ensemble de communes contiguës dépourvues d’officine dont le nombre d’habitants est conforme au seuil ». Bien que les deux syndicats, l’Ordre des pharmaciens et le gouvernement soient opposés à ce texte, il a été adopté le 11 avril. Il est en outre amendé. Il assouplit ainsi les règles relatives au remplacement des titulaires d’officine et à la caducité des licences. Un autre article ouvre la création d’antennes d’une officine existante, alors que cette mesure figure déjà dans la loi dite Valletoux, publiée fin décembre 2023, et qui devrait être expérimentée à partir de cet été. L’expérimentation doit durer deux ans et devrait concerner selon les syndicats quatre à cinq régions. Les syndicats ont d’ailleurs été auditionnés par la DGOS le 28 mars et un cahier des charges est en cours d’élaboration. Quant à la PPL, elle a été transmise à l’Assemblée nationale, mais Philippe Besset estime qu’elle n’aura pas de suite car elle a été votée au Sénat lors d’une niche parlementaire et qu’il n’y a pas de députés RDSE.

 

500 officines en danger en France ?

Le 3 avril 2023, l’union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens d’Auvergne-Rhône-Alpes a présenté son étude sur les officines essentielles. L’objectif était de les identifier à partir de plusieurs critères : des pharmacies uniques dans une commune avec une faible présence médicale, situées à plus de 10 minutes d’une autre officine, avec un chiffre d’affaires inférieur à 1,3 million d’euros, gérées par un seul titulaire. Cette première étape a permis de repérer 81 pharmacies essentielles. Une deuxième phase a consisté à envoyer un questionnaire aux titulaires puis à les appeler pour recueillir d’autres informations comme leur âge, leur envie de céder sa pharmacie, le nombre de collaborateurs, etc. Au total, 51 pharmacies ont été identifiées comme étant « fragiles », en particulier dans 4 départements sur les 12 que compte la région, à savoir la Savoie, le Cantal, la Haute-Loire et le Puy-de-Dôme. « Si on extrapole à la France entière, sachant que l’Auvergne-Rhône-Alpes est représentative des autres régions, cela ferait environ 500 pharmacies potentiellement en danger », souligne Olivier Rozaire, président de l’URPS.