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Quand l’union fait la force

Publié le 1 juin 2024
Par Julien Descalles
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Le dicton n’a pas complètement tort : à deux on est plus fort. Dans les territoires fragiles, des pharmacies fusionnent ou trouvent des solutions inédites pour maintenir l’offre officinale. Voyage au pays de ceux prêts à rendre l’officine solide comme un roc.

 

Et si, pour faire face aux multiples défis actuels, les pharmaciens faisaient front commun ? Pour parer au bouleversement du paysage médical, certaines officines de petites et moyennes communes n’hésitent pas à fusionner. Dans les Pays de la Loire, deux d’entre elles, confrontées aux départs des généralistes et donc à une chute des ordonnances, n’attendent plus que l’aval de l’agence régionale de santé (ARS) pour s’associer. Ambition première du projet : se rapprocher géographiquement des nouveaux praticiens. En outre, ce travail en duo contribue à faire « des économies d’échelle sur nos charges, à l’heure où il nous faut absorber un triplement des coûts de l’énergie et une hausse de 15 à 20 % des salaires de nos collaborateurs », explique l’un des titulaires.
Cette fusion permettra enfin de financer des travaux pour agrandir l’officine conservée. « Nous pouvons mutualiser nos achats et répondre aux exigences des laboratoires qui favorisent de plus en plus les gros points de vente. Les marchés annuels sont passés sur des quantités importantes, discriminant les petites et moyennes pharmacies incapables d’atteindre les paliers », poursuit-il. Ces mètres carrés supplémentaires ne seront pas seulement consacrés au stockage. Ils accueilleront des espaces pour vacciner, réaliser des entretiens, mettre en place un espace de téléconsultation. « Seul, il m’aurait été impossible d’épouser les nouvelles missions confiées aux pharmaciens », témoigne le titulaire, aspirant comme tant d’autres à être moins dépendant de la seule vente de médicaments et produits divers.

En équipe, on gagne du temps

 

À l’heure où les zones de désertification médicale se multiplient, ces rapprochements apparaissent comme une piste prometteuse. « Quand un médecin s’en va, non seulement la rentabilité du pharmacien est affectée, mais il lui faudrait en plus, pour compenser les pertes, se transformer en petit hub de santé, capable d’organiser de la téléconsultation, de vacciner, d’aiguiller, etc. Ce n’est possible qu’en se dégageant du temps, et s’associer est une manière de le faire », explicite Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
Ultime atout de l’alliance : répondre aux exigences de salariés de moins en moins prêts à sacrifier leur vie personnelle. « Il est difficile aujourd’hui de trouver du personnel pour travailler six jours sur sept, samedi compris. Avoir une structure plus grosse va permettre d’organiser bien plus facilement les plannings, de répartir les tâches et les congés et même de passer à la semaine de quatre jours, une demande récurrente aujourd’hui », juge encore le futur associé.
Pour donner toutes ses chances de réussite à ce mariage de raison, son confrère et lui ont d’ores et déjà rédigé un pacte d’associés. Emploi du temps, rémunération, responsabilités de chacun ou encore répartition de la participation, rien n’y manque, pas même les modalités d’un éventuel départ de l’une des parties. Confiance rime aussi avec prévoyance.

La solution du rachat-fermeture collectif

 

« Quand deux pharmacies sont menacées ou ne sont plus viables, le regroupement apparaît assez salutaire. Et permet finalement d’optimiser le maillage territorial », juge Pierre-Olivier Variot. La fusion entre deux ou trois pharmacies n’est toutefois qu’une des manières de s’entraider entre collègues. À Châteauroux (Indre), confrontés à la baisse de la population, et donc de la clientèle, les professionnels ont eu recours en 2018 à une solution inédite, le « rachat-fermeture collectif ». L’un des leurs souhaitant vendre, tous les pharmaciens de la ville ont mis au pot afin de prévenir l’installation d’un éventuel concurrent dans un territoire confronté à une offre trop abondante. D’une certaine façon, une autre manière de faire cause commune est de rallier un réseau ou un groupement. Avec pour premier avantage, comme le rappelle Grégoire Vergniaud, porte-parole du réseau Totum Pharmaciens (250 pharmacies), que « plus un groupement est puissant, plus les conditions commerciales négociées sont avantageuses ». Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), relève que « le réseau favorise les achats groupés mais permet aussi de mener des actions communes de communication, de merchandising ou de formation, bref de soulager les pharmaciens des tâches les plus chronophages, parfois les moins séduisantes du métier ». Président de Totum Pharmaciens, Mehdi Djilani abonde : « Des commandes centralisées permettent de ne pas gaspiller son temps à négocier entre une multitude de partenaires – les répartiteurs, les laboratoires, les génériqueurs, etc. – et d’être davantage présent au comptoir, avec le client. » Une optimisation du planning cruciale, qui passe par la mise à disposition de nombreux autres outils informatiques : solutions de back-office, logiciels de gestion des ruptures d’approvisionnement, d’analyse des chiffres de vente, gestion centralisée du paiement des prestations des partenaires et même Intranet ou encore l’édition de fiches de conseils individualisés en oncologie. « Autant de services informatiques qui sont construits en binôme, avec un pharmacien en service et un directeur des services informatiques afin de coller au mieux aux besoins du terrain », précise le président de Totum Pharmaciens.

Le pharmacien, régulateur de demain

 


Le temps gagné apparaît là encore particulièrement précieux dans les déserts médicaux : « Le pharmacien peut ainsi se consacrer pleinement à son rôle de sentinelle et d’antidote dans la lutte contre les inégalités d’accès aux soins, par exemple en effectuant les premiers examens d’un patient dans un secteur où l’on manque de laboratoires d’analyses médicales », prolonge Lucien Bennatan, président du réseau Act Pharmacie, qui compte 67 membres, un an après sa création. Pour encourager la prescription pharmaceutique, celui-ci a accompagné le développement d’un logiciel de prédiagnostic, conçu avec des urgentistes français et ayant recours à une intelligence artificielle capable, après six à sept minutes de questions-réponses, d’orienter les patients vers les soins les plus adaptés : un médicament, un spécialiste ou l’hôpital. Un investissement lourd, impossible sans la force du réseau. « Surtout, l’outil va permettre aux pharmaciens de jouer pleinement leur rôle de régulateur, à l’instar du 15 aujourd’hui, et de désengorger les urgences », argue le cofondateur de ce jeune réseau militant. Après avoir été testé chez deux membres, le service doit être étendu dans le courant de l’année à l’ensemble des adhérents. « C’est toute notre force de pouvoir expérimenter un remède sur un territoire “laboratoire” avant de le généraliser ou non. » Parmi les autres solutions livrées clés en main par le groupement, un programme d’accompagnement post-cancer : Act Pharmacie propose l’organisation de groupes de soutien au sein des officines, avec l’intervention de nutritionnistes et de diététiciens distillant leurs conseils afin de réduire les séquelles. « Une manière de faire du pharmacien un spécialiste de la prévention et de valoriser l’ensemble de son établissement », estime Lucien Bennatan.

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Quand la pharmacie répond aux urgences dentaires

 

Par ailleurs, au sein même d’un réseau, de petites grappes de pharmacies voisines peuvent se former afin de répondre au mieux à une problématique locale ou régionale. Ainsi, confrontés à une hémorragie grandissante de chirurgiens-dentistes sur l’île d’Oléron (Charente-Maritime), six pharmacies du groupement Totum Pharmaciens ont mis en place un protocole local de coopération pour faire face aux urgences dentaires. Il a démarré mi-juillet 2023 au sein de la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) Oléron Nord. En cas d’algie ou d’abcès, les pharmaciens spécifiquement formés ont la capacité de prescrire des antalgiques de niveau 2 et des antibiotiques. Une coopération bienvenue sur un territoire qui, à chaque saison estivale, voit sa population multiplier par dix ! « Une forme dedécentralisationextrêmement efficace car elle permet de conserver le conseil personnalisé inégalable des petites et moyennes officines tout en sécurisant une zone de chalandise, en mutualisant les forces et en échappant à une concurrence destructrice », note Grégoire Vergniaud. Et si le salut passait par la solidarité interprofessionnelle ? C’est le pari tenté par Mehdi Djilani, qui s’apprête à transférer cet été son officine au sein de la MSP. « Pour assurer la pérennité de l’accès aux soins et attirer de nouveaux médecins, l’union entre les métiers de la santé fait la force, j’en suis convaincu », prêche le titulaire.