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L’oncologie ouvre les portes au cannabis médical
L’expérimentation du cannabis médical devient possible chez certains patients sous chimiothérapie. Les interactions médicamenteuses avec le cannabidiol requièrent des précautions pour prescrire ce produit à l’efficacité modeste. Le point sur cette expérience qui pourrait être généralisée en 2023.
« Depuis que nous avons commencé l’expérimentation, nous n’avons pas constaté un effet antalgique majeur mais il semblerait que les patients vivent mieux avec leur douleur », remarque Antoine Boden, médecin algologue
1. Au début de l’expérimentation
Non-inclusion des patients sous chimio en mars 2021
Douleur, fatigue, nausées et vomissements, troubles du sommeil, inquiétude, perte d’appétit et tristesse sont les symptômes visés par les médicaments à base de cannabis en cancérologie dans l’expérimentation initiée en mars 2021. Pour bénéficier des huiles orales ou des fleurs à vaporiser
Quelles interactions entre le cannabis et les traitements oncologiques ?
De septembre à décembre 2018, le groupe de travail de l’ANSM a analysé la bibliographie scientifique et auditionné experts médicaux et associations de patients afin de se prononcer sur la pertinence de l’usage du cannabis thérapeutique. « Des éléments dans la littérature scientifique tendaient à montrer des interactions possibles, notamment entre le cannabis médical, dont le cannabidiol (CBD) plus particulièrement, sur le métabolisme de certains médicaments d’oncologie », pointe le Pr Nicolas Authier. « Par précaution, l’ANSM contre-indiquait l’expérimentation aux patients traités, notamment par tamoxifène, à cause du cas rapporté d’une femme qui avait eu une diminution de concentration plasmatique en tamoxifène après avoir été traitée par du cannabidiol », relate le Dr Maryse Lapeyre-Mestre.
Des inclusions a minima, au cas par cas
Malgré les restrictions initiales, le cannabis est prescrit en oncologie. Pour le Dr Boden, médecin algologue, le département des soins de support de l’IUCT-Oncopole doit être « un centre expérimentateur du cannabis médical, qui n’est pas un bouleversement mais un traitement supplémentaire dans l’arsenal thérapeutique, malgré une littérature contrastée ». Douleurs neuropathiques chimio-induites, post-chirurgicales ou post-radiques et douleurs nociceptives mécaniques fonctionnelles persistantes, « tous stades confondus, un patient sur deux présente des douleurs en oncologie ».
L’algologue s’inscrit à la formation en ligne obligatoire pour prescrire et découvre les critères d’inclusion des patients. « Je constate que le cannabis médical ne peut être prescrit pendant la période de chimiothérapie, sans plus de précisions. Il est fait mention d’interactions médicamenteuses qui ne sont pas listées ». Le praticien se demande alors dans quelles conditions le prescrire et s’il est possible d’identifier ces interactions. « Je me suis tourné vers mes deux collègues pharmaciennes impliquées dans l’expérimentation. Il nous est apparu raisonnable de le prescrire et de le délivrer à des patients recevant un traitement oncologique non métabolisé par les cytochromes, les risques d’interactions étant liés à cette voie de métabolisation (voir encadré p. 23). Nous avons évalué ce risque d’interaction avant chaque inclusion et j’ai adapté mes prescriptions ». Le médecin exclut néanmoins certains patients, « même si le cannabis médical pouvait être intéressant pour les douleurs hormono-induites et certaines chimios ou thérapies ciblées ». Ainsi que le tamoxifène, compte tenu du risque d’interaction avec le cannabis dans le sens d’une diminution d’efficacité de « cette hormonothérapie adjuvante capitale ».
Prudence également avec les patients en essai clinique. « Il serait dommageable de mettre un patient sous cannabis au risque de le faire sortir de l’essai en raison d’une interaction. D’autant que je considère le cannabis médical plutôt comme un traitement antalgique complémentaire dans la majorité des cas ».
Le Dr Boden, membre de la Commission « Douleur cancer » de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) et du groupe douleur d’Unicancer, observe que ses collègues « spécialistes de la douleur ont exprimé leurs difficultés à inclure des patients du fait des restrictions de prescription ».
2. Le rapport du GPCO sur les interactions
En octobre 2021, l’ANSM saisit des experts pour en savoir plus sur les interactions
« Il y avait une demande importante de certains cancérologues qui voulaient en savoir plus sur les interactions. C’est pour cela que l’ANSM a sollicité le Groupe de pharmacologie clinique oncologique (GPCO) », rapporte Nathalie Richard. « Ce réseau de pharmacologues hospitaliers et de centres de lutte contre le cancer mène des travaux collaboratifs et rédige des recommandations sur les dosages et la pharmacogénétique des médicaments anticancéreux », explique Fabienne Thomas, pharmacienne biologiste à l’IUCT-Oncopole de Toulouse (31), alors présidente du GPCO. « C’est à ce titre que l’ANSM nous a demandé un avis sur le risque d’interactions médicamenteuses entre le cannabis médical et les anticancéreux ». Maryse Lapeyre-Mestre est sollicitée « pour son expertise sur la pharmacovigilance et les produits addictifs ». Un petit groupe de travail de pharmacologues est constitué. « Sachant que l’ANSM avait déjà fait un gros travail de bibliographie sur les interactions médicamenteuses, remarque Fabienne Thomas, nous avons donné notre accord à condition de limiter le nombre de médicaments au vu du court délai imparti pour rendre le rapport [décembre 2021, NDLR]. Nous nous sommes alors attelés aux hormonothérapies du cancer du sein et de la prostate, et aux immunothérapies ».
Principal impliqué, le CBD
Le GPCO doit déterminer l’existence d’un risque d’interaction mais surtout savoir « quelle est la potentielle variation de la concentration du médicament que pouvait entraîner la prise concomitante de cannabis médical », explique Fabienne Thomas. Parmi les cannabinoïdes du cannabis, c’est le CBD qui est le plus responsable d’interactions, pas le THC, « en agissant notamment sur les cytochromes P450, qui sont les enzymes du métabolisme (voir encadré p. 21). Il a été décrit in vitro un effet inhibiteur plus important sur certaines, notamment le CYP 3A4 ». Le GPCO a essayé de statuer pour chacune des molécules anticancéreuses. « Nous avons mené un travail bibliographique d’experts sur la littérature existante. Notre valeur ajoutée a peut-être été notre regard critique sur les données in vitro , parce qu’à la lecture des résultats des études, vous avez l’impression que tous les cytochromes sont inhibés et que vous aurez des interactions avec tout !, souligne la pharmacologue. Notre expertise nous a permis d’évaluer à quelles concentrations se produisent ces inhibitions, et si elles étaient pertinentes aux doses utilisées dans l’expérimentation ». Ces interactions éventuelles sont documentées notamment dans les RCP de l’Epidyolex, seul médicament à base de CBD avec une AMM, indiqué dans certaines épilepsies.
De l’in vitro à l’in vivo
Après avoir analysé les concentrations de CBD qui inhibent les cytochromes in vitro, les pharmacologues observent si ces concentrations sont retrouvées chez les patients. Le hic est que le CBD existe sous forme circulante et sous forme liée dans l’organisme, ce qui n’est pas pris en compte dans les études in vitro. « Il peut y avoir une différence importante entre la concentration inhibitrice in vitro , et celle retrouvée dans le plasma des patients, souvent plus faible ». Autres difficultés, les métabolites du THC et du CBD qui peuvent aussi avoir des activités inhibitrices, et la grande diversité – polymorphisme – génétique des cytochromes en population générale. Ainsi, le CYP 2D6 métabolise le tamoxifène en endoxifène, qui est la forme active. « Dans une population prise au hasard, les concentrations d’endoxifène peuvent varier d’un facteur 5 entre les patientes en fonction du polymorphisme du CYP 2D6 », relève Fabienne Thomas, sans que cela soit pris en compte pour adapter les doses, par manque de preuves sur l’existence d’un lien entre concentration circulante et efficacité. « À ce jour, les données in vitro et cliniques – basées sur un cas ! – ne sont pas en faveur d’une interaction forte. Il nous a donc semblé disproportionné de contre-indiquer formellement le cannabis médical, qui provoquera une modification de concentration probablement mineure au regard de la variabilité du CYP 2D6 et d’autres facteurs impliqués
Expertise rime avec surprise
Le GPCO a analysé les éventuelles conséquences cliniques. La prise concomitante de cannabis médical « n’aura probablement pas de conséquences majeures sur la réponse clinique des médicaments à très large marge thérapeutique, comme l’abiratérone », commente Fabienne Thomas. En revanche, le GPCO a émis une réserve pour les anti-aromatases dont la cible est le CYP 19.
« Des travaux ont montré que le CBD, et le THC dans une moindre mesure, pouvaient inhiber cette aromatase CYP 19. Si ça inhibe, cela agit dans le même sens que l’anti-aromatase, mais nous ignorons le résultat de la compétition entre le CBD et l’anti-aromatase par manque de données ». Autre surprise, l’immunothérapie. Ces anticorps monoclonaux ne posent pas trop de problèmes d’interaction car « ils sont dégradés par protéolyse, comme nos anticorps endogènes ». Les interactions pharmacocinétiques avec le cannabis étaient peu probables. Pourtant, « deux études ont montré que les patients sous cannabis médical et immunothérapie avaient une survie moins bonne que ceux sous immunothérapie seule, suggérant un effet délétère du cannabis sur l’effet thérapeutique du médicament associé. Ces résultats sont à confirmer sur des cohortes plus importantes car il est possible que les patients sous cannabis aient eu des pathologies plus avancées, invasives, ce qui expliquerait cette différence d’efficacité. Néanmoins, ces études existent, donc il faut en tenir compte et informer les médecins de ce risque ».
3. Où en est-on aujourd’hui ?
Un rapport utile malgré les limites
Le travaux du Groupe de pharmacologie clinique oncologique (GPCO) ont permis de montrer qu’aux concentrations observées dans l’expérimentation, soit 120 mg pour le CBD et 40 mg pour le THC, « le risque d’interactions est très faible. Ce sont des concentrations inférieures à celles décrites comme pouvant provoquer une interaction, souligne Fabienne Thomas. C’est aux oncologues de prendre la décision de prescrire du cannabis médical au regard de la situation de leurs patients, notamment en soins palliatifs ».
Le Dr Antoine Boden le reconnaît, « il y a des situations très avancées, chez des patients multitraités, où la balance bénéfices/risques est en faveur du cannabis thérapeutique malgré la possibilité d’une interaction médicamenteuse ». En revanche, le médecin de l’IUCT-Oncopole ne prendra pas le risque de prescrire du cannabis médical avec l’immunothérapie, ni avec le tamoxifène car il a d’autres molécules à sa disposition.
« Ce rapport aide à ouvrir l’indication du cannabis médical à des patients en cours de traitement oncologique, avance Fabienne Thomas. Pour l’hormonothérapie du cancer de la prostate, c’est plutôt positif. Chez la femme, c’est un peu plus compliqué, mais la perspective est d’utiliser seulement le THC. C’est mieux que rien ».
Pour Maryse Lapeyre-Mestre, « ce rapport permet déjà de cadrer le contexte. Pour être cohérent, il faut, avant de débuter tout traitement par le cannabis, demander un dosage de sécurité, pour le tamoxifène par exemple, afin d’avoir une référence en cas d’inefficacité ultérieure ». Notamment pour des doses de CBD supérieures à celles préconisées.
Quant à savoir comment tirer parti de ces résultats au comptoir, Fabienne Thomas précise que « ce rapport est peut-être trop technique pour être directement utilisé par les pharmaciens d’officine. C’est le travail de l’ANSM de le retranscrire en message clair ». Il y aura un « webinaire spécifique pour les pharmaciens dispensateurs », annonce Nathalie Richard. Et qui sait, davantage de patients sous chimio inclus d’ici à la fin de 2022. L’expérimentation s’achèvera en 2023. Elle sera sans doute généralisée.
(1) Médecin spécialiste de la douleur.
(2) En juillet 2021.
(3) L’interaction pourrait être plus importante pour des doses plus élevées de CBD.
Indications du cannabis médical
(1) Dans le cadre de l’expérimentation menée en France, les médicaments à base de cannabis sont prescrits en cas de soulagement insuffisant ou d’une mauvaise tolérance des thérapeutiques dans :
→ les douleurs neuropathiques réfractaires ;
→ certaines formes d’épilepsie pharmaco-résistantes ;
→ certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou aux anticancéreux ;
→ les situations palliatives ;
→ la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques et des autres pathologies du système nerveux central.
(1) Journal officiel du 18 octobre 2020.
Étude en cours
Chiffres au 12 mai selon l’ANSM
1 101 patients sont encore suivis sur les 1 612 patients inclus depuis le début de l’expérimentation, dont 71 en oncologie et 77 en situation palliative. 200 personnes sont sous vaporisateur et fleurs séchées.
Nombre de structures de référence engagées : 287.
60 % des patients ont désigné un pharmacien.
Pharmacies formées : 323 officines et 137 PUI, soit plus de 500 pharmaciens. Pour info, la conduite automobile est interdite sous cannabis médical.
Cannabis et cytochromes
Le delta-9 tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD) sont les principaux cannabinoïdes responsables des effets recherchés du cannabis médical, qui se présente sous la forme d’huiles à ingérer et de fleurs à vaporiser et sous différents ratios de concentration (THC dominant, CBD dominant, équilibré THC/CBD). Comme la France ne fabrique pas encore de médicaments à base de cannabis, l’ANSM a sélectionné des binômes fabricants étrangers-distributeurs français.
Les cytochromes P450 (CYP) sont des enzymes ou isoenzymes intervenant dans le métabolisme de substrats. Ils se répartissent en familles (CYP 1-2-3) et sous-familles (CYP 1A, 2C, 2D, 3A). Environ la moitié des médicaments métabolisés le sont via le CYP 3A4.Les interactions médicamenteuses au niveau des CYP 450 résultent de l’administration concomitante de deux substrats métabolisés par une même voie métabolique. Un inducteur peut augmenter l’activité d’un CYP, un inhibiteur, la diminuer.
L’expérimentation du cannabis médical n’est pas un essai clinique mais…
Les Académies de médecine et de pharmacie regrettent
(1) notamment que les produits de l’expérimentation cannabis médical aient été dispensés « d’un essai clinique randomisé, alors qu’on sait qu’il est le seul à même d’évaluer d’une façon satisfaisante la balance bénéfices/risques d’un candidat médicament, dans l’intérêt des patients ». Oui, mais cette expérimentation n’est pas un essai clinique, rappelle Nathalie Richard . « Le principe de l’expérimentation, prévu par la Constitution française, permet de tester en situation réelle une nouvelle politique de santé, sur une population ou une région limitée, explique la directrice du projet cannabis médical à l’ANSM. Nous partons du postulat tiré de notre évaluation de 2018 que le cannabis médical peut avoir un intérêt dans certaines situations cliniques et réfractaires, pour certains patients. »Maryse Lapeyre-Mestre, médecin pharmacologue et directrice du CEIP-A à Toulouse, reconnaît que l’ANSM pilote cette expérimentation avec attention en essayant de respecter des règles, « alors que partout ailleurs dans le monde, le cannabis médical est utilisé comme une espèce de potion magique ». Malgré tout, elle insiste sur le niveau de preuves : « Aucune étude n’a montré un bénéfice du cannabis médical en oncologie. En dehors du champ de l’épilepsie et du CBD pur, les essais cliniques et les méta-analyses n’apportent pas de preuve clinique d’un intérêt thérapeutique. Et la plupart des évaluations sont faites contre placebo ». Et d’ajouter : « On juge sur l’expérience. On revient au XIXe siècle. On évalue les bénéfices thérapeutiques sur “J’ai goûté, ça m’a fait du bien, donc…’’ » Pour elle, l’expérimentation du cannabis médical est « une demande sociétale ».
Le Pr Nicolas Authier, président du groupe de travail cannabis à l’ANSM, reconnaît aussi qu’il faut faire des essais cliniques, mais là, « nous sommes dans une approche d’accès quasiment précoce, voire compassionnel, dans une situation de dernière intention. En médecine, il faut aussi soulager la souffrance, et trouver des solutions si possible de façon sécurisée pour les patients. C’est ce qu’on est en train de faire. L’ANSM expérimente des conditions d’accès. Elle ne fait pas d’études scientifiques et n’a jamais eu la prétention de le faire ». Le Dr Boden, algologue, en est, lui, à vingt-cinq patients inclus, dont douze sont sortis de l’expérimentation, « soit parce qu’ils sont décédés, soit parce que le cannabis n’a pas fonctionné ou en raison d’effets indésirables ». Plutôt prescripteur de CBD, ou de THC chez les patients déjà utilisateurs, seuls ou associés aux autres antalgiques, le médecin conclut en relevant « de manière empirique depuis le début, un certain effet apaisant du cannabis médical et une amélioration de la qualité de vie du patient ».
(1) Communiqué du 14 mars 2022.
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