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La stratégie française pour être plus malin que le monkeypox
Des vaccins et des antiviraux. La France construit sa défense contre la variole du singe (monkeypox), dont le nombre de cas hors Afrique augmente, notamment en Europe, épicentre de l’épidémie. Avec des traitements peu évalués chez l’homme.
Les cas de variole du singe (monkeypox) continuent d’augmenter dans le monde : plus de 780 ont été détectés hors Afrique depuis mi-mai, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui juge le potentiel de diffusion du virus élevé en Europe pour cet été. Face à la menace, la France, qui comptabilise 51 cas au 3 juin, s’organise.
Elle a déjà posé sa stratégie vaccinale, qui consiste à vacciner les adultes cas contacts, y compris les professionnels de santé exposés, suivant les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS). Un vaccin antivariolique, efficace à 85 % contre le monkeypox, peut être utilisé : il s’agit d’Imvanex et de sa version commercialisée aux Etats-Unis sous le nom de marque Jynneos (Bavarian Nordic). Ce sont deux vaccins vivants non réplicatifs (c’est-à-dire qui ne peuvent pas se multiplier dans l’organisme humain) de 3e génération, issus de la souche virale hautement atténuée modified vaccinia Ankara-Bavarian Nordic (MVA-BN), mais qui, pour parvenir à la même immunité que celle obtenue avec les vaccins de 1re et 2e générations employés jusque dans les années 1980, nécessitent deux doses, au lieu d’une seule. Imvanex a reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne sous circonstances exceptionnelles le 31 juillet 2013 pour l’immunisation active contre la variole chez les adultes. « Dans le cadre européen, ce type d’autorisation sous circonstances exceptionnelles est prévu lorsqu’il n’est pas possible d’obtenir des informations complètes sur le plan clinique concernant un médicament, ce qui est le cas pour ce vaccin en raison de la rareté de la maladie, explique l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Des données complémentaires sur les bénéfices et les risques du vaccin seront analysées à partir d’études d’observation menées chez les personnes qui reçoivent le vaccin et dans le cas d’une épidémie de la maladie. » Le vaccin Jynneos a obtenu une AMM aux Etats-Unis depuis le 24 septembre 2019 dans la prévention à la fois de la variole et de la variole du singe. Dans un arrêté publié au Journal officiel du 27 mai, le ministère de la Santé et de la Prévention a autorisé à titre dérogatoire l’utilisation de ces deux vaccins dans le traitement prophylactique contre la variole du singe des personnes contacts à risque d’un sujet atteint de l’infection ou des professionnels de santé en milieu de soins exposés au virus monkeypox. « Cette mesure exonère les professionnels de santé des éventuels dommages qui pourraient résulter de l’administration du vaccin tout en permettant aux victimes de tels dommages d’être indemnisées de leurs préjudices », précise encore l’ANSM.
Un stock secret-défense
Brigitte Bourguignon, nouvelle ministre de la Santé et de la Prévention, prévenait dès le 25 mai : cette vaccination ne sera « pas obligatoire » mais seulement proposée. Elle a également assuré que les stocks nationaux de vaccins sont suffisants. « Il existe un stock national de vaccins contre la variole, composé de vaccins de 1re, 2e et 3e générations, confirme la Direction générale de la santé (DGS). Il a été constitué dans le cadre du plan gouvernemental de réponse à un risque de réémergence de la variole. » La DGS refuse cependant de communiquer les chiffres, « les vaccins contre la variole appartenant au stock stratégique, le nombre de doses disponibles est une donnée classifiée ». En effet, ces vaccins sont prévus pour réagir face une menace biologique ou en cas de bioterrorisme. « La France participe par ailleurs à des discussions européennes sur la constitution de stocks et achats communs », ajoute la DGS.
Quant au vaccin lui-même, il doit être administré dans les quatre jours suivant l’exposition à risque, 14 jours au plus tard, selon un schéma à deux doses espacées de 28 jours. Les personnes contacts identifiées par l’agence régionale de santé dans le cadre du contact tracing et qui souhaitent être vaccinées suivent un circuit spécifique (consultation ou téléconsultation avec un infectiologue ou un établissement de soins de référence, où sont positionnés les vaccins) alors que les personnes contacts non identifiées par contact tracing doivent consulter leur médecin qui les orientera vers un infectiologue ou un établissement de référence, et peuvent « solliciter une vaccination auprès de leur médecin traitant, d’un Cegidd
Des traitements non systématiques
Pour les traitements à administrer, c’est le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) qui, dans son avis du 24 mai, fait un état des lieux des médicaments et émet ses recommandations. L’instance encourage à favoriser les antiviraux.
Le tecovirimat est à utiliser en première intention. Il inhibe l’activité de la protéine VP37, présente à la surface des orthopoxvirus dont le virus monkeypox. Il dispose d’une AMM européenne accordée pour des circonstances exceptionnelles depuis janvier 2022 dans le traitement des infections virales contre la variole (smallpox), la variole du singe (monkeypox), la vaccine (cowpox) chez les adultes et les enfants pesant au moins 13 kg. Il est également indiqué dans le traitement des complications dues à la réplication du virus de la vaccine après la vaccination antivariolique (effets indésirables rares des vaccins de 1re et 2e générations contre la variole). Cette molécule n’est pas disponible à l’officine. Le traitement doit être administré le plus tôt possible après le diagnostic (il montre une efficacité puissante dans les six premiers jours) et pendant 14 jours. Le tecovirimat est disponible sous forme de gélules dosées à 200 mg à administrer par voie orale, deux fois par jour. La posologie est à adapter en fonction du poids. Le tecovirimat n’est pas recommandé pendant la grossesse en l’absence de données disponibles. Les effets indésirables les plus couramment observés sont les maux de tête et les nausées. Le tecovirimat est un inducteur enzymatique du CYP3A4 et du CYP2B6 et faible inhibiteur des cytochromes CYP2C8 et CYP2C19. Des interactions médicamenteuses avec certaines molécules (bupropion, répaglinide, voriconazole, rilpivirine, maraviroc, midazolam, atorvastatine, tacrolimus, méthadone, sildénafil, darunavir, oméprazole, lansoprazole, rabéprazole, etc.) sont donc possibles.
En deuxième intention, le HCSP préconise le brincidofovir « sous réserve de disponibilité ». C’est une prodrogue du cidofovir, lui-même recommandé en 3e intention, antiviral à large spectre, analogue nucléosidique qui inhibe la synthèse d’ADN viral. Actuellement, le brincidofovir dispose d’une AMM aux Etats-Unis (Tembexa) dans le traitement de la variole (smallpox) chez l’adulte et l’enfant, y compris le nouveau-né. Il est également présent en Europe comme médicament orphelin contre ce virus, mais aussi dans l’infection par l’adénovirus chez des patients immunodéprimés. Il semble moins puissant que le tecovirimat. Disponible par voie orale, le brincidofovir présente une meilleure tolérance rénale que le cidofovir, déjà mentionné en 2008 comme traitement curatif potentiel de la variole dans le cadre du plan Biotox, mais possédant une forte toxicité rénale et hématologique, ainsi qu’un potentiel effet carcinogène, tératogène et reprotoxique. Autre inconvénient : le cidofovir s’administre par voie injectable. Il est réservé à l’usage hospitalier.
Enfin, les immunoglobulines humaines anti-vaccine (VIG) « constituent une alternative pour des populations particulières lorsque le tecovirimat ne peut pas être utilisé : femmes enceintes, jeunes enfants avec poids de moins de 13 kg », recommande le HCSP. Ces immunoglobulines sont extraites de plasma humain de donneurs sélectionnés en bonne santé qui présentaient des taux élevés d’anticorps dirigés contre le virus de la vaccine. Elles disposent d’une AMM uniquement aux Etats-Unis.
Le HCSP invite cependant à « ne pas traiter systématiquement tous les cas confirmés avec un antiviral ou des immunoglobulines », les cas actuellement recensés étant majoritairement bénins. Les traitements sont plutôt proposés en fonction de la sévérité des symptômes (nombre important de lésions cutanées, complications systémiques, etc.) et aux patients fragiles, comme les immunodéprimés.
Ambiance réglementaire de bioterrorisme
A ce jour, il n’existe pas de données d’efficacité du tecovirimat chez l’homme dans les orthopoxviroses, « en dehors de quelques observations isolées de variole », explique le HCSP. En effet, la variole du singe et la variole bovine étant éradiquées ou survenant de manière sporadique dans l’Union européenne, il n’a pas été possible de réaliser des études en vue de mesurer l’action du tecovirimat chez des personnes infectées. L’évaluation se fonde donc essentiellement sur des études menées chez des animaux. Même schéma pour le brincidofovir et le cidofovir. Il n’existe aucune donnée en la matière chez l’homme, et l’AMM du brincidofovir aux Etats-Unis repose sur des données d’efficacité in vitro supérieures à celle du cidofovir sur les virus de la variole.
A l’ère post-Covid-19 et des débats sur l’importance des études cliniques et des donnés de sécurité, est-il prudent de recommander dès maintenant des traitements et un vaccin peu évalués chez l’homme dans la variole du singe ? « Je ne suis pas sûr qu’il y ait plus d’un millier d’humains qui ait reçu les molécules dans le cadre de recherches sur leur efficacité, explique Xavier Lescure, infectiologue au service de maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Bichat-Claude-Bernard (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), lors d’un point presse en ligne organisé par l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales-Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE). En même temps, il y a eu des AMM dans le contexte du bioterrorisme ». En effet, la variole peut constituer une menace bactériologique à laquelle répond le « besoin d’avoir une thérapeutique qu’on doit pouvoir déployer rapidement en cas d’alerte bioterroriste même si elle n’a pas franchi toutes les fourches caudines de la recherche clinique classique ». L’ANRS constitue actuellement une cohorte de patients infectés pour mieux documenter l’effet du tecovirimat.
* Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic.
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