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Quand le désert avance

Publié le 5 juillet 2024
Par Oriane Raffin
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Les chiffres de la démographie des pharmacies dévoilés par l’Ordre national sont préoccupants. Ils pointent une baisse du nombre d’officines et un manque de renouvellement des pharmaciens.

 

Après les déserts médicaux, faut-il craindre les déserts pharmaceutiques ? L’Ordre national des pharmaciens a publié, le 25 juin, son panorama démographique annuel, qui offre, depuis près de 20 ans, une large vision chiffrée de l’état de la pharmacie en France. Avec un constat marquant cette année : en 2023, le pays est passé sous la barre symbolique des 20 000 officines. « C’est un signal préoccupant », estime Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), qui voit par ailleurs d’un bon œil « la légère augmentation du nombre de pharmaciens en général ».

 

Parmi les 74 219 pharmaciens inscrits à l’Ordre, 72 % exercent en officine : 24 596 sont titulaires (section A de l’Ordre) et 28 786 sont adjoints (section D). La profession reste largement féminine : 67,5 % des inscrits à l’Ordre sont des pharmaciennes. L’âge moyen est, lui, fixé à 46,5 ans.

 

Avec + 1,8 % d’inscrits à l’Ordre en dix ans, l’équilibre est précaire, d’autant que la population générale a augmenté deux fois plus vite dans la même temporalité. « Nous sommes actuellement sur une ligne de crête. L’ensemble des courbes montrent un décrochage en 2016, sans remontée suffisante. Les tensions sont de plus en plus fortes dans de nombreux secteurs de la pharmacie : officines mais aussi biologistes, distribution en gros », déplore Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (Cnop).

248 officines fermées en 2023

 

Du côté des officines, 248 ont baissé définitivement le rideau en 2023, contre 211 l’année précédente, soit 17,5 % de fermetures supplémentaires. Le nombre de pharmaciens titulaires a diminué davantage (- 317 entre 2022 et 2023), en raison de la restructuration du réseau officinal et du regroupement de pharmacies (visés à l’article L. 5125-5 du Code de la santé publique, « Fusion d’officines »). En dix ans, le nombre de titulaires d’officines est passé de 27 528 à 24 596, soit une baisse de 10,7 %.

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D’un point de vue géographique, la région Bourgogne-Franche-Comté est celle qui dénombre le plus de fermetures par habitant en 2023 : 7,5 officines ont mis la clé sous la porte pour 1 million d’habitants. Elle est suivie de près dans ce classement par la Normandie et la Bretagne qui comptent 6 fermetures pour 1 million d’habitants. Aujourd’hui, 35 % des officines françaises sont situées dans des communes de moins de 5 000 habitants, et 31 % dans des communes comprises entre 5 000 et 30 000 habitants. « L’érosion du réseau officinal ne date pas d’hier avec, a minima, sur les dix dernières années, une chute, quasiment en forme de pente de ski, qui s’est encore accentuée l’an dernier, avec un nombre important de fermetures », commente David Syr, directeur exécutif de Cegedim Pharma. Et il poursuit : « Cela pose la question de savoir comment on fait pour maintenir un maillage satisfaisant pour couvrir l’ensemble de la population. Ce qui est d’autant plus préoccupant, c’est qu’il est peu probable que les fermetures interviennent dans des zones qui ne sont pas fragiles. Mais comment maintenir une présence physique dans des endroits qui pâtissent déjà d’un déficit de ressources, de médecins et de professionnels de santé ? Quelle viabilité pour une pharmacie – au sens “entreprise” –, sachant que 80 % de la délivrance est issue d’une prescription ? »

 

Et la tendance semble s’intensifier sur le premier semestre de l’année en cours. « Rien que sur le début de l’année 2024, nous en sommes à 165 fermetures à fin avril, alerte Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). C’est énorme ! Et ça ne va que s’aggraver. La signature de l’avenant n’apportera rien en 2024. Il va y avoir de la casse ».

Des mesures pour l’attractivité

 

Pour relever le défi d’accès continu aux soins et aux produits de santé, l’Ordre national des pharmaciens a décidé de déployer son action autour de cinq piliers, recensés dans sa feuille de route : valoriser les études et la diversité des métiers de la pharmacie auprès des jeunes, améliorer la lisibilité du parcours universitaire, faciliter les reconversions en cours de carrière, simplifier les procédures administratives pour les pharmaciens étrangers souhaitant exercer en France et, enfin, sensibiliser l’ensemble des partenaires locaux, comme nationaux aux enjeux de l’attractivité de la profession.

 

L’arrivée de nouvelles tâches pour les pharmaciens, notamment pour la prévention ou l’accompagnement des patients, peut participer à augmenter l’attractivité du métier. Surtout auprès de nouvelles générations qui n’ont plus les mêmes aspirations que les précédentes. Cependant, elle soulève d’autres interrogations. « La question ne porte pas uniquement sur l’envie ou non d’assurer de nouvelles missions, mais sur la façon de rendre ces missions gratifiantes, tout en permettant à l’entreprise d’être viable. L’équation n’est pas clairement résolue », considère David Syr.

Attirer les jeunes

 

De son côté, l’Ordre cherche à mieux faire connaître la profession auprès des jeunes. Notamment auprès des lycéens et des étudiants en parcours accès santé spécifique (Pass) et en licence accès santé (LAS). « Cela passera par la construction d’actions pour attirer les jeunes talents et fidéliser nos professionnels dans leur exercice pharmaceutique », expose Carine Wolf-Thal. L’institution a déjà constitué plusieurs groupes de travail et participé à diverses actions en lien avec la Conférence nationale des doyens de pharmacie, les associations étudiantes et les pouvoirs publics.

 

Car il faut rattraper le retard. En 2022, après la réforme des études de santé, plus de 1 000 places en formation en pharmacie n’avaient pas été pourvues dans les universités françaises. En 2023, elles étaient encore 471. Pour l’Ordre, une des raisons réside dans le manque de connaissance des réalités des métiers de la pharmacie par les jeunes. En réaction à ce constat, il a lancé, l’automne dernier, une campagne de communication à destination des collégiens, lycéens et étudiants, intitulée « Pharmacien, le moins connu des métiers connus ». Capsules vidéos de témoignages, présence sur les réseaux sociaux, flyers, quiz, film et affiches permettent de toucher un maximum de jeunes, et de les sensibiliser aux différents quotidiens des pharmacies, selon leur secteur d’activité. « L’Ordre encourage chacun, à son échelle et quel que soit son domaine d’exercice, à devenir ambassadeur de son métier, en portant haut et fort le message de cette campagne pour susciter ainsi de nouvelles vocations ! » A cela s’ajoutent diverses interventions, dans les salons étudiants, les forums des métiers ou encore dans le cadre d’une collaboration avec l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (Onisep).

L’évolution de carrière comme levier de motivation 

 

Pierre-Olivier Variot pointe également le système universitaire français actuel : « Le système de Pass et LAS pose souci. En France, on ne remplit pas les places, mais les universités à l’étranger font le plein de Français ! C’est aberrant : ce n’est pas le métier qui pose problème, mais bien l’entrée dans les études ». La réforme du 3e cycle, « arlésienne dont on nous parle depuis huit ans », estime le représentant syndical, pourrait également participer à l’intérêt des étudiants pour la profession. « Elle est nécessaire pour conforter les compétences des jeunes pharmaciens qui débutent, estime Carine Wolf-Thal. C’est un facteur d’attractivité pour les étudiants de pouvoir renforcer ce socle de compétences. » Sans oublier l’ouverture vers des possibilités d’évolution de carrière ou de passerelles. « Aujourd’hui, la jeune génération ne veut pas forcément s’engager dans un métier sans perspective d’évolution, sans avoir accès à d’autres métiers », appuie la présidente de l’Ordre.

 

Enfin, autre piste pour accroître le nombre de pharmaciens en exercice en France : simplifier les procédures pour les diplômés à l’étranger qui souhaitent s’installer en France. Ils sont actuellement 3 % parmi les inscrits à l’Ordre, soit 2 236. Un chantier que l’Ordre mène avec les pouvoirs publics. « Il faut faire avec les armes qu’on a, essayer d’aller de l’avant en réformant les études, et se bagarrer pour notre métier », résume Philippe Besset.

     
 
 
 

À retenir

– L’Ordre a publié son panorama démographique annuel. Les chiffres pointent une baisse du nombre d’officines et un manque de renouvellement des pharmaciens.

– 248 pharmacies ont baissé définitivement le rideau en 2023, contre 211 l’année précédente, soit 17,5 % de fermetures supplémentaires.

– Pour pallier le manque d’attractivité du secteur, l’Ordre a lancé une campagne de communication auprès des jeunes. Il souhaite aussi simplifier les procédures pour les diplômés à l’étranger désirant s’installer en France et cherche à ouvrir la possibilité d’évolution de carrière ou de passerelles.