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Ecologie : par où commencer ?

Publié le 2 juillet 2022
Par Favienne Colin
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L’Assurance maladie a prescrit l’écologie au pharmacien, avec son consentement. La bonne nouvelle, c’est que certaines habitudes vertes ont déjà été prises. Reste à faire évoluer la mesure au long cours.

Le pharmacien, acteur de l’écologie ». Le titre de l’article VII de la nouvelle convention nationale pharmaceutique, signée en mars 2022, est aussi court qu’ambitieux. Son texte instaure comme « une priorité », les « enjeux écologiques et de développement durable, ainsi que l’implication des pharmaciens dans la limitation de l’impact environnemental de leur activité ». Organisé sur quelques lignes autour de deux axes, il détaille, d’une part, « l’engagement pour une pratique professionnelle compatible avec les enjeux du développement durable » en listant des écogestes (voir « Repères » p. 18) allant du changement d’ampoules à des « achats responsables » et, d’autre part, la dispensation à l’unité. Voilà le cap fixé. Mais quel en sera l’impact sur le quotidien d’une pharmacie ?

Un enjeu colossal

Le texte constitue un signal déterminant dans le secteur de la santé, source de 8 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), dont 33 % du fait de l’achat des médicaments, 21 % de l’achat de dispositifs médicaux, 11 % du transport des clients et visiteurs, etc., selon le rapport « Décarboner la santé pour soigner durablement dans le cadre du plan de transformation de l’économie française », édité par le think tank Shift Project en novembre 2021. « On ne peut que se réjouir de cette convention qui est le point de départ d’une démarche sectorielle qu’on espère la plus large possible. Dans un contexte de transition écologique, notre métier va forcément évoluer et nous voulons participer à intégrer l’écoresponsabilité dans la gestion de nos pharmacies », explique Olivier Bascoulès, cotitulaire de la pharmacie de la Lèze à Lézat-sur-Lèze (Ariège) et « Monsieur écologie » de l’Union des syndicats des pharmaciens d’officine (USPO). De fait, les pharmaciens sont les premiers à inscrire un engagement environnemental dans une convention avec l’Assurance maladie. « C’est très bien que l’Etat et les pharmaciens se soient entendus sur des objectifs communs sur le sujet. Ils ont abordé plusieurs thèmes comme l’énergie, les emballages, les perturbateurs endocriniens, des actions de prévention envers la population… C’est un tournant, estime de son côté Olivier Toma, fondateur et président de l’agence Primum Non Nocere, spécialisée dans le coaching en responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Et si toutes les conventions signées avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie, dont celle des médecins, comprenaient des critères de ce type, cela ferait avancer les choses de manière considérable ».

Toutefois, les officinaux ne sont pas tous sensibilisés de la même façon à ces sujets. Par quel bout prendre l’écologie ? « Il faut commencer par lire l’article VII, puis établir un état des lieux de ce qui est faisable dans son officine, par une réflexion sur ses propres pratiques afin de trouver une cohérence entre son entreprise et ses propres convictions », résume Olivier Bascoulès, lui-même conscient de l’ampleur de l’ambition après être parvenu à décrocher le label Très Haute Qualité sanitaire, sociale et environnementale (THQSE, validé par l’organisme certificateur Socotec) pour son officine. Autrement dit, il est temps d’établir un diagnostic. « Il faut que l’engagement écologique soit envisagé pour permettre une mise en place progressive, comme pour la qualité », estime de son côté Laëtitia Hénin-Hible, titulaire à Saint-Aubin-du-Cormier (Ille-et-Vilaine) et présidente de l’association Pharma Système Qualité (PHSQ) qui a tenu son colloque annuel en mai dernier sur le thème de l’officine écoresponsable. De fait, il faut que la montagne de l’écologie paraisse abordable.

La dispensation à l’unité, une bonne idée ?

Déjà, des acteurs de la profession réfléchissent en ce début d’été à une manière de connaître les pratiques existantes sur le terrain et à la réalisation de fiches de procédures destinées à être mises à disposition des officinaux pour les épauler dans leurs démarches. « Des échanges ont pour but de préparer les groupes de travail prévus avec l’Assurance maladie à la rentrée à propos d’un avenant concernant le pharmacien engagé en écologie », résume Olivier Bascoulès, qui s’attend à un été studieux. A partir de là, on pourrait imaginer toutes sortes d’entretiens courts avec les patients sur les écogestes, débouchant sur une rémunération.

Si le champ de l’article VII est très large, les pharmaciens insistent sur la nécessité de concentrer les efforts écologiques sur leur cœur de métier. Le texte propose notamment « d’éviter le gaspillage en délivrant les justes quantités de médicaments et en s’assurant que les patients ne stockent pas inutilement des médicaments à leur domicile ». « La transition écologique doit être incluse dans le cœur de métier. Ainsi, l’enjeu majeur c’est la sobriété, la juste prescription, la juste délivrance », souligne Clara Mourgues, vice-présidente transition écologique et santé environnementale à l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), avant d’ajouter, pour avertissement : « Le changement climatique fera qu’on ne pourra plus s’approvisionner comme jusque-là plusieurs fois par jour, que les ruptures de stock vont se multiplier… »

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Mais comment faire ? La juste délivrance consiste à évaluer le besoin du patient en médicament. « Reste que le pharmacien d’officine est rémunéré au nombre de boîtes délivrées, c’est contreproductif en matière de transition écologique », reconnaît l’étudiante face à ce dilemme. Et ce malgré la dispensation adaptée, mise en place il y a deux ans. Pour l’Anepf, c’est l’exercice coordonné qui peut amener à une sobriété constructive, quand bien même actuellement prescripteurs et patients ne comprennent pas forcément cette logique.

Ce discours de modération n’empêche pas les réticences face à la dispensation à l’unité, qui figure dans la convention. Au nom de l’observance et pour lutter contre l’antibiorésistance, la découpe et le reconditionnement des antibiotiques génèrent des déchets. « L’inobservance n’est pas liée au nombre de comprimés délivrés », estime Laëtitia Hénin-Hible. La présidente de PHSQ croit plutôt dans les préparations de doses à administrer (PDA) et dans l’éducation thérapeutique du patient (ETP), pour expliquer pourquoi prendre son traitement et le faire consciencieusement. « Ne serait-ce pas plus efficace de miser sur l’observance aidée par les nouvelles technologies, peut-être avec des piluliers électroniques, pour que les patients n’oublient pas leur traitement ? », renchérit Pierre Béguerie, sollicité alors qu’il était encore président de la section A de l’Ordre national des pharmaciens et qui s’interroge aussi sur la réalisation de PDA gourmandes en consommables. Quoi qu’il en soit, la délivrance à l’unité des antibiotiques n’est pas opérationnelle aujourd’hui puisqu’elle nécessite encore des adaptations au niveau des logiciels métier, a indiqué Philippe Besset, président de la Fédération des pharmaciens de France (FSPF), lors du Congrès national des pharmaciens qui s’est déroulé à Lille (Nord) les 25 et 26 juin.

Jouer collectif

En plus du cœur de métier, l’article VII prévoit l’engagement en matière de développement durable, où d’autres questions se posent. Les officines pratiquent déjà la gestion des déchets à risque. Mais sur ce seul point, la stratégie peut aller bien plus loin. Par exemple ? En prenant le temps d’expliquer aux patients quoi faire de leurs médicaments non utilisés (MNU) et dans quel intérêt. Le seul sujet des déchets suscite aussi beaucoup de commentaires. « Je regrette qu’il n’y ait pas une filière qui puisse englober tous les types de déchets. Plus on va complexifier, plus on va perdre en vertu. Je suis catastrophé par le fait qu’on ne mette pas le paquet sur la simplification de la gestion du déchet, explique Pierre Béguerie. Idem pour le transport. Nous avons déjà réduit les livraisons, le carton est de plus en plus remplacé par des boîtes réutilisables… Ce sont des démarches vertueuses auxquelles nous nous sommes déjà pliés. Cela a nécessité de changer nos habitudes de commande, d’augmenter nos stocks, cela coûte et peut être répercuté dans le prix. Le pharmacien ne peut pas être le seul à supporter les efforts. Il nous faut une réflexion globale pour tout le circuit du médicament », conclut-il.

Embarquer tous les prestataires de l’officine dans une démarche durable est, a minima, long. « Les déchets, l’électricité, etc., tout cela est très important, mais ce n’est pas le cœur de l’activité », analyse Clara Mourgues, qui juge prioritaire de revoir les stratégies d’achat. C’est-à-dire de vérifier produit par produit leur éventuelle écoresponsabilité. « Mettre à disposition des produits écologiques ou pas, c’est un choix du titulaire », estime l’étudiante. Or l’exercice est complexe. Quel laboratoire répond à toutes les questions sur ses ingrédients, ses méthodes de travail, ses fournisseurs au-delà des discours marketing bien calibrés ? Pour une analyse rigoureuse, « il faut connaître la composition du contenant et du contenu du produit et leur provenance. Y consacrer du temps. Or les pharmaciens n’ont pas ce temps. Donc il est essentiel de mutualiser. Les groupements ont une importante carte à jouer pour être sûrs que les produits vendus en pharmacies soient exempts de produits suspectés de toxicité », estime Olivier Toma.

« Il faut avoir des convictions personnelles et envie de se battre : contre des industriels aux emballages inutiles, aux compositions pas claires, mais aussi contre des patients qui veulent consommer… Le pharmacien se trouve entre le marteau et l’enclume tous les jours. Et il n’a pas forcément les moyens ni en matière de formation initiale ni en matière de formation continue d’appliquer ce qu’on attend de lui. Nous ne sommes pas encore à l’heure globale. Toutefois la convention va aider mais sans l’accompagner de moyens, elle ne sert à rien », conclut Olivier Toma.

Pour aller plus loin en matière de prévention

Un autre champ de l’écologie tient dans la prévention, mot absent de l’article VII. Or elle doit être un autre axe majeur de l’action écologique, selon certains. L’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf) croit dans le pharmacien correspondant mais elle va plus loin sur le plan de la santé environnementale. « Nous aimerions pouvoir prendre en compte l’exposome du patient, c’est-à-dire son exposition à des facteurs environnementaux », précise Clara Mourgues, qui regrette que la santé environnementale ne fasse pas « partie des missions du pharmacien. Aujourd’hui, nous sommes plus orientés sur l’iatrogénie médicamenteuse ». Ainsi la nouvelle convention va permettre d’expliquer de manière formalisée à la femme enceinte, les risques de la prise de médicaments, mais pas aux autres expositions comme à ceux des perturbateurs endocriniens, aux produits chimiques. « Alors que le pharmacien a une compétence sur le sujet », insiste l’étudiante, qui détecte là une faille entre ses aînés et sa génération à la vision écologique à 360 °.

Toujours concernant la prévention, on peut aussi imaginer des actions concernant l’activité physique, l’aération des logements, le choix des produits ménagers… « Les vitrines pourraient afficher des messages de santé publique, ce serait un bon moyen de prévention si toutes les officines d’une même ville se mettaient d’accord pendant la même période », ose Clara Mourgues. Et Laëtitia Hénin-Hible (Pharma Système Qualité) d’enfoncer le clou : « Pourquoi pas une rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) de communication de santé publique quand une officine attribue des espaces à ces messages ? », interroge-t-elle.

À RETENIR

La convention nationale pharmaceutique de 2022 intègre l’écologie et le développement durable dans les missions du pharmacien.

C’est dans ce cadre qu’est inscrite la dispensation à l’unité.

Pour se lancer dans l’écologie, le pharmacien peut commencer par délivrer la juste quantité de médicaments, limiter les déchets d’emballage, choisir des produits écoresponsables, etc.