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« Les pharmaciens ont l’obligation professionnelle de porter secours »
Un patient fait un malaise à l’officine. Quelles sont les obligations, les limites et les sanctions encourues par le pharmacien et son équipe en matière de gestes de premiers secours ? Aïssam Aimeur, représentant du syndicat des pharmaciens inspecteurs de santé publique (SPHISP), en poste au sein du pôle de santé publique du tribunal de garnde instance de Marseille (Bouches-du-Rhône), répond.
Le pharmacien et l’équipe officinale ont-ils une obligation d’agir en cas d’urgence ou de gestes de secours à prodiguer ?
L’équipe officinale a une obligation civique de porter secours à une personne en danger. Les pharmaciens et les préparateurs en pharmacie, comme tous les citoyens, sont tenus de se conformer à l’alinéa 2 de l’article 223-6 du Code pénal qui dispose que l’on doit porter secours à toute personne en péril. Cette obligation s’applique aussi bien dans le cadre de sa profession que dans sa vie privée.
En outre, le pharmacien a une obligation professionnelle de porter secours à une personne en danger. Le Code de déontologie des pharmaciens (article R. 4235-7 du Code de la santé publique) prévoit que ceux-ci « doivent, quelles que soient leurs fonctions et dans la limite de leurs connaissances et de leurs moyens, porter secours à toute personne en danger immédiat, hors le cas de force majeure. » Il est important de souligner que cette obligation s’applique à tous les pharmaciens « quelles que soient leurs fonctions » : industriels, officinaux, répartiteurs, biologistes…
Quelles sont les limites ?
L’article R. 4235-7 du Code de la santé publique précise (CSP) que les pharmaciens doivent agir « dans la limite de leurs connaissances et de leurs moyens ».
Le champ d’action du pharmacien d’officine et des préparateurs est assez large sans qu’ils aient à se soucier d’éventuelles poursuites judiciaires pour exercice illégal de la médecine. Les gestes de premiers secours qu’ils peuvent prodiguer leur permettent de faire face à toutes les situations d’urgence (urgences vitales et urgences potentielles) fixées par l’arrêté du 30 décembre 2014 relatif à l’attestation de formation aux gestes et soins d’urgence : identifier l’inconscience, une obstruction aiguë des voies aériennes, un arrêt cardiaque, les signes de gravité d’un malaise, d’un traumatisme, d’une brûlure et réaliser les gestes adéquats, arrêter une hémorragie externe, etc.
S’agissant des moyens, l’un des atouts majeurs de l’officine est de disposer de médicaments et de matériels de soins. Aussi, l’aide à la prise, voire l’administration d’un médicament, même inscrit sur une liste des substances vénéneuses (sauf par voie parentérale car le pharmacien n’est pas formé à cet acte), est possible dans une situation d’urgence vitale. En effet, le principe demeure que l’article 223-6 du Code pénal (non-assistance à personne en péril) prévaut sur l’article R. 5132-6 du Code de la santé publique, qui exige que les pharmaciens ne délivrent les médicaments contenant des substances vénéneuses uniquement sur prescription d’un praticien autorisé. Face à une demande de secours d’urgence, le pharmacien a une obligation de moyens et doit toujours agir dans l’intérêt du malade. Si la victime est déjà sous traitement, le pharmacien peut délivrer sans ordonnance le (ou les) médicament(s) concernés et l’aider à les prendre, uniquement si le médecin traitant de la victime le(s) lui a prescrit(s) précisément pour ce type d’urgence médicale (malaise…). C’est classiquement le cas d’une personne asthmatique en crise sévère qui se présente à l’officine. L’état de nécessité défini par l’article 122-7 du Code pénal constitue une cause d’exonération pénale dans ce cas. Il correspond à la situation d’une personne qui commet une infraction pour faire échapper un tiers à un danger réel, actuel ou imminent, qui le menace. Ce qui est le cas dans une situation d’urgence vitale.
Comment être certain de prendre la bonne décision ?
Le risque d’administrer à tort un médicament existe, c’est pourquoi le pharmacien jugera de l’opportunité de ses initiatives en fonction de ses compétences et des risques qu’il peut faire encourir à la victime, après avoir obligatoirement contacté le centre 15 (Samu) et décidé, conjointement avec le médecin régulateur, d’une stratégie d’intervention. Cela permettra d’une part, d’éviter des initiatives malheureuses et, d’autre part, d’obtenir une « prescription téléphonique » (même si celle-ci n’a pas de valeur réglementaire) du médecin urgentiste qui « justifiera », si nécessaire, cette prise de décision (les communications téléphoniques avec le Samu sont enregistrées et conservées). Ce rôle de conseil médical, voire de guidage par téléphone pour la réalisation des gestes de premiers secours, du Samu est essentiel. Celui-ci est peu connu et bon nombre de pharmaciens hésitent à contacter le Samu pour obtenir un avis ou un conseil médical.
Enfin, lorsque l’équipe officinale est sollicitée pour des faits se déroulant en dehors de la pharmacie, il est indispensable de se déplacer auprès de la victime afin de s’assurer par soi-même de son état ou de la nature du danger (si un seul pharmacien est présent dans l’officine, il est nécessaire de fermer temporairement celle-ci ou de demander aux préparateurs de suspendre provisoirement toute délivrance afin de pouvoir sortir de la pharmacie).
Existe-t-il des risques de sanctions ?
Oui, le pharmacien risque :
● des poursuites pénales : la non-assistance à personne en péril est un délit passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (article 223-6 du Code pénal). Il faut souligner qu’un pharmacien qui néglige d’alerter le prescripteur et le patient après avoir commis une erreur dans la délivrance d’un médicament commet aussi le délit de non-assistance à personne en danger. Ce même délit est aussi commis lorsque volontairement et sans motifs légitimes le pharmacien refuse de se rendre auprès d’une victime en péril ;
● des poursuites civiles : la responsabilité civile du pharmacien titulaire oblige celui-ci à réparer les dommages causés à l’occasion de l’exercice de sa profession (ainsi que ceux causés par ses salariés). Cette responsabilité s’applique aussi lorsque le pharmacien porte secours ; certains officinaux craignent alors qu’on ne leur reproche des initiatives imprudentes, des manœuvres inefficaces ou maladroites, susceptibles de provoquer ou d’aggraver les blessures ou l’état de la victime. La mise en cause de la responsabilité civile, en cas « d’accident » ou « d’incident » à la suite d’un secours ou d’un soin, est possible, bien qu’assez théorique, et ne doit pas constituer un frein à l’action du pharmacien, s’il ne veut pas risquer de poursuites pénales. Toutefois, il faut garder à l’esprit un principe simple : en cas de faute, les dommages et intérêts seront versés par la compagnie d’assurance de l’officine uniquement si le pharmacien ne s’est pas abstenu de porter secours ;
● des poursuites disciplinaires : les infractions disciplinaires sont jugées par les chambres de discipline de l’Ordre des pharmaciens. Le non-respect de l’article R. 4235-7 du code de la santé publique (non-assistance à personne en danger immédiat) expose ainsi tout pharmacien à l’une des peines prévues par l’article L. 4234-6 de ce même CSP (de l’avertissement à l’interdiction définitive d’exercer la pharmacie).
Y a-t-il obligation de se former ou de maintenir ses connaissances à jour en matière de secourisme ?
En vue de fournir au pharmacien les connaissances nécessaires, une formation aux techniques de premiers secours a été dispensée aux étudiants en pharmacie par certaines facultés à partir de 1967, mais en réservant cet enseignement aux seuls étudiants de la filière officine.
La formation aux gestes et aux soins d’urgence, obligatoire pour certaines professions de santé, dont les pharmaciens et les préparateurs, n’a été introduite par le ministère de la Santé qu’en 2006.
Le dispositif en vigueur est régi par l’arrêté du 30 décembre 2014 relatif à l’attestation de formation aux gestes et aux soins d’urgence. Celui-ci prévoit que les pharmaciens et les étudiants en pharmacie doivent suivre la formation aux gestes et aux soins d’urgence dite de niveau 2. La durée de validité de l’attestation de formation aux gestes et aux soins d’urgence (AFGSU) de niveau 2 est de quatre ans. La prorogation de cette attestation pour une durée équivalente est subordonnée au suivi d’une formation d’une journée organisée en continu ou en discontinu. Un recyclage tous les quatre ans est donc obligatoire.
BIO EXPRESS D’AÏSSAM AIMEUR
• 1997 : diplôme de docteur en pharmacie
• 1997 à 2002 : pharmacien dans la répartition pharmaceutique
• 2002 à 2006 : pharmacien de sapeurs-pompiers professionnels
• 2006 à 2010 : pharmacien inspecteur de santé publique (DRASS et ARS)
• depuis 2012 : pharmacien assistant spécialisé en matière sanitaire (tribunal de grande instance de Marseille)
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