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Revalorisation de la rémunération : ce n’est pas gagné !
Les acteurs conventionnels ouvriront de nouvelles discussions sur le volet économique de la convention pharmaceutique, en principe en 2023. Mais les impacts rémanents du Covid-19 et le poil à gratter de l’inflation et des nouvelles baisses de prix attendues sur des produits de santé pourraient porter préjudice aux négociations.
Extrêmement ambitieux et prospectif, le volet métier de la nouvelle convention pharmaceutique a été bouclé en mars dernier entre les acteurs conventionnels, sans grandes zones de frottement ou de désaccord. En raison du manque de visibilité lié à la pandémie, les discussions sur le volet économique ont été repoussées à 2023, avec l’espoir, dans l’intervalle, que les budgets liés à l’état d’urgence soient coupés, pour ne pas fausser les analyses qui serviront à définir la nouvelle feuille de route de la rémunération jusqu’à la prochaine échéance conventionnelle. Sauf que la pandémie de Covid-19 n’est pas encore derrière nous.
« Il y a plein d’incertitudes sur l’épidémiologie du Covid-19. On peut penser que les nouveaux variants seront plus contagieux mais moins dangereux, cependant on ne peut dire quel en sera l’impact sur l’économie », expose Jean-Marc Aubert, président d’Iqvia. Très vraisemblablement, il y aura un fond d’activité Covid-19 résiduel, mais de quelle importance ? Les rémunérations liées à la vaccination et au dépistage perdureront, profitant d’abord aux pharmacies les plus investies dans la lutte contre la pandémie. Pour l’heure, les pharmaciens continuent d’engranger des excédents de trésorerie : aux 95 000 € reçus en plus de l’Assurance maladie sur 2021 en moyenne par pharmacie s’ajoutent déjà 45 000 € supplémentaires au premier quadrimestre 2022. Soit un premier abondement pour le réseau officinal de 1,5 Md€ d’actes Covid-19 au titre de 2021 et un second qui atteint déjà 1 Md supplémentaire en 2022, soit 2,5 Md€ cumulés. Sans compter que l’Assurance maladie a mis 130 M€ sur la table pour financer les nouveaux actes de prévention du pharmacien inscrits dans la convention. Il n’est pas certain que ces gains et nouveaux financements accordés au réseau officinal placent Thomas Fatôme, le directeur de la caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam), dans les meilleures dispositions pour en accorder plus à la pharmacie en 2023. Il a d’ailleurs d’autres priorités en tête. « Avec 26 milliards d’euros de déficit en 2021, il s’agit du deuxième déficit le plus élevé de l’histoire de l’Assurance maladie », a-t-il lancé lors du 74e Congrès national des pharmaciens qui s’est tenu à Lille (Nord) les 25 et 26 juin.
Pragmatique, le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) a reçu le message cinq sur cinq : « Il va falloir revoir nos ambitions par rapport à la réalité », admet Philippe Besset, lui qui pendant la campagne des élections aux unions régionales des professionnels de santé (URPS) avait défendu une revalorisation de la rémunération de 800 M€ sur cinq ans. Et Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), d’aller aussi dans ce sens : « Il faudra négocier sur une autre base que celle qui avait été préparée avec l’Assurance maladie. »
Une revalorisation au nom de l’inflation
Une réalité aux multiples visages qui plongent l’économie de l’officine encore plus dans le flou à moyen terme. Au rythme où galope l’inflation, les ressources du Covid-19 seront vite consommées, selon Pierre-Olivier Variot qui rejette l’idée d’une non-négociation : « Selon les chiffres 2021 du groupement d’expertise comptable CGP, l’augmentation d’excédent brut d’exploitation (EBE) hors inflation a été de 14 k€ pour une pharmacie de 1 M€ à 1,5 M€ et de 22 k€ pour celles de 1,5 M€ à 2 M€. Quelle part de résultat d’EBE partira demain dans l’inflation et les frais de personnel ? Les négociations sur la rémunération pourront difficilement aboutir si l’Assurance maladie est seule à supporter la dette liée au “quoi qu’il en coûte” et si cette dernière n’est pas transférée à l’Etat », clame-t-il.
L’inflation pouvant s’inscrire dans la durée, le dossier des revalorisations salariales n’est pas près de se refermer. Ce problème est la fois conjoncturel et structurel. En effet, la réforme des études (diplôme d’études spécialisées pour les pharmaciens, diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques et licence pour les préparateurs), l’évolution des compétences et le souci de rendre la filière officinale attractive appellent à une revalorisation de la grille des salaires. « C’est fortement envisagé pour la licence qui permettra de vacciner, de dépister et d’être le relais du pharmacien sur des entretiens pharmaceutiques », déclare Philippe Denry, vice-président de la FSPF.
En parallèle, la pression va s’accentuer sur les marges prises en étau entre les baisses de prix imposées aux produits de santé et les hausses des coûts de fonctionnement de l’entreprise officinale sous l’effet de l’inflation. « 1 point de salaire en plus, c’est 60 M€ de plus en charges pour le réseau. Avec deux revalorisations de 3 % sur 2022, c’est 360 M€ pour affronter l’inflation. On peut l’assumer en 2022, mais pas en 2023 ! », alerte Philippe Besset. Et comme tous les ans, à la rentrée, le couperet du nouveau projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) devrait tomber à hauteur, bon an mal an, de 1 milliard d’euros de baisses de prix sur les médicaments et les produits de santé. Autant de paramètres à intégrer par les pouvoirs publics dans les réflexions à mener au cours des prochains mois lorsque sera abordé le volet économique de la convention.
Objectif : 100 % des pharmacies aux nouvelles missions
La barque des nouvelles missions a été bien chargée et, pour la maintenir à flot, « le gouvernement doit se rendre compte que les pharmaciens ne peuvent plus assumer leurs rôles si on ne leur en donne pas les moyens, exhorte le président de la FSPF. Il est important qu’ils puissent investir, essentiellement dans l’humain, et que nos équipes aient une perspective d’évolution. » Comme il souhaite que 100 % des officines s’engagent dans les nouvelles missions (accompagnement des femmes enceintes, vaccination des adultes, dépistage des infections urinaires simples et du cancer colorectal, etc.), il faut une enveloppe financière conséquente. Et peut-être fléchée, c’est-à-dire dévolue à certaines catégories d’entreprises officinales, pour sortir de l’ornière les pharmacies qui n’en font pas, en raison de locaux inadaptés, ou par faute de temps et de personnel.
Non seulement, les acteurs conventionnels devront trouver les moyens de sortir les petites officines de cette quadrature du cercle mais, au moment de revaloriser les honoraires, ils devront répondre sur un point soulevé par Renaud Nadjahi, vice-président de l’USPO. « Les honoraires de professionnels de santé sont difficilement conciliables avec les coûts de l’entreprise. Par ailleurs, on va nous demander de dépister, de faire plus sur la dispensation adaptée, etc., avec pour effet des économies pour l’Assurance maladie et du chiffre d’affaires en moins pour l’officine, alors que les charges de nos entreprises vont bien au-delà de l’action individuelle du pharmacien », explique-t-il.
En attendant de bénéficier de chiffres stables pour pouvoir discuter économie avec l’Assurance maladie, les acteurs conventionnels s’emploieront dès la rentrée à déployer la convention sur le terrain. Par exemple, les syndicats pharmaceutiques passent à la vitesse supérieure avec des rendez-vous en région pour aider les pharmaciens à s’approprier la convention. Ainsi, la Cnam ne pourra pas reprocher à ces mêmes syndicats de ne pas tout faire pour engager toute la profession dans les nouvelles missions qui sont un axe de croissance pour les officines. Cela permettra peut-être d’offrir une visibilité économique de moyen terme pour apprécier, dans un contexte compliqué sous l’effet conjugué du Covid-19 et de l’inflation, les ressources nécessaires à une revalorisation des honoraires de dispensation et des rémunérations à un niveau capable d’assurer la pérennité et l’intégrité du réseau officinal.
À RETENIR
Le volet économique de la convention nationale pharmaceutique doit être discuté en principe en 2023.
Les gains engrangés par les missions Covid-19 (vaccination, dépistage, etc.) pourraient inciter l’Assurance maladie à ne pas ouvrir les négociations sur la revalorisation des honoraires de dispensation. Mais l’inflation, les hausses de salaire et les prochaines baisses de prix sur les produits de santé vont peser lourd dans l’économie de l’officine.
Pour être en position de force dans les négociations conventionnelles, les pharmaciens doivent s’emparer des nouvelles missions.
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