- Accueil ›
- Législation ›
- Droit du travail ›
- Salaires ›
- Surenchère sur les salaires
Surenchère sur les salaires
Alors que le cap des 10 % d’inflation pourrait être franchi en fin d’année, la question des salaires à l’officine risque à nouveau de s’inviter dans les échanges entre les titulaires et leurs équipes en cette rentrée. Dans un contexte de surenchère sur les rémunérations qui préoccupe les chambres patronales.
Cela devient déraisonnable, s’insurge le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Pierre-Olivier Variot. Des confrères m’ont indiqué que de jeunes pharmaciens diplômés leur avaient demandé 12 000 € net par mois pour effectuer des remplacements dans leur officine cet été. » Alimentée par la pénurie de candidats chez les adjoints et les préparateurs, et par une inflation galopante (le cap des 10 % pouvant être atteint à la fin de l’année), la surenchère sur les rémunérations constitue une réalité pour les titulaires désireux de renforcer leur équipe. « Il y a quelques années, vous entriez dans la profession à un coefficient de 450, et vous pouviez monter jusqu’à 500 ou 550 après deux ou trois années d’expérience. Aujourd’hui, les jeunes diplômés en sortie de faculté n’hésitent pas à négocier des coefficients de 600 », constate Philippe Denry, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
De jeunes candidats décomplexés
Une autre tendance inquiète Pierre-Olivier Variot : « Beaucoup de jeunes diplômés préfèrent effectuer un CDD de six mois, puis enchaîner avec six mois de vacances en bénéficiant du chômage. Un enseignant de l’université de Dijon (Côte-d’Or) me disait que 50 % de la promotion envisageait cette année ce mode de fonctionnement qui alimente la pénurie », ajoute le président de l’USPO, tout en regrettant que « les jeunes pharmaciens aient pris de mauvaises habitudes dans les centres de test et de vaccination anti-Covid-19 où ils étaient très bien payés. D’où leur niveau d’exigence au moment de rejoindre une officine car ils savent qu’en ce moment ils ont les cartes en main. » « Et cela d’autant plus que nombre d’officines conservent un volume d’activité supérieur à la normale avec les tests et la vaccination, rappelle Philippe Denry. Elles ont donc besoin de se renforcer. Ce qui contribue à alimenter encore un peu plus la pénurie de candidats que nous avons nous-mêmes créée pour les postes de préparateurs, en ne formant pas suffisamment d’apprentis depuis plusieurs années… » L’exemple de ce jeune pharmacien exerçant dans les Hauts-de-Seine vient confirmer cette tendance. « Après avoir travaillé en centre de vaccination où j’étais payé 42 € net de l’heure, j’ai rejoint une officine en ayant négocié un coefficient 600, une prime mensuelle de bienvenue de 300 € pendant quatre mois et une autre de 400 € le premier mois, confie cet adjoint. Et j’ai obtenu le même coefficient dans l’autre pharmacie où j’interviens une dizaine d’heures par mois, en plus de mes 35 heures. »
Un motif de tension
La question des augmentations de salaire est aussi en train de s’imposer comme un enjeu entre les titulaires et les équipes en place. « Cela peut même devenir un motif de tension, car les salariés savent qu’ils peuvent facilement changer de poste et obtenir au passage une rémunération supérieure », reconnaît Philippe Denry. Un constat confirmé par Olivier Clarhaut, secrétaire fédéral de Force ouvrière Pharmacie d’officine. « Même si la plupart des salariés ne se montrent pas extrêmement revendicatifs, une partie d’entre eux entend profiter de la loi du marché qui leur est en ce moment favorable, souligne le syndicaliste. Ils font donc valoir légitimement leurs compétences et leur expérience pour demander des augmentations au-delà des accords conventionnels signés par les partenaires sociaux. Et lorsqu’ils n’obtiennent pas satisfaction, ils sont capables de partir. » « Dans certains secteurs géographiques, un mercato semble même s’installer, certains titulaires n’hésitant pas à proposer plus pour débaucher les salariés en place », ajoute Pierre-Olivier Variot.
Une fuite en avant sur les rémunérations est aussi susceptible de semer le trouble au sein des équipes. « Les salariés risquent de ne pas comprendre pourquoi le jeune pharmacien ou préparateur qui vient d’arriver gagne plus qu’eux, confirme Thibault Winka, product manager de la plateforme de recrutement Team Officine. Pour déminer le terrain, mieux vaut faire preuve de pédagogie et de transparence. En expliquant que face à une situation exceptionnelle, vous avez dû prendre une mesure exceptionnelle et temporaire : embaucher cette nouvelle recrue à un coefficient important, uniquement parce qu’il manque deux ou trois personnes dans la pharmacie. Vous avez donc considéré qu’il était important de soulager l’équipe. »
Augmentation à tout prix ?
Dans ce contexte de surenchère, les représentants des chambres patronales invitent les titulaires à la prudence. « Les pharmaciens sont des chefs d’entreprise et ils ont toute liberté pour définir leur stratégie en matière de recrutement et de rémunération, la grille conventionnelle ne constituant qu’un seuil minimum, rappelle Philippe Denry. Cela étant dit, le message que nous faisons passer à nos adhérents, c’est de ne pas foncer tête baissée sur le premier candidat venu avec des exigences salariales déraisonnables, sous prétexte que cela fait plusieurs mois qu’ils sont à la recherche d’un pharmacien ou d’un préparateur. »
Pour le vice-président de la FSPF, tout est question d’arbitrage et de bon sens. « Vous pouvez proposer un coefficient 600 ou 700 à un adjoint que vous souhaitez absolument conserver, ou recruter de manière ponctuelle pour préserver l’équipe. Mais à condition que ce dernier apporte une réelle valeur ajoutée en matière de conseil, de gestion ou d’animation de l’équipe. Sur le long terme, s’engager sur de tels niveaux de rémunération peut mettre en péril l’équilibre économique de l’officine. Il faut donc s’assurer au préalable que l’entreprise aura les moyens financiers de les assumer. Car si l’activité venait à baisser dans quelques mois, il sera très compliqué de revenir en arrière. » Pour Pierre-Olivier Variot, l’absence de visibilité actuelle doit inciter les titulaires. « Il est impossible de prédire comment évolueront la conjoncture et les nouvelles missions confiées aux pharmaciens. Nous invitons donc nous aussi nos adhérents à la prudence, en privilégiant l’attribution de primes à des augmentations de salaire inconsidérées », confie le président de l’USPO.
A la tête de la pharmacie F à Paris, Yorick Berger refuse de se soumettre aux dictats du marché. « Cela fait maintenant un an que je peine à trouver un préparateur et un pharmacien, reconnaît le titulaire. Mais je préfère rester en sous-effectif plutôt que d’accepter des niveaux de rémunération qui déstabilisent le marché et vont nous conduire droit dans le mur. » Pas question non plus pour lui de pratiquer la surenchère pour fidéliser son équipe. « J’offre déjà des rémunérations supérieures à celles de la grille. J’attribue en outre deux primes par an lorsque les objectifs qualitatifs et quantitatifs fixés à chaque collaborateur sont atteints. Ce dispositif permet de récompenser l’implication des uns et des autres, sans pour autant hypothéquer l’avenir », assure le titulaire. Yorick Berger n’a donc pas donné suite à la demande d’augmentation de l’un de ses préparateurs. « Il m’a annoncé par SMS avoir reçu une proposition d’un confrère à plus de 3 000 € net par mois, raconte le pharmacien. Je lui ai répondu qu’à ce niveau de rémunération il valait mieux qu’il accepte l’offre car je ne pourrais pas m’aligner. Finalement, il est resté avec nous, parce que le salaire ne fait pas tout. Dans l’officine que j’ai transférée il y a deux ans, les collaborateurs disposent d’un outil de travail moderne et confortable, et d’une organisation agile avec des journées continues qui laissent beaucoup de temps libre. » Pour Pierre-Olivier Variot, la qualité de vie au travail constitue en effet un critère de choix plus important que la paie. « Je connais un titulaire qui cherchait un adjoint depuis un an, note le président de l’USPO. Comme il n’arrivait pas à trouver de candidats, il a décidé de fermer son officine le samedi pour souffler le week-end. A partir de ce moment-là, trois candidats ont postulé. Tout cela pour dire que sans aller jusqu’à fermer l’officine le samedi, vous pouvez aussi attirer des nouvelles recrues ou fidéliser votre équipe en proposant un rythme de travail et une organisation qui permettent d’amener les enfants à l’école le matin ou de bénéficier d’un week-end de repos sur deux… »
Revalorisation du point de 3 % : quand l’appliquer ?
La question des salaires a donné lieu à une passe d’armes entre les chambres patronales au début de l’été. Alors que la FSPF conditionnait l’application de la nouvelle revalorisation de 3 % du point conventionnel, signée en juin, à la publication d’un arrêté d’extension par le ministère du Travail, l’USPO a, elle, fait entendre une musique différente. « A l’unanimité, notre conseil d’administration a décidé d’inviter nos adhérents à appliquer cette nouvelle augmentation dès le 1er juillet 2022 afin de maintenir le pouvoir d’achat de nos salariés, la parution de l’arrêté d’extension pouvant prendre cinq ou six mois », rappelle Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. Du côté de la FSPF, on explique que le choix d’attendre l’extension de l’accord est motivé par le principe d’égalité. « Si nous n’avions pas pris cette décision, la revalorisation n’aurait été appliquée que dans la moitié des officines, celles qui sont syndiquées, rappelle Philippe Denry, vice-président de la FSPF. Cela aurait pénalisé les titulaires qui s’investissent dans la défense des intérêts de la profession, et donné un avantage concurrentiel à ceux qui attendent que les choses se passent… »
Du côté des syndicats de salariés, les postures des chambres patronales laissent sceptiques. « C’est vrai que lors des négociations, l’USPO semble adopter une position plus volontariste et généreuse que la FSPF. Mais à chaque fois, elle refuse de signer seule un accord qui pénaliserait ses adhérents. Ce volontarisme nous semble relever plus de la communication, estime Olivier Clarhaut, secrétaire fédéral de Force ouvrière Pharmacie d’officine, qui regrette toutefois la position de la FSPF, laquelle va se traduire par une perte du pouvoir d’achat pour le salarié en attendant l’extension de l’accord.
À RETENIR
Dans un contexte de pénurie de personnel, d’accroissement de la charge de travail et d’inflation, les demandes d’augmentation sur les salaires déferlent, jusqu’à la surenchère.
Les syndicats patronaux appellent à la prudence car, si le contexte économique est favorable avec les missions liées au Covid-19, il y a un manque de visibilité à moyen terme.
Plutôt que de suivre l’envolée des salaires, certains titulaires réfléchissent à optimiser la qualité de vie au travail.
- Prevenar 20, Voltarène, Talzenna… Quoi de neuf côté médicaments ?
- Biosimilaires : 10 milliards d’économies potentielles, un enjeu majeur pour l’officine
- Rémunérations forfaitaires 2024 : il reste deux semaines pour déclarer vos indicateurs
- Quétiapine en rupture de stock : comment adapter la prise en charge des patients ?
- Les médecins étrangers veulent un contrat pérenne
![Transactions d’officines : tendances et prix de vente moyens](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2024/11/transactions-680x320.jpg)
![Achats en officine : un enjeu stratégique face à l’inflation](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2024/10/6b547c1873d844dc586056072b68d-680x320.jpg)
![Prendre soin de l’e-réputation de son officine](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2024/10/079798b81a8923a813e33af1f6b77-scaled-680x320.jpg)