Inflation : l’officine résiste, mais jusqu’à quand ?
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Inflation : l’officine résiste, mais jusqu’à quand ?

Publié le 7 septembre 2022
Par Yves Rivoal
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Inflation, baisse du pouvoir d’achat, hausses de prix des laboratoires… Rien ne semble affecter l’économie officinale qui voit ses ventes et sa fréquentation continuer de progresser. Mais en cette rentrée, la donne pourrait bien changer si les laboratoires appliquent de nouvelles augmentations tarifaires. L’heure est donc à la vigilance…

« Avec un volume en progression de 4,9 % en juin et de 10,7 % en cumul annuel mobile, le marché officinal reste en forte croissance, constate Antoine Collet, directeur des panels et partenariats France d’Iqvia. La fréquentation en pharmacie est également repartie à la hausse depuis le début de l’année, avec des passages moyens en caisse qui ont augmenté en mai de 15,8 % en CAM malgré l’accalmie de la pandémie du Covid-19. » Si l’activité demeure aussi bien orientée, c’est probablement parce que les prix en officine sont restés stables. « Lorsque l’on regarde nos statistiques, on s’aperçoit que les pharmaciens n’ont pas encore répercuté les hausses de tarifs pratiquées depuis le début de l’année par les laboratoires, observe Antoine Collet. Il n’y a donc pas eu d’augmentation des prix dans le réseau officinal. Ceci étant dit, il faut rester prudent. Les titulaires attendent peut-être de voir ce que va donner la période estivale avant d’adapter leur stratégie en septembre. Surtout si leurs laboratoires partenaires annoncent de nouvelles hausses de prix suite à l’inflation des coûts des matières premières. » Fondatrice de Gamma’s Conseil, une société spécialisée dans l’accompagnement en merchandising des pharmacies, Shérazade Martin invite les pharmaciens à la vigilance. « Le sujet revient souvent dans mes conversations avec les titulaires que j’accompagne, confie la consultante. Je leur conseille alors de surveiller comme le lait sur le feu l’évolution des ventes sur les gels douche, les shampooings, l’hygiène féminine, l’hygiène bébé ou l’hygiène bucco-dentaire, qui constituent souvent la variable d’ajustement dans la consommation des ménages. Et de se préparer à anticiper une éventuelle contraction de l’activité. »

Plusieurs options

Pour éviter ou limiter une éventuelle baisse du CA, plusieurs leviers peuvent être activés. « Le premier, c’est l’assortiment, parce que c’est lui qui reflète la stratégie de l’officine, estime Aurélie Paquier, directrice générale de Vu Merchandising, société spécialisée dans le conseil en merchandising aux pharmacies. Dans un contexte incertain, c’est le moment ou jamais de se questionner sur ce qui est indispensable ou pas. Or, l’expérience montre que dans les pharmacies, 60 % des stocks devant les comptoirs ont des rotations faibles et ne payent pas le loyer, notamment sur la parapharmacie. » Pour Jean-Sébastien Eudes, cofondateur de Fact Pharma, qui propose des solutions de pilotage du merchandising, des prix, des promotions pour les laboratoires, les groupements et les pharmacies, « il faut se concentrer sur les 20 % de références avec les meilleurs rendements linéaires, en essayant de leur donner un maximum de visibilité sur le point de vente. Pour le reste, tout est question de choix ! L’enjeu étant d’attribuer la bonne allocation aux catégories et références qui tournent le plus. Or, aujourd’hui, la plupart des rayons sont saturés, les derniers mois ayant été marqués par beaucoup de lancements et d’innovations, notamment dans les univers de la naturalité et des compléments alimentaires. »

La piste des marques propres

Aurélie Paquier conseille, elle, de réduire la voilure sur les produits plaisirs. « Dans l’absolu, ce sont ceux qui créent le moins de valeur dans les pharmacies, souligne l’experte. À l’inverse, je renforcerai l’assortiment sur des segments à fort potentiel, mais encore mal exploités, comme l’accompagnement des seniors, les pathologies chroniques, l’oncologie, les compléments alimentaires ou l’aromathérapie, qui répondent à de vrais besoins de santé. » Autre option, Shérazade Martin invite les pharmaciens à s’intéresser de plus près aux marques propres de leur groupement. « Par les temps qui courent, les MDD (NdlR, marques de distributeurs) présentent un réel intérêt, à la fois pour les consommateurs et les pharmaciens. Ces derniers devraient donc les développer davantage, que ce soit en termes de conseil ou d’exposition, car cela permet de valoriser des produits de qualité à des prix intéressants », estime la consultante.

À quel prix ?

L’autre point de vigilance à surveiller dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat, c’est le prix. La première question à se poser étant : faut-il répercuter les hausses de tarifs des laboratoires ? « Connaissant les niveaux de rentabilité des pharmacies, j’ai le sentiment qu’elles ont encore suffisamment de marges de manœuvre pour absorber les prochaines augmentations, estime Aurélie Paquier. Cela se traduira par un tassement de leur marge, mais j’espère qu’elles sauront résister, car sinon, cela pourrait accélérer le recul de certaines familles de produits comme l’hygiène, les capillaires ou la parapharmacie, et générer une fuite des clients vers d’autres circuits de distribution. » L’équation à résoudre deviendra alors plus compliquée. « Il faut trouver le bon équilibre, en acceptant de réduire sa marge sur les 50 ou 100 meilleures ventes, voire de vendre à prix coûtant les produits de consommation courante à forte rotation, comme les sérums physiologiques ou les carrés coton. L’objectif étant de compenser les hausses de tarifs des laboratoires en augmentant de manière raisonnable les prix sur des produits moins concurrencés, où la marge se révèle plus confortable », résume Jérôme Viale, fondateur de PharmaSphère, une société spécialisée dans le conseil officinal. Pour Jean-Sébastien Eudes, le pilotage de la politique de prix pourrait redonner des marges de manœuvre non négligeables aux officines. « Lorsque nous effectuons des analyses sur une même zone de chalandise, on s’aperçoit qu’il peut y avoir des écarts de prix du simple au triple sur une même référence… La bonne approche consiste à déterminer, en fonction de sa zone de chalandise, le prix le plus juste, en restant dans une fourchette de – 5 à + 5 % par rapport au prix moyen. Dès que vous sortez de ce cadre, vous risquez de perdre de la marge ou des clients ».

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L’arme des promotions

L’animation commerciale constitue le dernier axe sur lequel il est possible d’agir en période d’inflation et de baisse du pouvoir d’achat. « Les promotions sont le levier le plus simple à activer pour anticiper une éventuelle baisse des ventes, assure Shérazade Martin. Sans pour autant augmenter leur nombre, il faut essayer d’améliorer leur mise en avant, en privilégiant des segments qui fonctionnent bien comme l’hygiène bucco-dentaire, les gels douche, les shampoings et le bébé. » Jérôme Viale conseille, lui, d’organiser tous les mois cinq à dix promotions, afin de donner envie aux clients de revenir régulièrement à la pharmacie. « En variant les catégories de produits concernées, tout le monde y trouve son compte, ajoute le consultant. En matière de prix, il faut se montrer le plus attractif possible, et essayer de privilégier des références vendues habituellement entre 5 et 10 €. Dans cette fourchette, vous pouvez générer des coefficients multiplicateurs de vente de 3 à 4, alors que sur des produits vendus plus de 10 €, un coefficient de deux est déjà un bon résultat. » Le consultant rappelle enfin que les promotions ne doivent pas constituer une fin en soi. « Elles doivent servir de point de départ au conseil. Lorsqu’un patient arrive au comptoir avec un spray pour le nez, lui poser quelques questions afin de déterminer sa pathologie reste indispensable. S’il s’agit d’un rhume, vous pouvez l’orienter vers de la vitamine C, du paracétamol, de l’homéopathie… Ce faisant, vous augmenterez le panier moyen, et le client repartira avec la satisfaction d’avoir été conseillé. Ce qui lui donnera l’envie de revenir », conclut Jérôme Viale.