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L’aménagement des horaires dans l’air du temps
En sous-effectif chronique pour cause de pénurie de préparateurs et de pharmaciens, de plus en plus de titulaires font le choix de réduire les horaires d’ouverture afin de ménager leurs équipes sous tension. Cette décision est difficile, mais peut se révéler bénéfique pour les salariés. Et sans impact significatif sur l’activité.
Pour la première fois en 40 ans, j’ai dû fermer mon officine pendant une semaine, du 20 au 27 août. » Titulaire de la pharmacie du Conseil des Quinze à Strasbourg (Bas-Rhin), Alain Boetsch garde un souvenir amer de cette première imposée par un concours de circonstances. « Après le départ en retraite de ma pharmacienne adjointe, et la fracture de la cheville d’une de mes préparatrices en mai, j’ai essayé de recruter pour remplacer ces deux postes vacants. En vain… Résultat, cet été, avec le jeu des congés, je me retrouvais seul à la pharmacie avec un apprenti la semaine du 20 au 27 août. J’ai donc décidé de fermer, après en avoir informé les patients par voie d’affichage et au comptoir. » A la tête de la pharmacie de la Bergue à Cranves-Sales (Haute-Savoie), Guillaume Dessard a, lui, sacrifié les samedis après-midi tout l’été. « Après la démission de deux de mes préparatrices en avril et mai, j’ai fait le choix de préserver les vacances de mon équipe qui était épuisée, notre activité ayant augmenté de plus de 50 % pendant la période Covid-19, raconte le titulaire. Pour que deux ou trois personnes soient là en permanence en semaine, et ainsi garantir à nos patients un accueil et un conseil de qualité, j’ai décidé de fermer le samedi après-midi. » Mêmes maux, même remède pour Lucie Grilleau, titulaire de la pharmacie Centrale à Marans (Charente-Maritime). « Cela fait plusieurs années que je travaille seule le samedi matin. Les clients s’y sont habitués et prennent patience, en sachant que la fréquentation est faible ce jour-là, confie la titulaire. Depuis le départ de ma préparatrice, je ferme les samedis lorsque je ne suis pas en mesure d’être présente. Je préfère en effet ne pas solliciter mon adjointe, afin de ne pas alourdir sa fatigue, et ne pas recruter de pharmacien remplaçant par souci d’économie pour l’entreprise. Au total, cela représente six à huit samedis dans l’année. »
Un phénomène qui s’accélère
L’exemple de ces trois titulaires ne constitue pas un cas isolé. « C’est en effectuant mon tour de France des officines que j’ai pris conscience du problème, reconnaît Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Confrontés à des sous-effectifs chroniques et à une incapacité d’attirer de nouvelles recrues, soit parce qu’ils ne trouvent pas de candidats, soit parce que ces derniers ont des exigences salariales déraisonnables, de plus en plus de titulaires sont contraints de réduire la voilure sur leurs horaires d’ouverture. Et on peut les comprendre, car lorsque votre équipe est au bord du burn out, ou lorsque le pharmacien se retrouve seul, sans adjoint, la priorité, c’est de préserver la santé des salariés et du titulaire. » Pour Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), « cette tendance a même démarré il y a deux ou trois ans, avant l’arrivée du Covid-19 qui a fait office d’accélérateur, beaucoup de salariés ayant choisi de démissionner pour partir vers d’autres horizons. Et ce manque de personnel, qui est estimé entre 10 000 et 15 000 sur les postes de préparateurs et de pharmaciens, risque de s’aggraver dans les années qui viennent, ces métiers n’attirant plus les jeunes. Si rien ne change, dans cinq ans, il y aura 30 à 40 % de pharmaciens en moins à la sortie des facultés. »
Inquiètes de la tournure des événements, les chambres patronales s’apprêtent d’ailleurs à s’emparer du sujet. « La pénurie de candidats dans les métiers de préparateurs et de pharmaciens est un sujet d’inquiétude pour l’avenir, et constituera l’un de nos axes de travail pour cette année, confirme Denis Millet, secrétaire général de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Il a d’ailleurs été abordé lors de notre dernier bureau national qui devra trouver des solutions pour donner envie de s’orienter vers nos métiers. » Même son de cloche à l’USPO. « Nous avions déjà mis en place un groupe de travail sur le recrutement afin d’apporter des solutions à nos adhérents dans ce contexte de pénurie de candidats. Nous allons aussi devoir réfléchir à cette question des horaires et de l’organisation des officines, car ce qui est en jeu, c’est la continuité du service pharmaceutique », souligne Pierre-Olivier Variot.
Pas un drame
A ses confrères contraints de diminuer leurs amplitudes horaires, Alain Grollaud, président de Federgy, tient à délivrer un message rassurant. « Lorsque l’équipe ou le titulaire sont sous tension, c’est la première bonne mesure à prendre, et elle n’a rien de dramatique, assure-t-il. Il y a 15 ans, dans les villes moyennes ou rurales, les pharmacies étaient fermées le samedi ou le lundi, et pendant deux à trois semaines l’été. Cela ne posait aucun problème grâce à l’organisation très huilée de gardes mise en place entre confrères. C’est pour coller aux évolutions des tendances de la consommation que la profession a commencé à ouvrir six jours sur sept et pendant toutes les vacances, alors que cela ne sert à rien… » Cette décision de réduire les horaires ne doit toutefois pas être prise à la légère. « Cela impacte forcément l’activité, le risque étant que les clients, habitués à avoir tout de suite ce qu’ils veulent, se reportent sur les autres pharmacies de proximité qui restent, elles, ouvertes. Il y a donc de fortes chances de perdre des patients », estime Laurent Filoche. « Pour savoir s’il vaut mieux fermer ses portes un samedi sur deux, ne plus travailler le samedi après-midi, instaurer une pause entre midi et deux, ou avancer la fermeture de 20 h à 19 h en semaine, le titulaire doit effectuer une analyse croisée entre la fréquentation, la marge dégagée, ses ressources humaines et son environnement concurrentiel. Il pourra ainsi identifier la solution qui lui permettra de préserver un service de qualité tout en limitant au maximum l’impact sur l’activité, conseille Laure-Emmanuelle Foreau, la consultante fondatrice de Praxipharm, un organisme de conseil et de formation pour les officines. Une pharmacie de quartier fréquentée par une clientèle qui rentre chez elle tard le soir aura, par exemple, intérêt à choisir l’option de la fermeture le samedi après-midi plutôt que de réduire ses horaires d’ouverture en fin de journée. » « Le plus important étant de prévenir en amont les clients et les patients du changement d’horaire, grâce à l’affichage en vitrine et sur le point de vente, l’information pouvant aussi être relayée sur le site internet, la page Facebook et les réseaux sociaux de la pharmacie », ajoute Laurence Ledreney-Grosjean, la directrice de Paraphie, une société spécialisée dans le conseil en stratégie officinale.
Pour Laure-Emmanuelle Foreau, cette communication doit s’accompagner d’un véritable travail de pédagogie. « Lorsque vous expliquez aux gens que vous êtes contraints de faire évoluer vos horaires d’ouverture pour maintenir un accueil et un service de qualité, parce que vous êtes en sous-effectif chronique et que vos équipes sont épuisées après avoir traversé la période Covid-19, en général, les patients comprennent », assure la consultante. Guillaume Dessard a ainsi été agréablement surpris par la réaction de sa patientèle lorsqu’il a annoncé que son officine serait fermée le samedi après-midi pendant tout l’été. « J’ai la chance d’avoir une clientèle très fidèle. Beaucoup nous ont donc dit qu’ils comprenaient et qu’ils allaient s’adapter, confie le titulaire. Et c’est ce qui s’est passé. Si je compare avec les mois de juillet et août d’avant le Covid-19, le changement d’horaires n’a eu aucun impact sur l’activité, la fréquentation s’étant intégralement reportée sur le vendredi et le samedi matin. » Même constat dans l’officine de Lucie Grilleau. « Cela fait maintenant plusieurs années que les patients me voient seule au comptoir le samedi matin. Ils n’ont donc finalement pas été surpris. D’autant que je les préviens dix jours à l’avance. Et comme le samedi était chez moi une journée de faible fréquentation, mon chiffre d’affaires est resté stable. » Pas de regrets non plus pour Alain Boetsch. « Tous les ans en août, nous faisons 40 % de chiffre d’affaires en moins. Si j’avais dû recruter du personnel via une agence d’intérim, en le payant au prix fort, cela aurait largement dépassé le résultat que j’aurais généré cette semaine-là », estime le titulaire.
Des avantages
Ce genre de décision est en outre très bien perçu par les équipes. « Elles se sentent prises en considération et ont le sentiment que le titulaire est attentif à leur santé et à leur bien-être en leur accordant plus de temps pour eux et pour récupérer, note Laure-Emmanuelle Foreau. Une pharmacienne en milieu rural qui avait décidé de fermer son officine un samedi sur deux m’a expliqué que cela avait remobilisé son équipe sur le conseil associé, car celle-ci était du coup moins fatiguée et se réinvestissait davantage au comptoir. Ce qui a permis de compenser la légère baisse de fréquentation. »
Dans un contexte où de plus en plus de pharmacies évoluent en sous-effectif chronique, Laurent Filoche invite ses confrères à la solidarité. « Comme nous sommes tous plus ou moins dans la même galère, c’est peut-être l’occasion de recréer du lien entre nous, suggère le président de l’UDGPO. C’est ce que nous faisons par exemple à Blagnac (Haute- Garonne) où depuis plusieurs années, ma pharmacie est fermée le samedi après-midi, l’officine de garde sur la commune se chargeant d’assurer le service pharmaceutique. Ce système est gagnant-gagnant pour tout le monde. Le pharmacien de garde récupère le temps d’un week-end la clientèle des confrères, pendant que les équipes des autres pharmacies en profitent pour respirer. J’invite donc mes confrères à travailler en bonne intelligence, quand cela est possible, plutôt que d’essayer de récupérer les patients des uns ou des autres car ce qui est en jeu, c’est la qualité de vie des salariés de nos officines. Or si nous ne faisons rien, ils n’hésiteront pas à partir voir ailleurs. »
À RETENIR
Pour faire face aux manques de personnel et ménager leurs collaborateurs, de plus en plus de titulaires décident de réduire les horaires d’ouverture de leur officine.
Bien réfléchis, adaptés à la fréquentation des patients, les changements maintiennent au final le chiffre d’affaires de l’officine.
La pénurie de personnel est chronique et généralisée, et semble devoir perdurer. Aux pharmaciens de s’organiser localement pour assurer la continuité des soins.
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