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Antibiotiques : la recherche, c’est pas automatique
Dans son rapport 2021, l’OMS alertait sur le manque d’investissement en matière de recherche et d’innovation pour le développement de nouveaux antibiotiques. Depuis 2017, seules 12 nouvelles molécules ont été approuvées, dont 10 appartiennent à des classes existantes, avec des mécanismes établis de résistance aux antimicrobiens. Il y a donc urgence à soutenir la recherche préclinique et clinique pour accélérer la découverte de traitements innovants.
Il existe une lacune majeure dans la découverte de traitements antibactériens, et plus encore dans la découverte de traitements innovants. » Le constat alarmant dressé par l’équipe du pipeline antibactérien de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans son dernier rapport est partagé par Michel Pairet, directeur de l’unité innovation de Boehringer. « Les approches classiques du traitement antimicrobien ne sont plus efficaces contre des agents pathogènes multirésistants, explique-t-il. De nouvelles approches innovantes sont nécessaires de toute urgence. Sinon, des interventions chirurgicales de routine, comme les césariennes ou les implants de prothèses de hanche, pourront mettre en danger la vie du patient. » Dans une étude publiée cette année, The Lancet décomptait 1,27 million de décès liés à des bactéries résistantes en 2019. « Les projections pour les années à venir sont encore plus sombres puisque l’on estime qu’en 2050 le nombre de morts pourrait atteindre 10 millions, annonce Thomas Borel, directeur des affaires scientifiques du Leem (Les entreprises du médicament). Ajoutez à cela les coûts sociétaux liés à la prise en charge des patients, et vous obtenez un enjeu majeur de santé publique. » Plusieurs facteurs expliquent ce manque d’investissement : lenteur des processus d’approbation, coûts de recherche et développement élevés, faible taux de réussite… « Il faut entre 10 et 15 ans pour faire passer un candidat antibiotique du stade préclinique au stade clinique, rappelle l’OMS dans son rapport. En sachant que 1 médicament sur 15 en développement préclinique sera au final administré aux patients pour les antibiotiques des classes existantes. Concernant les nouvelles classes, le chiffre tombe à 1 sur 30. » Selon Michel Pairet, « le désengagement des laboratoires s’explique aussi par le fait que nous n’avons pas de modèle économique viable pour de nouveaux antibiotiques. Il y a donc peu de financements disponibles pour soutenir la recherche clinique. »
Prise de conscience
La donne est peut-être toutefois en train de changer. « Après la première alerte de l’OMS en 2015, un effort de refinancement a permis de redémarrer des activités de recherche de très bon niveau à travers le monde », observe Sylvie Guerder, directrice adjointe scientifique chargée de l’immunologie et des relations hôte pathogène à l’Institut national des sciences biologiques du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Cette remobilisation s’est traduite en France par le lancement en 2020 d’un programme prioritaire de recherche (PPR) sur l’antibiorésistance porté par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). « Doté de 40 M€, ce PPR cible quatre axes prioritaires : la lutte contre l’émergence, la transmission et la propagation des résistances bactériennes, l’innovation thérapeutique, l’utilisation des antibiotiques en médecine humaine et vétérinaire, et un volet plus orienté sur les sciences sociales consistant à étudier les déterminants de la résistance aux antibiotiques, détaille Evelyne Jouvin-Marche, directrice adjointe de l’Institut thématique multiorganismes ITMO I3M et coordinatrice de ce PPR. 25 M€ ont déjà été distribués afin de financer 11 projets ciblant essentiellement santé humaine, animale et environnement. » Les entreprises du médicament ne sont pas en reste. Une vingtaine de grands laboratoires ont lancé en 2020 un fonds d’actions contre l’antibiorésistance financé à hauteur de 1 milliard d’euros. Objectif : mettre sur le marché de deux à quatre nouveaux antibiotiques d’ici 2030.
Une diversité d’approches
Toutes les pistes sont explorées. « Il existe une vraie diversité d’approches, confirme Sylvie Guerder. On peut citer les phages, des virus prédateurs naturels capables de tuer la bactérie ou de délivrer de manière un peu plus spécifique un antibiotique en ciblant des familles de bactéries. » Des travaux sont également en cours pour mieux comprendre les mécanismes permettant à la membrane bactérienne de faire ressortir rapidement l’antibiotique de la cellule bactérienne. Certains chercheurs se concentrent, eux, sur la synthèse des parois bactériennes qui ont pour mission de protéger la bactérie ou les enzymes lui permettant de se reproduire. « Le jour où l’on parviendra à identifier toutes les enzymes impliquées dans cette synthèse, nous pourrons trouver de nouvelles molécules capables de les cibler », pronostique Sylvie Guerder.
Les facteurs de résistance diffusant dans les populations bactériennes font aussi l’objet d’études. « Il s’agit le plus souvent d’éléments génétiques mobiles que l’on retrouve dans des bactéries partout dans la nature, dans le sol ou chez les animaux, précise Sylvie Guerder. Des chimistes sont également en train d’essayer de définir des structures de molécules d’intérêt à cibler. » Autre champ en plein essor : les molécules naturelles. « Dans les geysers ou dans les eaux très froides se cachent des bactéries extrêmophiles disposant de molécules antibiotiques, note la chercheuse du CNRS. Dans l’un de nos laboratoires à Lille (Nord), l’équipe de Priscille Brodin a par exemple identifié l’alvinellacine, une molécule naturelle possédant un spectre antibiotique intéressant pour lutter contre le bacille de la tuberculose (Mycobacterium tuberculosis). » L’épigénétique est également mise à contribution. « A l’Institut Pasteur, les équipes de Paola Arimondo viennent notamment de démarrer un programme visant à identifier des traitements épigénétiques susceptibles de contourner les résistances, explique Evelyne Jouvin-Marche. Des vaccins à ARN dirigés contre différents agents infectieux sont également en développement, et des thérapies ARN pourraient permettre demain de proposer des alternatives aux antibiotiques. »
Pas à la hauteur des enjeux
Toutes ces pistes devront être validées par des essais cliniques. Il faudra donc attendre quelques années avant de voir de nouveaux traitements innovants mis sur le marché. « Les 40 M€ investis dans le PPR risquent d’ailleurs de ne pas être à la hauteur des enjeux, prévient Thomas Borel. Et si l’on veut que les laboratoires investissent dans la recherche, la question du modèle économique et de l’accès au marché devra aussi être réglée. » Evelyne Jouvin-Marche en convient. « Ce premier PPR constitue une première étape. Il est important de ne pas relâcher les efforts, explique-t-elle. Si l’on veut développer de nouvelles molécules innovantes, ou des solutions alternatives aux antibiotiques, il faudra un jour passer aux essais interventionnels. Or, cette phase n’est pas comprise dans le PPR. Il sera donc probablement nécessaire d’en relancer un second d’ici un ou deux ans. »
DES CIBLES PRIORITAIRES
En 2017, l’OMS a publié la liste des agents pathogènes prioritaires pour la recherche et développement de nouveaux antibio-tiques. Y figurent au rang de priorité critique les espèces de bacilles à Gram négatif Pseudomonas aeruginosa, Acinetobacter baumannii et Enterobacteriaceae résistants aux carbapénèmes. Dans les agents à priorité élevée, on retrouve Enterococcus faecium, devenu résistant à la vancomycine, Staphylococcus aureus (méthicilline), Helicobacter pylori (clarithromycine), Campylobacter spp (fluoroquinolones), Salmonellae (fluoroquinolones) et Neisseria gonor-rhoeae (céphalosporines et fluoroquinolones). Trois bactéries à priorité moyenne, Streptococcus pneumoniae (pénicil-line), Haemophilus influenzae (ampicilline) et Shigella spp (fluoroquinolones), complètent la liste. L’agent de la tuberculose Mycobacterium tuberculosis, multirésistant dans certaines parties du monde, bénéficie, lui, d’un programme qui lui est consacré au sein de l’OMS.
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