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Frédéric débute un traitement de fond de la goutte

Publié le 23 septembre 2022
Par Anne-Gaëlle Harlaut
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Frédéric, 52 ans, sous fénofibrate et diurétique, s’est réveillé avec une vive douleur à l’orteil et à la cheville. Après diagnostic et résolution de cette première crise de goutte, un traitement de fond est prescrit.

Ce que je dois savoir

Législation

L’ordonnance ne pose pas de problème.

Contexte

Cette ordonnance initie un traitement de fond contre la goutte et comporte un antihypertenseur compatible avec cette maladie.

C’est quoi ?

• La goutte est une arthropathie inflammatoire chronique qui résulte d’un excès d’acide urique dans le sang, ou hyperuricémie. L’acide urique est un produit de dégradation des purines, protéines présentes dans nos cellules, notamment l’ADN, et apportées par l’alimentation. Son taux physiologique sanguin varie entre 25 et 70 mg/L (420 µmol/L). Au-delà, le seuil de solubilité théorique de l’acide urique est dépassé ; il cristallise et peut s’accumuler « goutte à goutte » sous forme de microcristaux d’urate de sodium dans les articulations, responsable de crises inflammatoires récurrentes.

• Les signes cliniques surviennent après plusieurs années d’hyperuricémie et évoluent par crises. La crise se caractérise par une inflammation brutale d’une ou plusieurs articulations, en particulier du gros orteil, avec douleur intense insomniante, rougeur, chaleur et œdème, qui évoluent favorablement en quelques jours. La goutte est silencieuse entre deux crises, mais avec une hyperuricémie persistante. À la longue et sans traitement, elle peut causer une déformation des articulations, des tophi (voir Dico+) dans les articulations, les tendons ou sous la peau, avec douleurs chroniques, difficultés motrices, voire destruction articulaire. Le dépôt rénal des cristaux d’urate peut provoquer lithiases, coliques néphrétiques, voire une insuffisance rénale chronique. La goutte est liée au développement de comorbidités, avec dyslipidémies, hypertension… Elle est un facteur de risque de mortalité prématurée(1).

Quelle prise en charge ?

• Traiter l’accès ou crise de goutte et supprimer la douleur, avec la mise au repos de l’articulation et l’application de froid, un anti-inflammatoire et de la colchicine.

• Un traitement de fond prévenant les complications (voir ci-dessous), associant hypo-uricémiant et règles hygiéno-diététiques.

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Objectifs

Le traitement médical de Frédéric D. vise à :

• baisser de façon permanente l’uricémie afin de dissoudre les dépôts d’urates de sodium, de supprimer les crises et de prévenir les complications chroniques. Un hypo-uricémiant est indiqué dès la première crise afin d’abaisser l’uricémie à moins de 60 mg/L, et si possible à moins de 50 mg/L(1) ;

• éviter une nouvelle crise, due à la baisse rapide de l’uricémie, qui provoque une libération des microcristaux d’urates dans les articulations ;

• prendre en charge l’hypertension artérielle, comorbidité fréquente, en évitant certaines classes médicamenteuses qui favorisent l’hyperuricémie, notamment les diurétiques thiazidiques, tel l’Esidrex que prenait ce patient.

Médicaments

Allopurinol

Cet hypo-uricémiant empêche la formation d’acide urique en inhibant l’enzyme xanthine oxydase, catalyseur de sa biosynthèse. Il s’utilise en traitement de fond de l’hyperuricémie chronique, avec instauration par paliers d’un à deux mois pour réduire les effets indésirables, jusqu’à atteindre les objectifs d’uricémie.

Colchicine opocalcium

Antigoutteux anti-inflammatoire qui freine l’action des leucocytes et la production d’acide lactique. Ce traitement des accès aigus de goutte est ici prescrit à faible dose en prophylaxie d’un accès favorisé par l’introduction de l’hypo-uricémiant.

Losartan

Antihypertenseur antagoniste de l’angiotensine II. Son action hypo-uricémiante par résorption tubulaire des urates au niveau rénal en fait un traitement de choix en cas de goutte.

Repérer les difficultés

• Vérifier que l’intérêt des traitements et leurs modalités sont saisis, y compris au long cours et la conduite en cas de nouvelle crise.

• Insister sur les règles hygiéno-diététiques.

• Expliquer la surveillance des effets indésirables et la marge thérapeutique étroite de la colchicine.

Ce que je dis au patient

« Le traitement de fond vise à éviter de nouvelles crises, à condition de le prendre régulièrement, sans doute à vie. Il évitera les complications de la maladie au niveau des articulations ou du rein » introduit l’intérêt du traitement. « Le médecin vous a-t-il expliqué les signes à surveiller avec ces médicaments ? » « sonde les connaissances sur les effets indésirables et la toxicité de la colchicine. « Vous savez que certains aliments sont à éviter et que l’activité physique est importante ? » amorce les règles hygiéno-diététiques.

J’explique le traitement

Mécanisme d’action

• L’allopurinol baisse l’acide urique dans le sang pour dissoudre les cristaux responsables des crises. Il agit vite mais doit être poursuivi car l’uricémie remonte à son arrêt.

• La colchicine évite une crise quand on la débute. Elle libère les cristaux dans les articulations. Elle est poursuivie les premiers mois.

• Le losartan remplace l’Esidrex, qui augmente l’acide urique sanguin.

Mode d’administration

• Allopurinol : après résolution complète de la crise, 1 comprimé après un repas. La posologie sera ajustée dans un mois selon l’uricémie.

• Colchicine : 1 demi-comprimé par jour, au cours d’un repas. Ne jamais augmenter ni doubler la dose en cas d’oubli.

• Losartan : 1 comprimé le matin.

J’accompagne

Surveillance du traitement

• Arrêter immédiatement l’allopurinol et consulter en cas d’éruption cutanée, d’atteinte des muqueuses oculaires, buccales ou génitales ou de fièvre. Idem en cas de diarrhées et de vomissements, signes de surdosage de colchicine.

• Prévenir tout prescripteur du traitement car certains médicaments, tels les macrolides, augmentent la dose de colchicine dans le sang, avec risque de surdosage potentiellement grave.

• En cas de crises, ne pas arrêter le traitement, appliquer du froid pour soulager l’articulation, la mettre au repos et consulter le médecin.

Règles hygiéno-diététiques

Pour limiter les récidives et abaisser l’uricémie :

• boire au moins 1,5 L d’eau par jour et limiter les aliments riches en purines : sardines, gibier, viandes faisandées, légumes secs, volailles, lapin, asperges, champignons… Proscrire bière, y compris sans alcool, et alcools forts ;

• limiter les apports en fructose (jus de fruits industriels, sodas), qui augmentent l’uricémie ;

• consommer des laitages peu gras, qui favorisent l’élimination rénale de l’acide urique. La vitamine C via les fruits et légumes (voir Phyto p. 32) aurait un effet bénéfique sur l’uricémie ;

• essayer de perdre du poids, facteur de risque de goutte, mais sans régime hyperprotéiné, facteur de risque de crises ;

• éviter les traumatismes des articulations, déclencheurs de crises, avec chaussures souples, activité physique douce…

Vente associée

Une poche de glace à utiliser dès l’apparition d’une crise pour soulager l’articulation.

(1) Recommandations de la Société française de rhumatologie pour la prise en charge de la goutte : le traitement hypo-uricémiant, juillet 2020.

Prescription

Dr R., rhumatologue.

Frédéric D., 1,71 m, 93 kg, 52 ans.

• Allopurinol 100 mg 1 par jour.

• Colchicine opocalcium 1 mg 0,5 mg par jour.

• Losartan 50 mg 1 par jour.

Arrêter Esidrex, poursuivre fénofibrate.

QSP 1 mois jusqu’au prochain rendez-vous.

Dico+

→ Les tophi, pluriel de tophus, sont des nodules fermes, indolores et blanchâtres composés de cristaux d’urate de sodium.

Le patient me demande

« Je ne prends pas mon traitement habituel ? Et donnez-moi quelque chose contre la diarrhée à cause de la colchicine ! »

Vous arrêtez l’Esidrex et prenez du losartan à la place car il est adapté en cas de goutte, et vous poursuivez le fénofibrate car la goutte est liée à une hausse des graisses dans le sang. De plus, le fénofibrate abaisse l’acide urique dans le sang, ce qui est intéressant dans votre cas. Je ne vous donne pas d’anti-diarrhéique car la diarrhée sous colchicine est un signe de surdosage qui doit vous amener à cesser le traitement et à consulter immédiatement.