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Le tamoxifène et le torémifène

Publié le 8 juin 2024
Par Maïtena Teknetzian
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Modulateurs sélectifs des récepteurs aux œstrogènes, le tamoxifène et le torémifène sont utilisés dans le traitement du cancer du sein hormonodépendant. Le tamoxifène, chef de file de cette classe thérapeutique, est souvent privilégié, tandis que le torémifène, exposant au risque d’allongement de l’intervalle QT, est moins prescrit.

 

Mode d’action

Modulateurs des récepteurs aux œstrogènes

Le tamoxifène (Nolvadex et génériques) et le torémifène (Fareston), dérivé chloré du tamoxifène, sont des molécules non stéroïdiennes capables d’agir sélectivement sur certains récepteurs aux œstrogènes et d’y exercer un effet antagoniste ou agoniste selon les tissus. Sur les récepteurs mammaires, ces molécules exercent un effet antiœstrogénique mis à profit dans le traitement du cancer du sein hormonodépendant. Inversement, elles produisent un effet œstrogénique sur d’autres tissus comme l’utérus (expliquant le risque de cancer de l’endomètre associé à leur utilisation) ou le tissu osseux (effet favorable sur la densité osseuse). On parle ainsi d’un effet modulateur des récepteurs aux œstrogènes.

Il est à noter qu’il existe deux autres molécules modulatrices des récepteurs œstrogéniques dont l’affinité tissulaire diffère de celle du tamoxifène et du torémifène : le clomifène (Clomid), qui agi au niveau central, stimule l’ovulation et est indiqué dans les infertilités, et le raloxifène (Evista, Optruma), qui exerce son action surtout au niveau osseux et est employé dans la prévention de l’ostéoporose.

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Indications

Cancer du sein hormonodépendant

Le tamoxifène est indiqué dans le traitement adjuvant (en prévention des récidives) du cancer du sein œstrogénodépendant ainsi que dans les formes avancées ou métastatiques, quel que soit le statut ménopausique de la patiente.

Le torémifène est recommandé contre le cancer du sein métastatique hormonosensible, uniquement chez la femme ménopausée.

Pharmacocinétique

Elimination fécale

Absorption : ces deux molécules sont bien et rapidement absorbées avec un pic plasmatique obtenu en 4 à 7 heures après administration orale du tamoxifène et en 2 à 5 heures après la prise du torémifène. Il est préconisé de ne pas prendre une nouvelle dose en cas de vomissement.

Distribution et métabolisme : elles circulent dans le sang sous forme fortement liée aux protéines plasmatiques et subissent un important cycle entérohépatique. Elles sont métabolisées principalement par le cytochrome P450 (CYP) 3A4, mais aussi, pour le tamoxifène, par le CYP2D6 (voie conduisant à la formation d’un métabolite actif, l’endoxifène).

Elimination : ces médicaments et leurs métabolites sont éliminés essentiellement dans les selles (aucune adaptation de dose n’est à prévoir en cas d’insuffisance rénale). Leur demi-vie est longue (en moyenne 7 jours pour le tamoxifène et 5 jours pour le torémifène), ce qui explique qu’une dose oubliée ne doit pas être rattrapée.

Effets indésirables

Bouffées de chaleur et risque thromboembolique

Effets vasculaires : les modulateurs aux œstrogènes peuvent provoquer très fréquemment des bouffées de chaleur, plus sévères chez les patientes jeunes, majorées en cas de surpoids ou de chimiothérapie antérieure ayant provoqué une aménorrhée. Celles-ci ne doivent pas être corrigées par traitement hormonal substitutif ou par des phyto-œstrogènes. Ils augmentent en outre le risque d’événements thromboemboliques (thrombose veineuse profonde, embolie pulmonaire, accident vasculaire cérébral), en raison d’un effet procoagulant probablement lié à une diminution de synthèse d’antithrombine.

Troubles gynécologiques : ces médicaments peuvent induire une sécheresse vaginale et une diminution de la libido, des kystes ovariens et des ménométrorragies (pour le tamoxifène chez la femme non ménopausée) et augmentent le risque de fibromes utérins et de cancer de l’endomètre.

Effets centraux : fatigue et troubles de l’humeur sont très courants.

Troubles digestifs, hépatobiliaires et métaboliques : nausées, vomissements et troubles du transit sont fréquents. Une hypertriglycéridémie (liée à une augmentation de synthèse des very low density lipoprotein, les VLDL), des anomalies hépatiques, une pancréatite, une rétention hydrosodée et des œdèmes périphériques sont également possibles.

Autres : des toxidermies sévères à type de nécrolyse épidermique, des atteintes hématologiques et des troubles oculaires mal expliqués (cataracte, rétinopathie avec le tamoxifène, opacité temporaire de la cornée avec le torémifène) sont plus rarement observés. Des arthromyalgies et des vertiges (faisant recommander la prudence pour la conduite automobile) sont fréquents. Le torémifène est susceptible d’allonger l’intervalle QT à l’électrocardiogramme, tandis qu’avec le tamoxifène cet effet ne s’observe qu’en cas de surdosage. 

Contre-indications

Pathologies cardiaques pour le torémifène

Le torémifène est contre-indiqué en cas d’insuffisance hépatique sévère et d’allongement préexistant de l’intervalle QT, d’hypokaliémie ou de bradycardie (lesquelles favorisent la survenue de torsades de pointe en cas d’allongement de l’intervalle QT), d’insuffisance cardiaque ou de troubles du rythme non contrôlés.

Les modulateurs aux œstrogènes ne doivent pas être utilisés pendant la grossesse. Une contraception efficace non œstrogénique doit être assurée durant le traitement par tamoxifène et au moins 2 mois après son arrêt. Il est contre-indiqué en cas d’allaitement.

Interactions

Avec les inhibiteurs du CYP 2D6 pour le tamoxifène

L’association du tamoxifène avec le millepertuis est contre-indiquée (risque de diminution de son efficacité par augmentation du métabolisme). Celle avec les inhibiteurs du CYP 2D6 (bupropion, duloxétine, fluoxétine, paroxétine, terbinafine… mais aussi curcuma) est déconseillée, exposant à un risque de diminution de l’efficacité par réduction des taux d’endoxifène.

L’association du torémifène avec d’autres médicaments allongeant l’intervalle QT, comme les antiarythmiques de classe Ia et III, certains neuroleptiques, antihistaminiques, antibiotiques (hydroquinidine, amiodarone, mizolastine, moxifloxacine, par exemple), est contre-indiquée en raison d’un risque majoré de torsades de pointe. Son association avec les inducteurs enzymatiques (comme la phénytoïne ou la carbamazépine) impose une adaptation à la hausse de ses posologies. Celle aux inhibiteurs enzymatiques (antifongiques azolés, inhibiteur de protéase…) nécessite des précautions. 

SURVEILLANCE 

Gynécologique et biologique

Surveillance clinique : un examen gynécologique a minima annuel est nécessaire pour dépister une éventuelle anomalie endométriale. L’état cutané et le poids (prise de poids liée notamment à la rétention hydrosodée ou parfois perte de poids du fait de troubles digestifs) doivent être également surveillés. Il est primordial de signaler tout saignement vaginal anormal au prescripteur. Il en est de même pour la survenue de symptômes évocateurs d’une thrombose veineuse (gonflement et/ou douleur dans une jambe, dyspnée) ou de signes d’arythmie sous torémifène.

Suivi biologique : les enzymes hépatiques, le bilan lipidique et la numération formule sanguine doivent être régulièrement surveillés.  

 

Autre antiœstrogénique indiqué dans le cancer du sein, le fulvestrant

Le fulvestrant (Faslodex) est un antagoniste compétitif des récepteurs aux œstrogènes qui se différencie du tamoxifène et du torémifène par sa voie d’administration injectable (en intramusculaire) et par son absence d’activité agoniste.

Médicament indiqué dans le cancer du sein avancé ou métastatique, hormonodépendant de la femme ménopausée, ses effets indésirables les plus fréquents sont des bouffées de chaleur, une asthénie, des troubles digestifs, hépatiques et hématologiques. Son utilisation est associée à une augmentation du risque d’ostéoporose, qui rend nécessaire une surveillance de l’ostéodensitométrie. Une sciatique consécutive à l’injection dans le muscle fessier peut s’observer. Aucune interaction cliniquement significative l’impliquant n’est répertoriée à ce jour.

  • Sources : « Modulateurs sélectifs des récepteurs aux œstrogènes : SERM et SERD » et « SERM – Modulateurs récepteurs œstrogènes », Collège national de pharmacologie médicale, pharmacomedicale.org ; « Hormonothérapie dans le cancer du sein : efficacité et effets adverses », Revue médicale suisse, mai 2013 ; fiche « Tamoxifène », Institut national du cancer ; fiches « Tamoxifène » et « Torémifène », Société française de pharmacie oncologique, oncolien.sfpo.com ; « Impact of Curcumin (with or without piperine) on the pharmacokinetics of tamoxifen », Koen G. A. M. Hussaarts et coll., Cancers (Basel), mars 2019 ; « Evénements thromboemboliques induits par le tamoxifène dans le cancer du sein. Certains mécanismes potentiels », Revue médicale de Bruxelles, 2017 ; base de données publique des médicaments ; Thesaurus des interactions médicamenteuses de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, septembre 2023.