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La marge brute globale fait son entrée sur le tapis rouge

Publié le 8 juin 2024
Par Yves Rivoal
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Pour la première fois cette année, Interfimo a intégré à son étude « Prix et valeurs des pharmacies en 2023 » un nouvel indicateur de valorisation : le prix de cession en multiple de marge brute globale. Comment est-il calculé ? Quelles sont ses vertus et ses limites ? Décryptage.

 


« Avec le développement des médicaments chers, raisonner en multiple du chiffre d’affaires (CA) ne veut plus dire grand-chose. Nous nous sommes donc intéressés à la marge brute globale qui présente l’avantage de prendre en compte l’impact des produits chers sur la rentabilité de l’officine. Et nous avons décidé de publier ce nouvel indicateur fiable et désormais indispensable au pilotage d’une pharmacie dans notre étude “Prix et valeurs des pharmacies en 2023” », détaille Jérôme Capon, directeur du réseau Interfimo. En pratique, la marge brute globale est un élément que les cabinets de transaction scrutent depuis longtemps. Gilles Andrieu, président du réseau PSP, avoue « s’en servir quotidiennement depuis une dizaine d’années. Lors du premier entretien avec un pharmacien cédant, il me permet de lui fournir une estimation rapide de son prix de cession, qui se révèle en général cohérente. Cette méthode est également reconnue par les banquiers, et utilisée depuis très longtemps pour la valorisation des autres fonds de commerce (restaurants, traiteurs, coiffeurs, etc.). La pharmacie ne fait donc que s’aligner ». Même constat du côté d’Olivier Tellier, associé du cabinet de transaction POD. « La marge brute globale fait partie, depuis plusieurs années, de nos indicateurs de référence car, contrairement au pourcentage du CA, elle permet de dégager des valeurs constantes, assure-t-il. Nous l’utilisons pour fixer les prix de cession, mais aussi évaluer la performance des équipes. »

Calcul savant

 

Pour déterminer la marge brute globale, il faut additionner toutes les activités au comptoir : les ventes de médicaments et de parapharmacie, l’ensemble des honoraires, des prestations de services, ainsi que des coopérations commerciales, mais aussi les activités de location de matériel médical à domicile (MAD), les rémunérations sur objectifs de santé publique (Rosp) et celles issues des nouvelles missions… « On obtient alors le CA de l’officine duquel on retire les achats neutralisés de la variation du stock de marchandises », explique Louis Maertens, associé du cabinet d’expertise comptable FCC et membre du bureau de CGP qui l’a, lui aussi, mis en avant lors de sa table ronde en mars dernier. Pour lui, ce nouvel indicateur possède bien des vertus. « Il permet d’abord de ne pas se faire duper par les pourcentages, rappelle-t-il. La marge brute globale s’appuie sur des euros sonnants et trébuchants générés par l’activité de l’officine. Du coup, le pharmacien peut mesurer très facilement la rentabilité opérationnelle et commerciale, sans les frais de personnel et des charges externes qui sont, eux, pris en compte dans l’exdécent brut d’exploitation (EBE). » Et contrairement à une valorisation en pourcentage du CA, qui ne veut plus rien dire à cause de la forte augmentation en volume des médicaments chers, « la marge brute globale, exprimée en euro, neutralise, elle, cette catégorie puisque l’on ne s’intéresse qu’au montant, peu importe la manière dont il a été généré », complète Hervé Ferrara, associé du cabinet de transaction Pharmacessions.

Pour être plus réactif

 

D’un point de vue plus opérationnel, la marge brute globale va aussi permettre aux pharmaciens de se montrer plus réactifs dans le pilotage de leur officine. « Lorsque la marge commencera à décrocher, ils pourront s’interroger sur leurs achats, leurs prix de vente, puis activer les leviers susceptibles d’améliorer la rentabilité », note Louis Maertens. Gilles Andrieu est sur la même longueur d’onde. « En période d’inflation comme aujourd’hui, un pharmacien devrait être capable de sortir sa marge en temps réel, estime-t-il. Combien de titulaires n’ont pas réajusté leurs prix de vente alors que les tarifs des laboratoires augmentaient tous les mois ? Quand ils ont reçu leur bilan, ils se sont aperçus qu’ils avaient trois points de marge en moins et une trésorerie en souffrance, alors que leur CA a augmenté… » 

 

La marge brute globale a aussi vocation à être employée dans les méthodes de valorisation des professionnels de la transaction. « Le calcul est très simple puisqu’il suffit de déterminer le ratio entre le prix de vente que l’on divise par la marge brute globale pour sortir un multiple de marge, explique Louis Maertens. Une baisse de la marge se traduit mécaniquement par une diminution du prix de vente, l’officine voyant sa rentabilité et sa performance se dégrader. » Ainsi, dans l’étude Interfimo « Prix et valeurs des pharmacies en 2023 », le prix de vente moyen des officines de moins de 1,2 M€ de CA est de 1,9 fois la marge, et de 2,7 fois la marge pour les officines de plus de 1,2 M€ de CA. La même mécanique est d’ailleurs appliquée pour valoriser les officines en multiple de l’EBE. « En général, on arrive au même prix de vente qu’avec le critère de la marge brute globale », assure Louis Maertens.

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Plutôt une donnée en plus qu’à prendre seule

 

Le déploiement de ce nouvel indicateur pourrait toutefois se heurter à une limite, comme le reconnaît cet expert-comptable. « Dans un premier temps, les pharmaciens auront probablement un peu de mal à l’utiliser car, pour déterminer la marge brute globale, ils devront communiquer à leur expert-comptable leurs stocks en fin de journée, le dernier jour de chaque mois », note Louis Maertens. « Pour qu’elle soit adoptée, il faudra aussi que tous les experts-comptables se mettent d’accord sur le mode de calcul de celle-ci, ajoute Gilles Andrieu. Tout le monde s’accorde à dire qu’elle représente la différence entre les ventes et les achats, mais faut-il y intégrer les remises de fin d’année (RFA), les honoraires liés aux gardes ou à la transmission des analyses, etc. ? C’est un débat à avoir. »
En tout cas, Louis Maertens lui prédit un bel avenir. « Que ce soit pour calculer la valorisation d’une pharmacie ou évaluer sa rentabilité, elle devrait rapidement remplacer le pourcentage de CA et être employée en complément du multiple de l’EBE », pronostique-t-il. « Nous aurons même probablement, entre les deux méthodes de valorisation, des tableaux d’équivalence indiquant la marge brute globale d’un côté et l’EBE de l’autre, en euro, abonde Adrien Moulinas, associé du cabinet Pharmacessions. Les catégories d’officine ne seront alors plus liées au CA comme c’est le cas aujourd’hui, mais à des segments de marge. Ce sera beaucoup plus lisible pour les pharmaciens cédants et acquéreurs ». Jérôme Capon voit, lui, un autre scénario se dessiner : « Le critère du pourcentage de CA étant profondément ancré, notamment dans la tête des pharmaciens cédants, on ne pourra probablement jamais le faire disparaître complètement. En revanche, il sera pondéré avec la marge brute globale et l’EBE. Et le fait de disposer de trois modes d’analyse est une bonne nouvelle, car plus nous avons de critères et de méthodes à croiser, plus les estimations de prix sont fines. » Associé chez Pharmathèque, Donald Mongay se montre, lui, plutôt sceptique. « L’indicateur de la marge brute globale porte un intérêt, à condition qu’il soit inclus dans une méthode de valorisation globale, explique-t-il. Je ne parlerai jamais de valorisation uniquement fondée sur ce critère. Il apporte moins d’informations que l’EBE, et met de côté des composantes comme le loyer, les charges externes ou les frais de personnel, qui sont primordiales dans nos analyses. En revanche, s’il est couplé à une analyse sur l’EBE et le CA, et que l’on pondère tout cela de manière à ne pas lui donner une place trop importante, il peut se révéler pertinent pour évaluer la rentabilité commerciale d’une pharmacie. Mais je ne suis pas certain qu’il trouvera sa place dans nos méthodes de valorisation. » La marge brute globale doit donc encore faire ses preuves. 

   

« Disposer de trois critères, le taux du chiffre d’affaires, l’EBE et la marge brute globale, permet d’affiner les estimations de prix »

Jérôme Capon, directeur du réseau Interfimo