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Douai s’évade en guadeloupe
Vingt-cinq apprentis préparateurs de Douai (Nord) ont passé dix jours au CFA des Abymes en Guadeloupe. Une expérience racontée au jour le jour par la rédactrice en chef de Porphyre.
8 mai – Le voyage d’un papillon. À peine arrivée à l’aéroport d’Orly, mon portable sonne. C’est Étienne Coquet, coordinateur du CFA de Douai. L’enregistrement de ma valise, un café, une poignée de main aux vingt-cinq apprentis 1ère année et aux quatre encadrants de Douai, et déjà nous nous sommes installés dans l’avion. Après avoir parcouru la presse, je glisse mes oreilles dans des écouteurs et pianote sur mon écran à la découverte des propositions de jeux d’Air France… J’expérimente un programme de relaxation, idéal pour bien vivre le vol. Relaxante aussi la vue sur la France, véritable damier de couleurs, jaunes les champs de colza, vertes les prairies, fourmis les autos… Et, à plus de 10 000 mètres d’altitude, rien que du bleu, celui de la mer, puis celui du ciel, et le blanc cotonneux des nuages luisant de soleil. Michel Foiche, enseignant vient me tenir compagnie. « Je préfère dire que je suis formateur, me dit-il, je considère les apprentis non comme des élèves mais comme de futurs collègues. » L’homme, passionné d’entomologie, me fait plonger dans le monde des insectes. « C’est magnifique la naissance d’un papillon. Sous l’enveloppe translucide, on devine les ailes repliées. Celles-ci s’ouvrent peu à peu jusqu’à ce que le sang arrive, cela peut durer une demi-journée. Puis je peux prendre le papillon dans mes mains, pendant deux heures, il ne bougera pas et j’attends juste qu’il s’envole… » Intarissable, Michel me parle aussi des coléoptères (comme la coccinelle) et des hyménoptères, insectes piqueurs. Et soudain, il me demande : « Vous avez prévu une prise anti-moustiques pour votre séjour ? Car la Guadeloupe regorge de Aedes agepti qui véhiculent la dengue. »
Atterrissage sur l’île Émeraude. 17 h 30 heure locale (23 h 30 en métropole), nous y sommes en Guadeloupe, département de 1700 km2, en forme de papillon, avec deux ailes appelées Basse Terre et Grande Terre. Elle est peuplée d’environ 400 000 habitants. Le lycée polyvalent des Abymes (la ville la plus dense de l’île avec 60 000 habitants) se situe à dix minutes de l’aéroport. Le temps de récupérer les voitures de location pour les encadrants, de monter dans le bus pour les élèves, la nuit est déjà tombée. Alyse Alet, proviseur du lycée et directeur du CFAPAG (CFA polyvalent de l’académie Antilles-Guyane) nous accueille, entourée de Daniel Anselme, son adjoint, Marie-Thérèse Laurence, coordinatrice pédagogique, Mireille Eger, secrétaire comptable et deux enseignantes Denise Tranchot et Francine Dahomay. Salutations, apéritif et dîner. Avec le décalage horaire et la chaleur moite, je me sens dans un léger état second. Je fais connaissance avec quelques élèves de Guadeloupe, dont l’une me reconnaît, elle est abonnée à Porphyre.
9 mai – Plongée dans un passé tumultueux. La petite île de Marie-Galante, située au sud est de la Guadeloupe, porte le nom du bateau de Christophe Colomb qui y jeta l’ancre en 1496. La première étape de notre excursion touristique (c’est le week-end !) nous plonge dans le passé tumultueux d’un peuple né de la colonisation et de la traite d’esclaves. Au XVIIe siècle, les Français se sont installés en Guadeloupe pour développer la culture de la canne à sucre. Pour répondre à leur besoin de main d’oeuvre, se met en place le commerce triangulaire. De la côte Atlantique, les navires français partaient pour l’Afrique acheter des esclaves aux chefs de tribus africaines en échange de diverses marchandises, les emmenaient aux Antilles pour les revendre aux colons, puis rentraient en France, avec dans les cales, du sucre, du coton ou des épices. Les planteurs européens, peu nombreux, imposèrent donc une discipline de fer pour prévenir toute velléité de révolte. L’île comptera jusqu’à 9 400 esclaves pour 11 700 habitants. Dans l’élan de la révolution française, l’esclavage sera aboli une première fois en 1794, mais sera rétabli en 1802 par Bonaparte. Dominique Murat, notaire à Capbreton dans les Landes, arrive à Marie-Galante en 1807. L’homme est un colon sans pitié, qui jette au fond d’un puits tout rebelle. Il réalise ses rêves de grandeur, fait construire une demeure à l’image des bâtisses bordelaises comportant pas moins de sept chambres avec salles de bain. On découvre aussi les baraques où étaient logées des femmes esclaves dont il eut de nombreux enfants. Cette descendance-là est restée sur l’île… La famille officielle a, quant elle, fui lors de la deuxième abolition de l’esclavage en 1849. « Naître en Guadeloupe, c’est avoir du sang d’esclave et de colon dans les veines, dit notre guide, Elaïza à la peau noire. J’ai des descendants bretons ! »
11 mai 2009 – Première journée au CFA. Il y a de la timidité, dans l’air lors de ce premier contact entre élèves de métropole et de Guadeloupe qui ont pris place dans le réfectoire faisant office de salle de cours. Alors la coordinatrice, Marie-Thérèse Laurence invite les élèves à changer de place pour « se mélanger ». Étienne Coquet, son homologue de Douai annonce que tous sont invités à une soirée le lendemain. Le cours de Joëlle Egerton et Régine Ramdine, pharmaciennes, sur les pathologies virales et parasitaires transmises par des insectes (dengue, paludisme, fièvre jaune, maladie du sommeil) peut commencer. L’après-midi, les élèves enchaînent avec le cours de gestion de Lucien-Philippe Copaver. « En Guadeloupe, la notion d’insularité fait que le produit est plus cher à l’achat en raison des frais de transport et d’une taxe indirecte spécifique qui est l’octroi de mer », explique-t-il. Pour les produits vignettés, l’État fixe par arrêté préfectoral un coefficient multiplicateur qui tient compte de ce surcoût d’approvisionnement. Actuellement il est de 1,323. Dans les faits, le prix mentionné sur la vignette est majoré de 32,3 % Bien entendu, la Sécurité sociale rembourse le prix facturé… Le programme pédagogique se poursuit le 12 mai avec une conférence sur la drépanocytose à l’hôpital de Pointe-à-Pitre, puis avec la visite de l’hôpital de Basse Terre, en compagnie d’Idrissou Nkouap, responsable de la pharmacie.
13 mai 2009 – En passant par Anse Bertrand. Petit déjeûner en compagnie d’apprenties préparatrices guadeloupéennes. Et puis, hop, je prends ma petite auto pour gagner le nord de Grande Terre car j’ai rendez-vous avec Édouard Delta, titulaire dans la commune de Anse Bertrand et membre du bureau du SPPG (syndicat départemental des pharmacies de Guadeloupe), affilié à la FSPF (Fédération des syndicats pharmaceutiques de France). Il en était le président jusqu’en mai 2008. « C’est notre syndicat de pharmaciens qui a créé la formation de préparateurs dans les années 1980, raconte-t-il. Les cours étaient dispensés par nous-mêmes et bénévolement, nous les donnions dans le lycée professionnel de Morne à l’eau et le lycée technique de Baimbridge, nous devions transporter le matériel pour les cours, pilon, mortier et produits chimiques. Dans les années 2000, nous avons établi un partenariat avec le lycée de Providence des Abymes et nous leur avons passé la main. » Aujourd’hui, le lycée de Providence est le siège du CFA académique de Guadeloupe dans lequel la pharmacie est l’un des secteurs de formation par apprentissage. Au total, BP1 et BP2, les préparateurs en pharmacie sont au nombre de 171. Me voilà de nouveau sur les routes, mais je ne résiste pas à faire un détour jusqu’à la pointe de la Grande Vigie. Sous le soleil, un petit sentier au milieu des bosquets me conduit jusqu’à un point de vue vertigineux où le silence s’impose. À perte de vue s’étend la mer turquoise et à mes pieds les falaises découpent la côte comme de la dentelle… Ma pause terminée, je roule au milieu des champs de canne. Rendez-vous avec Gilles Delacroix, photographe. Après avoir fait des clichés d’une séance de travaux pratiques (un shampooing à l’huile de carapate), nous devons organiser une photo des cinquante élèves.
14 mai 2009. Journée à la pharmacie. La pluie tombe à verses quand j’accompagne Caroline et Morgane pour une journée à la pharmacie du Carrefour de Baie Mahault, immense et moderne. Toutes les officines ne sont pas logées à la même enseigne. Celles de Pointe-à-Pitre souffrent. Un pharmacien, sous couvert d’anonymat témoigne : « La population est passée de 28 000 habitants à moins de 20 000, les médecins s’en vont et la ville a perdu de son attrait au profit des centres commerciaux à la périphérie. Résultat : mon chiffre d’affaires ne cesse de diminuer. Et, dans ces circonstances, comment contenter mes salariés ? » En effet, il y a une certaine fébrilité chez les préparateurs qui attendent l’application de l’accord Bino, signé suite à la grève du début d’année. Le syndicat a demandé aux pharmaciens d’accorder aux employés dont le salaire n’excède pas 1,4 fois le SMIC, le bonus de vie chère de 54,321 euros pour leur permettre de percevoir les 150 euros accordés par les collectivités et l’État. Mais tous les titulaires ne l’appliquent pas.
Témoignages de nos voyageurs. Adeline Thorez, Pharmacie du Bas du Fort, Le Gosier : « La journée à l’officine, c’est ce que j’appréhendais le plus du séjour. Au final, la pharmacienne, la préparatrice et ma correspondante Alice venaient vers moi, m’expliquaient le fonctionnement de la pharmacie dans une ambiance très détendue. » Justine Lefel, Pharmacie Werter, Le Moule : « Les clients viennent acheter davantage de parapharmacie que de médicaments. Je n’ai pas vu beaucoup de génériques et ils sont rangés avec le princeps. » Océanne Béghin, Pharmacie Berthelot, Pointe-à-Pitre : « J’ai remarqué que les conditionnements de médicaments sont plus petits, c’était le cas par exemple pour le Mediator. » Morgane Dutoit, Pharmacie de l’aéroport, Les Abymes : « Le personnel est moins stressé qu’en métropole. » Élodie Palacz, Sainte-Rose : « Tout le personnel se tutoie patron y compris… Ils tutoient également quasiment tous les clients. »
Souvenirs de Douai. Abymes quartier du Raizet. J’y découvre un petit bijou de pharmacie, la pharmacie Vila, flambant neuf, rose fushia et vert anis sur fond anthracite. La vitrine est vierge : un comble pour une pharmacie ! Aucun matériel de laboratoire ne s’y trouve, seule une inscription couleur fushia annonce « Les duos malins de la para : un produit acheté, le deuxième identique à moins 50 % ». Autre parti pris : l’accueil sourire et salutations systématiques. Dans l’équipe de Rémi Vila il y a Élisa, préparatrice en pharmacie qui m’a dit : « C’était génial le voyage à Douai ». Elle fait partie des trente apprentis qui ont participé en 2007 au premier échange entre les CFA de Douai et de Guadeloupe. « Nous avons fait des cours de TP, reconnaissance et commentaire technique, raconte-t-elle. Les modes de fabrication des préparation étaient différents, par exemple pour la fabrication des suppos. En Guadeloupe, pour l’excipient, nous, on triture d’emblée. En métropole, on est obligé de concasser l’excipient dur en raison du climat plus froid. » Et Élisa de s’exclamer : « J’étais déjà allée à Paris mais le Nord, c’est différent, le climat, le mode de vie. Douai est calme, moins pollué… Dans les lieux publics, j’ai trouvé les habitants gentils, mais moins souriants qu’en Guadeloupe. Au CFA, il y avait une très bonne ambiance. L’année d’après, trois enseignants sont venus en Guadeloupe nous faire faire un stage d’une semaine de révision : c’était super, j’ai apprécié leurs méthodes de travail ! » Un témoignage qui invite à poursuivre de si belles initiatives. •
Enfin, la reconnaissance de la Pharmacopée d’outre-mer !
Quel est le critère qui m’autorise à vendre du tilleul à un client pour dormir, alors que je ne peux pas proposer du « zeb charpentier » qui produit les mêmes effets ? », interroge Henry Joseph qui se bat depuis 25 ans pour faire reconnaître les vertus des plantes utilisées en médecine traditionnelle.
Une victoire des Guadeloupéens.
Jusqu’ici les Guadeloupéens n’avaient jamais réussi à faire intégrer les plantes médicinales d’outre-mer dans la Pharmacopée française. Seuls des métropolitains avaient obtenu gain de cause. Et si dix-neuf plantes figurent à la Pharmacopée, c’est plus pour leurs vertus cullinaires que pour leurs vertus thérapeutiques; ce sont pour la plupart des épices (citronelle, gingembre, jujubier, muscadier aromatique…). Le manque de considération des plantes traditionnelles remonte à la période esclavagiste. Les plantes ultramarines étaient absentes du Codex français dans sa première édition datant de 1818 qui interdisait aux nègres libres ou esclaves d’utiliser les plantes, les côlons craignant d’être empoisonnés.
Un héritage lourd de conséquences.
En 1984, Tramil, un réseau de chercheurs à travers le monde étudie les usages populaires des plantes traditionnelles et aboutit à la diffusion d’une Pharmacopée caribéenne en 1999. Au final, près de deux cents plantes sont recommandées dans différentes indications ; ce sont, par exemple, les feuilles de goyave dans la diarrhée ou le Cajanus cajan dans les crises drépanocytaires. Les chercheurs travaillent à rédiger des monographies pour démontrer l’efficacité et l’innocuité des plantes caribéennes… Mais l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) multiplie ses exigences.
L’association pour la promotion des plantes médicinales et aromatiques en Guadeloupe (Aplamedarom), présidée par Henry Joseph, continue son combat et propose deux plantes à insérer à la Pharmacopée française le 7 mars 2003. Après moult rebondissements, le 20 octobre 2005, sont intégrées à la Pharmacopée française : Senna alata (dattiyé) indiqué pour traiter le Pityriasis versicolor et Lippia alba (twatass) utilisé dans les problèmes de sommeil ou digestifs. Surtout, la loi pour le développement économique des DOM du 8 avril 2009 prévoit une modification du code de la Santé Publique : « La Pharmacopée comprend désormais la Pharmacopée européenne, la Pharmacopée française, y compris celle de l’outre-mer français ».
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