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patients musulmans des textes à la pratique
Croyances, pratiques religieuses et conduites sociales sont souvent intriquées chez tout individu. C’est aussi le cas chez les patients musulmans. Le point pour un meilleur déchiffrage au comptoir.
Une clientèle bigarrée défile dans la pharmacie centrale de la Chapelle, dans le 18e arrondissement de Paris. Dans cette « tour de Babel », nombre de langues se font entendre. « Il n’y a pas moins de 88 nationalités différentes dans le quartier. Alors, forcément, nous accueillons chaque jour des personnes de toutes origines. Parmi elles, nous avons une forte communauté musulmane », explique le titulaire, Tariq Benhalima. Comme n’importe quel malade ou client, les patients musulmans se définissent par leur langue, leur culture, leur religion. Leur rapport aux soins, au corps et à la maladie est le résultat de toutes ces composantes et peut présenter des particularités utiles à connaître pour une prise en charge optimale au comptoir.
Culture ou religion ? « La plupart des comportements de la vie quotidienne sont mis sur le compte de la religion chez les musulmans, tant il est rare qu’ils séparent celle-ci de celle-là, alors qu’ils s’estiment peu pratiquants », explique Sylvie Fainzang, anthropologue et membre du Centre de recherche médecine, sciences, santé et société (Cermes), dans son ouvrage Médicaments et société. La religion est une composante très importante de la culture. « Dans toutes les religions, la culture et la religion sont étroitement intriquées », confirme Isabelle Levy, formatrice en milieu hospitalier et en institution sur le thème des rites, des cultures et des religions (voir entretien p. 17) : « C’est d’ailleurs un problème : on passe son temps à mettre des faits culturels sur le compte de la religion, en particulier dans le cas de la religion musulmane. La plupart des problèmes rencontrés en matière de soins concernent la culture et non la religion. Ils proviennent d’une mauvaise connaissance des textes religieux, qui, surtout, ne sont pas mis en perspective par rapport à notre monde moderne. »
La représentation de la maladie et de la souffrance. Pour tout individu, la maladie est difficile à accepter et reste un moment de retour aux valeurs individuelles. Chaque patient réagit différemment devant ce moment de bouleversement et de questionnement. Bien souvent, la réaction d’un malade et de son entourage face à la maladie, la douleur physique ou morale varie selon ses références culturelles et religieuses. « Dans l’islam, tout revient à Dieu. Et la maladie ne déroge pas à la règle. Mais si Dieu a envoyé la maladie, il a aussi prévu le remède. La maladie fait partie de la destinée, ainsi que la guérison », explique Abdelkader Khali, référent des aumôniers musulmans de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris. La souffrance peut provoquer, dans un premier temps, une rébellion de la part du malade. « Mais la souffrance est amenée à être acceptée sans révolte par les musulmans. Bien évidemment, cette acceptation se fait en fonction du degré de croyance. » D’ailleurs, le mot « musulman » ne signifie-t-il pas « celui qui s’en remet à Dieu » ? Pourtant, aucun dolorisme dans la religion musulmane : « Dieu reconnaît au fidèle le droit de se servir des moyens dont il dispose pour alléger la douleur. Les médicaments antalgiques ne posent pas de problèmes particuliers. »
Rapport au corps et tabous. Le culte musulman accorde une grande importance au corps et à sa santé. « Le corps est un don de Dieu, et il faut à tout prix en maintenir l’intégrité. C’est une enveloppe charnelle dans laquelle l’âme doit se sentir le mieux possible », souligne Abdelkader Khali. Cependant, certains tabous et une grande pudeur semblent exister dans la communauté musulmane. Des tabous qui peuvent avoir une incidence directe sur l’administration des traitements. « Le suppositoire, le lavement, l’ovule sont des modes de traitement à administrer par des voies considérées comme impures. Il n’est pas rare de les voir condamnés par l’islam. Comment un médicament introduit par voie impure, voire immorale, peut-il guérir ? » écrit Isabelle Levy dans ses ouvrages. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en arabe le mot « vagin » n’existe pas. Tariq Benhalima se dit obligé d’« utiliser des métaphores » au comptoir avec les femmes arabophones pour leur expliquer, par exemple, comment mettre un ovule. « Les musulmans sont mal à l’aise pour parler de leurs excrétions (urines, selles, sang, sperme), qui les mettent en état d’impureté spirituelle. Ils peuvent être réticents pour réclamer de l’aide en cas de diarrhées, de constipation ou d’hémorragie, explique Isabelle Levy. La situation est encore plus critique en cas de stomie urinaire ou digestive, de dialyse, les matières impures étant constamment devant les yeux du malade. »
Rites religieux, interdits alimentaires. Dans certaines situations, les textes religieux passent avant les prescriptions médicales pour les musulmans les plus pratiquants. C’est le cas lors du jeûne du ramadan, qui peut poser problème dans l’observance des traitements. Le ramadan interdit la prise d’aliments et de boissons de l’aube au coucher du soleil. La prise par la bouche de médicament est également prohibée. « Bien qu’il existe des différences d’interprétation, les autres voies d’administration des médicaments sont en général considérées comme possible pendant la journée. C’est le cas des injections intramusculaires et intraveineuses, des suppositoires, des aérosols et des applications cutanées ou sur les muqueuses », écrit Isabelle Levy. Les textes coraniques dispensent clairement les malades de respecter le jeûne, toujours dans un souci de respect de l’intégrité physique. Force est de constater que le problème, en pratique, semble épineux pour les officinaux. Christophe, pharmacien titulaire à Nancy, dans un quartier où vit une forte communauté musulmane, considère le ramadan comme un problème majeur dans sa pratique professionnelle : « Les personnes musulmanes, dans leur grande majorité, respectent le jeûne du ramadan, même quand leur état de santé ne le leur permet pas. Le rite a un impact social énorme. » Un avis partagé par Fabrice, préparateur à Saint-Martin-d’Hères : « Les difficultés majeures que je rencontre au comptoir surviennent au moment du ramadan. Les personnes cessent de prendre leur traitement ou le prennent très mal. Chez les patients diabétiques, les problèmes peuvent s’accumuler parce qu’ils font une grande consommation de sucre le matin. J’ai déjà vu des malaises et des glycémies à 3 g/l à l’ouverture, à 8h30. » D’autres problèmes liés aux interdits alimentaires peuvent surgir. Le Coran interdit de manière explicite la consommation de viande de porc et d’alcool, ce qui peut être problématique lorsque les médicaments contiennent de la gélatine ou un excipient alcoolique. Il arrive que la composition des médicaments entraîne le refus de prendre un traitement ou son interruption. « Les musulmans vérifient si les produits qui leur sont proposés contiennent des graisses animales (d’origine porcine ou non), de la gélatine ou du sang. Si leur présence est notifiée sur l’emballage, ils s’abstiendront d’en consommer », écrit Isabelle Levy. Angèle, 28 ans, pharmacienne dans le 9e arrondissement de Paris, a été confrontée à la situation à plusieurs reprises : « Un patient m’a déjà ramené un sirop que je venais de lui vendre à l’officine parce qu’il contenait de l’alcool. Je l’ai donc échangé contre un autre qui en était exempt. »
Les professionnels de santé, une figure d’autorité ? « Je ne parviens jamais à convaincre un malade de cesser de jeûner lorsque la situation l’exige », constate Fabrice. Christophe, lui aussi, reconnaît que ses conseils ont peu de poids dans ce genre de situations : « Sermonner les malades ne sert absolument à rien. Je ressens un grand sentiment d’impuissance en face des situations les plus problématiques. » Et Annick, préparatrice à Nancy, d’ajouter : « Les personnes qui suivent le ramadan sont souvent fatiguées, surtout en fin de jeûne. Ils en deviennent quelquefois moins réceptifs aux conseils que nous, officinaux, nous sommes amenés à leur donner. » Abdelkader Khali reconnaît aussi le poids des convictions religieuses devant les « blouses blanches » : « Le personnel de santé – médecins, infirmiers ou pharmaciens – a un rôle très important dans la vie des musulmans. Leur savoir leur confère un statut d’autorité et leur avis pèse beaucoup. Mais il est vrai qu’avant de se confier aux soignants on s’en remet toujours d’abord à Dieu. » Dans ses études, l’anthropologue Sylvie Fainzang souligne que les musulmans revendiquent souvent de bien prendre tout ce que le médecin leur a prescrit, mettant en avant l’attitude d’obéissance au médecin. L’ordonnance fait l’objet d’une quasi-dévotion chez de nombreux musulmans et la non-observance a tendance à être dissimulée. Cette disposition, Christophe l’a notée : « Quelquefois, mes clients musulmans me disent qu’ils ne suivent pas le jeûne du ramadan et qu’ils prennent leur traitement correctement, alors qu’en fait non. » Abdelkader Khali souligne, lui aussi, que le ramadan est une période de l’année qui cristallise les crispations : « Il n’est pas rare de voir des malades cacher la non-observance de leur traitement pour ne pasfâcher leur médecin et leur pharmacien. »
Le problème de la langue et de la compréhension. Beaucoup d’adultes issus de la première génération d’immigrés ne parlent pas du tout le français, ou trop mal pour communiquer convenablement avec les soignants. Si ce problème n’est pas propre à la population musulmane, il est un frein évident aux soins. Les solutions existent. « Il est tout à fait possible de faire passer les informations essentielles. Par exemple, pour être sûre que les posologies seront comprises, je symbolise les prises par des petits bâtonnets et je dessine des petits soleils ou des petites lunes pour indiquer à quel moment de la journée prendre les médicaments », explique Annick. Quand le niveau de langue ou d’éducation du patient est faible, des problèmes de compréhension surviennent parfois. Madeleine, assistante à Paris, se souvient de la remarque d’une de ses clientes musulmanes âgées, à qui elle a pris le temps d’expliquer avec des mots simples à quoi servait son traitement de Physiogine(r) : « Merci, c’est beaucoup plus clair quand c’est toi qui expliques. Le médecin est tout le temps pressé, et il ne dit que des mots compliqués. » Il est indispensable d’adapter le vocabulaire employé au niveau d’éducation du patient. Tariq Benhalima juge utile d’insister sur ce point : « Il faut garder à l’esprit que dans chaque catégorie de population, il y a différents niveaux de compréhension. Il est essentiel d’utiliser un langage adapté et de se mettre au niveau de son interlocuteur. Les immigrés musulmans de la première génération ont quelquefois un niveau de compréhension plus faible. Les choses les plus simples doivent leur être systématiquement rappelées. Il s’agit d’une population délicate à prendre en charge à l’officine. » Il faut être patient, prendre du temps pour expliquer, et adopter l’attitude la plus compréhensive possible. « Les problèmes de communication peuvent empêcher les malades de venir demander des explications à la pharmacie, et ainsi conduire à un arrêt du traitement ou à une mauvaise observance de celui-ci. Et ça, c’est une sorte d’échec pour nous, soignants », constate Fabrice.
Les limites de l’interprétariat. L’intervention d’un interprète est souvent vécue comme un soulagement par les officinaux, qui y voit un moyen de rétablir une communication presque « normale » avec leur client. La présence d’une tierce personne qui fait la traduction est quelquefois indispensable : « Sans la présence d’un interprète, je n’aurais jamais pu expliquer le fonctionnement de son lecteur de glycémie à cette grand-mère algérienne », remarque Angèle. Cette solution présente tout de même quelques limites et ne résout qu’une partie du problème. Le recours à un traducteur expose inévitablement à la perte ou à la déformation des informations données. De plus, l’interprète est souvent un membre de la famille. « Le recours aux membres de la famille du patient pour la traduction des échanges empêche l’expression de certaines plaintes. Cette constatation est plus flagrante encore lorsque ces interprètes sont des enfants. Si les parents expriment certains problèmes intrafamiliaux ou très intimes, les traducteurs risquent de les censurer et de mal les interpréter », souligne Isabelle Levy.
La place des femmes. La prise en charge des femmes musulmanes, toutes générations confondues, peut être une source de problème, que ce soit à l’officine ou, plus largement, à l’hôpital et chez les médecins. À l’officine, Annick reconnaît qu’elle a déjà été confrontée à des situations difficiles : « J’ai l’impression, sans vouloir faire de généralités, que souvent les hommes musulmans décident pour leur femme en matière de santé. » Pour Sylvie Fainzang, « l’homme musulman accompagne fréquemment son épouse, alors même qu’elle parle français, dans le souci de l’aider à comprendre ce qu’elle doit faire, corrélativement à un manque d’autonomie de la femme dans la vie publique ». Le Dr Marc Jaber, médecin généraliste, pneumologue et enseignant d’ethnomédecine à la faculté de Paris-V, ne peut que constater lui aussi les difficultés auxquelles il se heurte avec certaines musulmanes : « Je rencontre surtout des problèmes chez les femmes berbères. Elles peuvent refuser que je les examine. » Mais il précise : « Le problème est dû au poids de la culture et de la tradition. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une question religieuse. » Comme le souligne Abdelkader Khali, aucun agissement de ce genre ne trouve sa source dans les textes coraniques : « Il est écrit que les femmes, comme n’importe quel individu, sont propriétaires de leur corps. Les problèmes rencontrés dans la pratique des soins sont dus à des traditions ancestrales qui ne sont pas forcément le fait de la religion. » De plus, contrairement aux idées reçues, la contraception n’est pas condamnée par l’islam. Le Coran l’autorise aux femmes dans le cadre du mariage comme moyen de régulation des naissances. Mais, là encore, il semble y avoir un décalage entre les textes religieux et la réalité quotidienne des femmes. Madeleine se souvient : « Une musulmane, cousine et interprète d’une femme voilée mère de quatre enfants, avait entendu parler de la pilule du lendemain et l’avait conseillée à sa parente, qui ne voulait plus d’enfant et dont le mari refusait tout moyen de contraception. Elle souhaitait savoir si je pouvais lui donner la pilule du lendemain après chaque rapport. L’officine était pour elle le premier lieu de contact pour aborder son problème. Il était essentiel de ne pas rater cette occasion, peut-être unique, de discuter avec elle. » Occasion à saisir, quelles que soient la culture, la religion ou la langue…
Source : rapport du Haut Conseil de l’intégration.
Quelques chiffres
La France compte près de 5 millions de musulmans d’origine très diverse (Maghreb, Afrique subsaharienne, Inde, Europe orientale, Asie et Moyen-Orient). Il s’agit d’une estimation puisque la législation française interdit de recenser les citoyens et les résidents en fonction de leur confession religieuse*.
36 % des personnes musulmanes en France se disent « croyants et pratiquants », un tiers affirme prier chaque jour, et 70 % observer le ramadan (selon un sondage I.F.O.P.-Le Monde).
Tariq Benhalima
Titulaire de la pharmacie centrale du quartier de la Chapelle, à Paris (18e). Tariq et son équipe sont habitués à prendre soin des clients de toutes confessions et de toutes origines, et à les conseiller.
Qu’est-ce qu’être musulman ?
Le culte musulman, s’il présente plusieurs courants, repose sur les cinq piliers de l’islam : la profession de foi, la prière cinq fois par jour en direction de La Mecque, le jeûne durant le mois du ramadan, le pèlerinage à La Mecque une fois dans sa vie et l’aumône aux pauvres.
Les musulmans se réfèrent au Coran, qui est le livre sacré. Les musulmans le considèrent comme la parole de Dieu, qui a été transmise au prophète Mahomet par l’ange Gabriel.
Ramadan et conseils à l’officine
La formation des préparateurs (trices) et des pharmaciens ne les préparent pas à prodiguer les bons conseils aux pratiquants du jeûne. En voici quelques-uns utiles à délivrer durant le ramadan :
• Ne jamais interrompre son traitement pendant le ramadan.
• Ne jamais modifier la prescription sans l’accord du médecin traitant.
• Ne jamais rassembler plusieurs prises de médicaments en une seule au moment de la rupture du jeûne.
• Parmi les traitements chroniques, seuls ceux qui ont permis une stabilisation de la maladie avec une prise unique peuvent être utilisés pendant le ramadan, en respectant une voie d’administration compatible avec la pratique du jeûne (ni entérale, ni parentérale, ni per os).
• Privilégier une prise unique orale à libération prolongée (quand elle existe).
• Être vigilant pour les médicaments se prenant à jeun ou ceux présentant une interaction avec l’alimentation : instituer alors un régime constitué de deux repas bien espacés ou administrer le ou les médicaments à distance des deux repas.
• Rappeler la nécessité de bien s’hydrater durant la nuit, de s’alimenter de manière équilibrée en deux repas principaux, sans grignotage, et de respecter une durée de sommeil suffisante.
• Insister pour que la prise des antidiabétiques oraux se fasse pendant les principaux repas et que les doses soient adaptées aux résultats des contrôles cliniques et métaboliques.
Qu’est-ce que le ramadan ?
Le jeûne du ramadan correspond au 9e mois de l’année musulmane (29 ou 30 jours lunaires). C’est un des cinq piliers de l’islam et un signe de soumission à Dieu. Le mois de ramadan se décale chaque année d’une dizaine de jours. Durant ce mois, tout musulman pubère s’abstient de manger, boire, fumer, prendre des médicaments oraux et d’avoir des relations sexuelles, de l’aube au coucher du soleil. Il n’y a aucune limitation de consommation d’aliments et de boissons entre le coucher et le lever du soleil. Globalement, durant cette période, la tendance est de manger plus de sucre, de graisses et de viandes. Ce mode alimentaire s’accompagne souvent de troubles digestifs : ballonnement, acidité, nausées, reflux, aigreurs, etc.
Dans le Coran, les malades sont dispensés du jeûne, jusqu’à la guérison, car il y a des moyens de rattraper le manque. Même les voyageurs de longue durée sont dispensés du jeûne.
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